29 et 30 septembre 1941, le massacre de Babi Yar
Après avoir pris Kiev le 19 septembre, les Allemands tournent leur fureur génocidaire contre la population juive de la ville. 35 000 Juifs sont exterminés en deux jours dans le ravin de Babi Yar.
L’arrivée des Allemands à Kiev
.Le 22 juin 1941, l’Allemagne nazie rompt sa collaboration avec l’Union Soviétique. Elle avait débuté deux ans auparavant, en aout 1939, avec la signature du Pacte germano-soviétique. Hitler et Staline s’étaient mis d’accord sur un partage de l’Europe de l’est et sur une coopération militaire et économique. La conséquence de ce rapprochement fut le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale avec l’invasion combinée de la Pologne en septembre 1939.
Les échanges entre les deux totalitarismes étaient mutuellement bénéfiques mais ne pouvaient durer éternellement. Hitler ambitionnait de coloniser davantage de terres à l’est et d’abattre son concurrent idéologique, le communisme. Le 22 juin 1941, l’Allemagne et ses alliés (Roumanie, Finlande, Hongrie, Italie, Slovaquie) lancèrent quatre millions de soldats contre l’Armée rouge. Parallèlement, Reinhard Heydrich ordonna de procéder à l’extermination systématique des Juifs des territoires conquis à l’occasion. Plusieurs unités spéciales furent montées afin d’exécuter cette tâche, les Einsatzgruppen. Ceux-ci devaient se servir des sentiments antisémites des populations locales pour recruter des collaborateurs.
Le 19 septembre 1941, les troupes allemandes ont bouclé l’encerclement de Kiev. C’est un désastre pour l’armée soviétique. Des centaines de milliers de soldats sont pris au piège et doivent se rendre. Les Allemands entrent dans la ville qui compte près d’un million d’habitants dont 10% de Juifs. La Wehrmacht est accompagnée de l’Einsatzgruppe C.
Le massacre de Babi Yar et sa mémoire effacée
.Le NKVD décide de mener une opération de sabotage contre les forces d’occupation nazies. Ces dernières ont installé leurs centres de commandement dans les bâtiments officiels de la ville, situés en grande partie dans une seule et même rue, Krechtchatik. Des agents soviétiques déposent des charges explosives dans tous les bâtiments de la rue et les font sauter le 24 septembre. La grande majorité des immeubles est détruite et le commandement allemand est décimé : des centaines de soldats périssent dans les explosions et les incendies.
Furieux, les Allemands souhaitent organiser des représailles sanglantes. Ils accusent les Juifs d’avoir organisé les attentats afin de susciter des réactions hostiles à leur égard de la part des Ukrainiens. Le 28 septembre, ils émettent un communiqué ordonnant à tous les Juifs de la ville de se présenter le lendemain, jour de la fête de Yom Kippour, aux autorités de la ville avec leurs papiers d’identité, leurs objets de valeur et de quoi voyager. L’objectif est de leur faire croire qu’ils seront évacués vers des camps de travail.
Le 29, 22 000 Juifs sont réunis et menés par petits groupe vers un ravin à deux kilomètres au nord du centre-ville de Kiev, Babi Yar. Les SS sont assistés de policiers Ukrainiens qui se chargent d’escorter les victimes. Les Juifs sont abattus systématiquement d’une balle dans la nuque puis recouverts par les morts suivants. Les exécutions ont lieu toute la journée. Le 30, près de 12 000 Juifs sont massacrés à leur tour. Le charnier est recouvert de terre. Deux ans plus tard, lors de leur retraite, les Allemands déterreront les cadavres pour les brûler et faire disparaître les preuves de leurs crimes.
Après le massacre de septembre 1941, d’autres exécutions auront lieu à Babi Yar. Plusieurs dizaines de milliers de Juifs y seront massacrés, mais aussi des Polonais, des Ukrainiens, des résistants; en tout, près de 100 000 personnes.
