25 aout 1991, tentative de transition de la Biélorussie

Biélorussie

Stanislaw Chouchkievitch est élu président du nouveau Conseil Suprême de la République de Biélorussie et engage des réformes visant à libéraliser le pays. La résistance des communistes fait cependant échouer la transition.

Biélorussie: tentative de transition

.L’histoire de la Biélorussie est longue et riche. Héritière de la Principauté de Polotsk, elle a été incorporée au Grand Duché de Lituanie à la fin du XIIIème siècle afin d’obtenir une protection contre les incursions mongoles qui avaient abattu la Rus’ de Kiev. Les Lituaniens n’envisagent nullement de „lituaniser” les Slaves et leur présence s’avère bénéfique pour cette région. Du XVème au XVIème siècle, c’est le rapprochement avec le Royaume de Pologne, qui aboutit à l’Union de Lublin et à la création de la République des Deux Nations. Le développement économique attire les commerçants Allemands, Juifs et Polonais. La classe dirigeante ruthène (rus’) se polonisa et pu conserver la propriété des terres.

Le nom de Biélorussie vient de cette époque: les principautés Rus’ se sont vues attribuer des couleurs en fonction de leur positionnement géographique, selon une tradition turco-mongole: le blanc désignant l’ouest, la région fut appelée Ruthénie blanche, „Biala Rus” en polonais, ce qui donna Belarus et Biélorussie.

Les partages de la Pologne, à la fin du XVIIIème siècle, font disparaître cet Etat et c’est l’Empire russe qui annexe les territoires de la Ruthénie blanche. Les autorités tsaristes insistent pour russifier rapidement le pays, malgré l’opposition des nationalistes biélorusses toujours attachés à la tradition lituanienne. Les Biélorusses participeront aux divers soulèvements indépendantistes contre l’Empire russe tout au long du XIXème siècle. Au sortir de la Première Guerre mondiale, la Russie bolchévique, la Lituanie et la Pologne se disputent cette région. En 1919, la République socialiste soviétique de Biélorussie est fondée avec Minsk comme capitale et participe à la création de l’URSS en 1922. Elle subit les répressions et les purges staliniennes, la russification forcée, puis les crimes allemands et la Shoah. C’est l’un des pays à avoir le plus souffert durant la Seconde Guerre mondiale.

En 1990, lorsque l’URSS est au bord de l’éclatement, la Biélorussie se déclare souveraine et le 25 aout 1991, la RSS de Biélorussie devient officiellement la République de Biélorussie et élit Stanislaw Chouchkievitch à sa tête. Chouchkievitch est un docteur en mathématiques et en physique qui a été élu député de l’URSS en 1989. Il obtient rapidement des postes très élevés dans l’administration soviétique jusqu’à devenir Président de la Biélorussie.

Il signe, en décembre 1991, avec Boris Eltsine et Leonid Kravtchouk, l’acte de disparition de l’URSS. Il engage son pays sur la voie de la transition économique et du rapprochement avec l’Occident. Il privatise de nombreuses sociétés, adopte le drapeau (blanc-rouge-blanc) et les armoiries traditionnelles (la Pogon) biélorusses, fait de la langue biélorusse la seule langue officielle du pays.

Reprise en main du pays par le camp soviétique

.Le camp communiste reste cependant très puissant, les apparatchiks disposant de nombreux pouvoirs et empêchant toute réforme d’envergure et toute lustration ou décommunisation. Chouchkievitch ne dispose que du soutien des milieux urbains libéraux et patriotiques. Les campagnes et les milieux ouvriers sont toujours attachés au modèle communiste.

C’est un ancien commissaire politique et dirigeant de sovkhoze, Alexandre Loukachenko, qui mène l’opposition à la décommunisation. Il produit de fausses accusations de corruption à l’égard Chouchkievitch, qui sont diffusées massivement dans les milieux ruraux. En jouant sur la nostalgie de l’époque soviétique, il parvient à remporter l’élection présidentielle de 1994 contre le camp de la transition qui avait été incapable de s’unifier. En 1995, il organise un referendum sur la reprise du processus de russification et de soviétisation, et le renforcement du pouvoir présidentiel. Un second referendum, l’année suivante augmente encore davantage les prérogatives du Président. Certaines irrégularités sont déjà relevées par les observateurs internationaux et le gouvernement biélorusse en exil depuis la soviétisation de 1919 critique la façon dont Loukachenko a été élu et a organisé ces referendums.

