4 et 6 octobre 1943, discours de Himmler à Poznan
Le dirigeant de la SS et ministre de l’intérieur du Reich a tenu, les 4 et 6 octobre à Poznan, en Pologne occupée, deux discours durant lesquels ils s’est exprimé librement sur plusieurs sujets, dont de façon inédite sur la Shoah.
Automne 1943, l’Allemagne en repli mais toujours génocidaire
.L’année 1943 est défavorable aux Allemands sur tous les fronts sur lesquels ils sont engagés. L’Afrique du nord a été définitivement perdue après la chute de la Tunisie en mai, conquise par les Anglo-américains et les Français libres. Les Alliés ont dans la foulée débarqué en Sicile en juillet. En septembre, ils prennent pied sur le continent grâce à plusieurs débarquements dans le sud de l’Italie. La résistance allemande est brisée et les forces de l’axe doivent se replier sur Naples. Entre temps, Mussolini avait été arrêté et emprisonné par les autorités italiennes.
Sur le front de l’est, la situation est tout aussi mauvaise pour les Allemands. Les Soviétiques poursuivent leur contre-offensive et l’opération „Citadelle” contre le saillant de Koursk, en juillet et aout, se solde par une défaite allemande. En septembre, l’Armée rouge force la ligne de défense de la Wehrmacht sur le Dniepr et s’apprête à attaquer Kiev.
Dans l’Atlantique, la Kriegsmarine commence à subir de lourdes pertes, notamment plusieurs dizaines de sous-marins en mai, et n’est plus en mesure d’empêcher les transports américains vers l’Angleterre, ce qui aura une grande influence sur la possibilité de mener le débarquement de Normandie l’année suivante.
Pour autant, les projets génocidaires nazis ne sont pas abandonnés. L’extermination des Juifs se poursuit dans tous les pays occupés, pendant que les camps d’extermination fonctionnent à plein régime.
Les pressions sur les pays alliés ou collaborateurs augmentent aussi. Début octobre, Hitler ordonne de déporter les Juifs du Danemark, ce à quoi la population danoise, profitant de la tolérance des autorités allemandes d’occupation, s’opposera, empêchant la communauté juive locale d’être exterminée. La population polonaise n’a pas la chance d’être aussi bien traitée que les Danois. Les crimes allemands se multiplient, les villages polonais qui cachent des Juifs ou qui aident les résistants sont „pacifiés”, c’est-à-dire brûlés et leurs habitants massacrés. A l’été 1943, la région de Lublin est la théâtre d’une tentative de colonisation allemande, après l’”évacuation” de sa population polonaise.
4 et 6 octobre, les discours de Himmler
.Le régime nazi montre ainsi une volonté de fuite en avant et dévoile encore plus sa nature totalitaire. Alors que les défaites militaires s’enchaînent, la volonté exterminatrice ne fait que croître. C’est dans ce contexte que Heinrich Himmler prononce deux discours, à Poznan en Pologne occupée, les 4 et 6 octobre 1943.
Prenant la parole devant une assemblée d’officiers SS et de hauts fonctionnaires du Reich, Himmler aborde des sujets très variés comme les sabotages dans les pays occupés, les plans de domination allemande sur l’Europe, la mentalité des Slaves, l’occupation de la Pologne, l’extermination des Juifs… Ce dernier point est très intéressant car s’il ne prend que peu de place dans l’ensemble des discours des 4 et 6 octobre, Himmler évoque pour la première fois ouvertement l’extermination, ce qui ne se faisait en général pas auparavant. Les dignitaires allemands préféraient utiliser des figures de style détournées comme „évacuation vers l’est” ou „solution finale à la question juive”.
Himmler ne laisse ainsi aucune place au doute : „Cela devrait être dit assez ouvertement entre nous, et pourtant nous n’en parlerons jamais en public. Je parle maintenant de l’évacuation des Juifs, de l’extermination du peuple juif. C’est l’une de ces choses qui est facile à prononcer – « Le peuple juif sera exterminé », très clairement, c’est dans notre programme, l’élimination des Juifs, l’extermination, nous le ferons”.