Dans un premier temps, les autorités soviétiques refusent de reconnaître le caractère antisémite des événements du 29 et du 30 septembre. Bien que ce fut l’un des plus importants crimes commis par les Allemands durant la guerre, le massacre de plus de 30 000 Juifs en deux jours à peine, on ne parlera que de „citoyens soviétiques” ou on oubliera tout simplement ce qui s’est passé. Il faudra attendre les années 1960 pour qu’une première prise de conscience ait lieu, après que le site du massacre ait été bétonné et transformé en quartier résidentiel. Cependant, ce n’est que dans les années 1990 que la judéité d’une grande partie des victimes est mise en avant. Un mémorial est érigé et les dirigeants ukrainiens y commémorent chaque année le massacre. Cela ne se fait pas sans polémique, les Allemands ayant été aidés en 1941 par des collaborateurs locaux.
Aujourd’hui, Babi Yar est le symbole de l’extermination des Juifs soviétiques, de la „Shoah par balles”, tandis qu’Auschwitz est le symbole de la Shoah des Juifs d’Europe de l’ouest et Treblinka celui de la Shoah des Juifs de Pologne.
„La Shoah – le crime que le monde entier a préféré ignorer”
.Marcin Czepelak, ambassadeur de la République de Pologne au Royaume des Pays-Bas, évoque, dans un article paru dans „Wszystko co Najwazniejsze”, l’inaction de l’Occident face à l’extermination des Juifs d’Europe par les Allemands :
„La réunion de Wannsee fut diabolique. Depuis l’invasion de la Pologne en septembre 1939, les Allemands ont entamé dans les territoires conquis des persécutions de la population juive, mais leur agression de l’Union soviétique, en juin 1941, s’est soldée par une brutalité encore plus grande et un caractère encore plus massif de leur politique antijuive. En août, les Einsatzgruppen ont massacré 24 000 Juifs à Kamenets-Podolski ; mi-septembre, début octobre plus de 30 000 Juifs ont été assassinés à Babi Yar, dans les environs de Kiev ; les exécutions du 30 novembre et du 8 décembre ont entraîné plus de 30 000 victimes juives du ghetto de Riga. Parallèlement, en automne, les Allemands ont commencé la construction de premières usines de la mort : les camps d’extermination à Sobibor et à Bełżec. C’est entre autres dans ces camps qu’ont été acheminés les Juifs venant de toute l’Europe pour y être exterminés dans les chambres à gaz. Tout cela s’est passé dans un silence absolu de la communauté internationale”.
„Parallèlement, l’État clandestin polonais a entrepris des actions visant à informer la communauté internationale sur le tragique sort des Juifs. À l’automne 1942, est arrivé à Londres Jan Karski, le courrier de l’État clandestin auteur de rapports sur la situation de la population juive, en particulier sur son extermination par les Allemands. Pour collecter des informations crédibles, Karski avait pénétré secrètement dans le ghetto de Varsovie et puis, dans un uniforme d’officier allemand, dans le camp transitoire d’Izbica. Ses rapports ont été transmis aux gouvernements britannique et américain, sans pour autant suscité un intérêt particulier. Seul le New York Times du 25 novembre 1942 a publié, en page 10, un court texte sur le plan allemand d’extermination de 250 000 Juifs polonais. Rien d’autre”.
„Les rapports de Jan Karski ont trouvé leur confirmation dans les relations ultérieures de Witold Pilecki de 1943. En volontaire, Pilecki s’est fait déporté au camp Auschwitz-Birkenau pour y organiser un mouvement de résistance et rédiger un rapport sur les crimes qui y étaient commis. D’autres témoignages concordants étaient à trouver dans les relations de deux Juifs qui ont fui le camp en avril 1944 : Rudolf Vrba et Alfred Wetzler. Mais quand en 1942 le gouvernement polonais en exil en a appelé à entreprendre des actions visant à stopper l’extermination des Juifs, sa voix a rencontré un manque de réaction. Les architectes du crime planifié à Wannsee pouvaient s’abriter derrière le mur du silence”.
Nathaniel Garstecka