
Il y a plus de 230 ans, le 3 mai 1791, la Pologne réalisait le rêve des Lumières et se dotait d’une loi fondamentale destinée à moderniser son système politique. Le journal „l’Opinion” en collaboration avec le mensuel polonais „Wszystko co Najważniejsze” publie des articles en relation avec cet événement.
La Constitution polonaise du 3 mai 1791
.C’est dans un contexte particulièrement agité que la „Diète de quatre ans” rédigea et fit adopter la Constitution polonaise. Le pays, affaibli par les querelles nobiliaires internes, avait déjà subi un premier partage en 1772 entre la Prusse, la Russie et l’Autriche. Il avait à sa tête, depuis 1764, un roi réformateur, Stanislas II. Conscient des faiblesses structurelles du système politique de la République des Deux Nations et souhaitant restaurer la souveraineté du pays, Stanislas II initia en 1788 une session extraordinaire du Parlement (le „Sejm”), destinée à élaborer un projet de constitution sur le modèle des États-Unis d’Amérique et de leur nouvelle loi suprême. Le projet devait aussi s’inspirer des thèses des Lumières (que l’on retrouve aussi dans la Constitution américaine) et des débuts de la Révolution française.
Après plusieurs années de travaux de rédaction, le texte est finalement adopté par la Diète le 3 mai 1791. Si les réformes induites par la Constitution sont importantes, elle ne sont pas pour autant révolutionnaires au même titre que le seront celles établies par la Constitution française du 3 septembre 1791. La structure politique de la République n’est pas bouleversée: un roi, une noblesse, un Parlement composé d’un Sénat et d’une Chambre. La Pologne évite de devenir un absolutisme comme la Prusse ou la Russie. Cependant, le pouvoir du roi est renforcé, tandis que la règle du „liberum veto” (veto bloquant de n’importe quel député) est abrogé.
Par ailleurs, la Constitution met en application le principe de séparation des pouvoirs de l’État: l’exécutif, le législatif et le judiciaire. Elle restaure aussi l’hérédité de la monarchie, disparue avec le dernier Jagellon en 1572. Le rôle de la bourgeoisie est reconnu, ses représentants pouvant désormais siéger à la Diète. La condition des paysans s’améliore, avec une première étape vers l’abolition du servage. La tolérance religieuse, particularité polonaise depuis 400 ans, est maintenue.
La Russie, exerçant un protectorat sur la Pologne-Lituanie, voit d’un mauvais œil cette volonté réformatrice de la Pologne. Elle parrainera la Confédération de Targowica, groupe de nobles polonais opposés aux réformes et souhaitant son intervention militaire. Ainsi, en 1792, elle déclenchera une guerre visant à abolir la Constitution polonaise. Cette guerre aura comme conséquence le deuxième partage de la Pologne entre la Prusse et la Russie en 1793, puis le troisième et dernier, en 1795, signifiant la disparition de la République et de sa Constitution. Pour autant, les Polonais continueront à célébrer le 3 mai comme étant une date importante de l’histoire de la Pologne. Un symbole de lutte pour l’indépendance et la liberté.
„L’Opinion”: „La Constitution de la liberté polonaise”
.Ce 3 mai 2023, le journal „l’Opinion” publie, en collaboration avec „Wszystko co Najwazniejsze”, plusieurs articles d’auteurs polonais au sujet de la célébration de l’adoption de la Constitution de 1791.
Le Premier ministre Mateusz Morawiecki replace l’événement dans un contexte historique large: „La Pologne est située au cœur même de l’Europe. Nous ne sommes ni dans l’Europe de l’Est imaginaire des philosophes français ni dans la Mitteleuropa des ministres allemands. Nous avons notre propre identité qui se développe depuis mille ans. Les auteurs de la Constitution du 3 mai – nos pères fondateurs – le savaient très bien et c’est pour cette raison qu’ils mêlèrent la pensée politique originelle des Lumières aux traditions fortement ancrées dans notre culture politique depuis plusieurs siècles”.
Le rôle et l’identité de la Pologne sont clairement mis en avant: „Le 3 mai 1791, la Pologne devint le berceau du constitutionnalisme en Europe continentale. A la fin du XVIIIe siècle, elle était un îlot de liberté entourée d’une mer d’absolutisme dont les vagues déchaînées atteignirent leur apogée dans les totalitarismes du XXe siècle, faisant de sanglants ravages. Le totalitarisme et l’absolutisme ont en effet toujours été étrangers à la culture politique polonaise”.