La timide libéralisation du pays est stoppée, la classe dirigeante communiste reprend le pouvoir et la société civile doit à nouveau subir la censure. Loukachenko se déclare lui-même comme étant „autoritaire” et la Biélorussie est dès lors appelée „dernière dictature d’Europe”. La Biélorussie ne disposant pas d’atouts économiques notables, elle devient dépendante des approvisionnements énergétiques de la Russie, ce qui entraîne par la suite un assujettissement politique. Si son modèle étatiste et socialiste permet une couverture médicale correcte et un niveau de services publics suffisant, son indice de développement humain est l’un des pires d’Europe et les oppositions démocratiques sont réprimées, ainsi que la liberté d’expression.

L’Ukraine, la Biélorussie, la Lituanie, la Pologne

.Le professeur Andrzej Nowak, historien et soviétologue polonais, décrit, dans un article paru dans Wszystko co Najważniejsze, les liens historiques entre les pays de l’ancienne République des Deux Nations, dont la Biélorussie:

„L’Ukraine, la Biélorussie et la Russie ont un berceau commun : la Rus’ de Kiev. Ce berceau commun de l’organisation étatique des Slaves orientaux s’est effondré au XIIIe siècle à la suite d’une invasion mongole, pour être partagé entre des systèmes politiques qui allaient forger de nouveaux centres : Moscou (héritière, en quelque sorte, des traditions de l’Empire mongol) et la Lituanie qui, forte d’une union avec la Pologne, a ouvert le monde de la Rus’ de Kiev à l’influence de la civilisation latine – influence passant par la Pologne et s’étendant jusqu’en Lituanie et Ruthénie lituanienne, c’est-à-dire la Biélorussie et l’Ukraine d’aujourd’hui – terres appartenant au Grand-Duché de Lituanie depuis le XIVe siècle.”

„C’est donc par la Pologne que passait la civilisation occidentale transformant la tradition ruthène – la complétant et la remodelant. Ces influences ont leurs symboles dont l’un se dresse à Kiev (et j’espère vivement que cette ville survivra à l’embrasement de la guerre et qu’il sera bientôt possible de la visiter à nouveau). Il s’agit du monument aux droits de Magdebourg, extraordinaire, érigé près de la rive du Dniepr. Le droit des citoyens d’une ville donnée de décider d’eux-mêmes n’était pas une invention polonaise. Il avait été repris par la Pologne des pays allemands aux XIIIe et XIVe siècles. Cracovie, entre autres, a été refondée de cette manière au XIIIe siècle. Kiev a fait de même au début du XVIe siècle. Cet événement, grâce auquel les habitants de Kiev sont devenus des Européens dans le bon sens du terme, c’est-à-dire des gens pour qui la liberté et l’autonomie sont les plus importantes, reste dans les mémoires comme une grande fête. Dans les années 1990, lorsque la Biélorussie tentait de consolider son indépendance, un monument similaire a également été érigé à Minsk (je ne sais pas s’il existe toujours).”

„Un autre symbole, plus important encore, est la liberté qui trouve sa justification et ses raisons fondamentales dans la tradition romano-grecque, véhiculée par les universités de Cracovie depuis 1364, de Vilnius depuis 1579 et de Lviv depuis 1661 (rappelons que la première université de Russie n’a été fondée qu’en 1755). De là est venue la justification de la liberté comme la valeur la plus importante dans la vie politique. La liberté intérieure, civique, se reflète dans la culture du contrat – nous n’avons pas de maîtres sur terre au-dessus de nous. Nous, qui élisons nos gouvernants, et les gouvernants qui, à un moment ou un autre, pourraient être gouvernés par nous – en fonction du résultat des élections –, convenons de ce à quoi ressemblera ce contrat. C’est cette tradition du contrat et du choix, tradition de liberté s’exprimant par le droit de vote de tout citoyen lors des diétines locales, qui s’épanouissait dans la communauté avec les terres du Grand-Duché de Lituanie et celles de la Biélorussie et de l’Ukraine.”

Nathaniel Garstecka

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