M. Mateusz Morawiecki note la signification de la loi fondamentale dans la création de l’État moderne: „Tout en renforçant les fondements de l’État et du droit, la Constitution du 3 mai protégeait les libertés de l’individu. Elle distinguait clairement la liberté de l’arbitraire ou de l’anarchie, dont le symbole tout au long du dernier siècle d’existence de la Première République était le liberum veto. Seul un État fort peut garantir la liberté de ses citoyens. Par conséquent, il n’y a pas de liberté sans responsabilité pour son propre État”.
Après avoir rappelé, dans le contexte de la guerre en Ukraine, que la liberté ne nous est jamais donnée pour toujours, il évoque ce qui est nécessaire pour la défendre dans le futur: „Le sort de la Constitution du 3 mai nous donne une leçon de plus. Seul l’État-nation – et non une fédération supranationale – peut être un garant fiable de la liberté de ses citoyens. Ce n’est qu’en tant que communauté d’États-nations unis, respectant l’individualité de chacun, que l’Union européenne conservera la force politique et morale nécessaire pour s’opposer à l’impérialisme russe et à ses « tsars rouges »”.
„L’Opinion”: „Un héritage de liberté et de solidarité”
.Le professeur et chef du Service extérieur polonais Arkady Rzegocki, analyse les commémorations liées à l’anniversaire de la proclamation de la Constitution: „En mai, la Pologne célèbre également son adhésion aux structures occidentales, ce qui a irréversiblement changé sa place sur les cartes de géographie mentale : il y a 19 ans, elle a rejoint l’Union européenne, et plus tôt l’Otan. Ces deux dates – la promulgation de la Constitution et l’adhésion à l’Occident – referment le cadre de son héritage : l’histoire d’un déclin, mais aussi d’un renouveau”.
Il évoque aussi les „Journées du Patrimoine polonais”: „Et c’est en mai que nous célébrons cette année les septièmes Journées du Patrimoine polonais, sous le thème « Pologne. La solidarité pour la liberté ». Leur objectif est de promouvoir l’héritage des générations passées et la contribution polonaise à la vie culturelle, économique et sociale”.
Il conclut, toujours à ce sujet: „Les Journées du Patrimoine polonais sont une invitation non seulement à tous les Polonais en Pologne et à l’étranger, mais aussi à tous les amis de la Pologne, quelle que soit leur nationalité. Avec le soutien des missions diplomatiques polonaises, des dizaines de manifestations gratuites sont organisées”.
„L’Opinion”: „L’heure de la dignité”
.Enfin, Eryk Mistewicz, président de l’Institut des Nouveaux Médias et éditeur de Wszystko co Najważniejsze, rappelle plusieurs éléments essentiels pour la compréhension de l’histoire de la Pologne et de l’Europe: „Le jour de la plus importante fête polonaise, mettant à l’honneur l’instauration de la Constitution du 3 mai 1791 – premier acte de ce type en Europe et deuxième au monde –, on voit mieux la nécessité de comprendre l’histoire de la Pologne et de l’Europe centrale, si on veut saisir les enjeux européens présents et futurs”.
La dignité. „Le fait que les Polonais restent debout”. C’est elle qui les pousse à exiger de l’Allemagne la restitution des bien culturels pillés pendant la Seconde Guerre mondiale et les réparations pour les gigantesques pertes humaines et économiques”. „C’est cette même dignité qui fait des Polonais les hérauts de la question ukrainienne”.
Pour finir, il ajoute: „Dans la première Constitution en Europe il y avait déjà tout cela: l’amour de la liberté et de l’égalité, la démocratie, la solidarité avec les faibles. La Pologne, l’Ukraine, la Biélorussie, la Lituanie – à l’époque ensemble – retournent à ce temps, pour devenir le nouveau centre de gravité européen. Je garde l’espoir que cela se fera avec nos amis et partenaires français. Il y a beaucoup à faire en faveur d’une Europe sage, forte et solidaire. Faisons-le ensemble”.
Nathaniel Garstecka