D’autres propos criminels sont ouvertement tenus, cette fois contre les Polonais : „Nous devons également être conscients que nous avons 6 à 7 millions d’étrangers en Allemagne. Peut-être même que c’est 8 millions maintenant. Nous avons des prisonniers en Allemagne. Aucun d’entre eux n’est dangereux, tant que nous frappons fort à la moindre petite chose. C’est une bagatelle de tirer sur 10 Polonais aujourd’hui, comparé au fait que nous pourrions avoir à tirer sur des dizaines de milliers plus tard, et comparé au fait que tirer sur ces dizaines de milliers coûterait également du sang allemand”.
Sur la „fourberie des Slaves” : „Les Russes eux-mêmes se connaissent très bien et ont inventé un système très pratique, que ce soit les tsars avec l’Ochrana ou M. Lénine et M. Staline avec le GPU ou le NKVD”. „C’est tout aussi vrai que le slave pue la paresse. Il est tout aussi vrai qu’il est une bête sans retenue qui peut torturer et tourmenter d’autres personnes d’une manière qu’un diable ne peut imaginer. Il est tout aussi vrai que le Russe est enclin aux choses les plus perverses, au point de dévorer son camarade et de garder le foie de son voisin dans son sac à pain. Tout cela est contenu dans l’échelle des sentiments et des valeurs de ces peuples slaves”.
Tous les sujets abordés par le dirigeant de la SS sont teintés de racisme, même les thématiques purement militaires : „Passons maintenant à l’Italie, l’autre théâtre de guerre ! Nous devons être clairs sur le fait que la faiblesse de ce peuple réside dans son sang, dans sa race”.
Les discours des 4 et 6 octobre 1943 de Heinrich Himmler montrent à quel point l’Etat allemand était obnubilé par les questions raciales et par sa haine des Juifs et des Slaves. Cette haine allait jusqu’à masquer les échecs militaires au profit d’une „croisade contre les races impures”.
Le texte des discours s’est conservé, a servi de pièce à conviction lors du procès de Nuremberg et est un document important dans la compréhension de la machine exterminatrice allemande et de la mentalité des élites nazies.
„Le déni allemand”
.Dans un article paru dans „Wszystko co Najwazniejsze”, Karol Nawrocki, Président de l’Institut de la mémoire nationale de Pologne, décrit les mécanismes du déni allemand concernant les crimes de la Seconde Guerre mondiale :
„Le récit dominant se résume à une thèse : nous n’avons rien à nous reprocher. Plus des deux tiers (68 %) de nos voisins occidentaux sont convaincus que « l’Allemagne a très bien surmonté son passé nazi et peut servir de modèle à d’autres pays », selon un sondage réalisé en 2020 par l’hebdomadaire Die Zeit. C’est une approche très confortable, mais qui n’a pas grand-chose à voir avec la vérité”.
„La vérité, c’est que les Allemands ne se sont acquittés que dans une faible mesure de la responsabilité de la Seconde Guerre mondiale. La dénazification d’après-guerre s’est avérée si superficielle que même dans les années 1960, l’administration allemande était encore saturée d’anciens membres du NSDAP et même d’officiers SS. Les entreprises qui s’étaient enrichies grâce au travail des esclaves sous Hitler ont pu continuer à multiplier leurs fortunes pendant le « miracle économique ». Les criminels de guerre ne se retrouvent qu’exceptionnellement en procès en Allemagne de l’Ouest ou en RDA. Il suffit de dire que les tribunaux allemands n’ont condamné que deux commandants de camps de concentration ou de camps de la mort : Paul Werner Hoppe de Stutthof et Franz Stangel de Sobibor/Treblinka. La responsabilité financière de l’Allemagne pour l’énormité des torts et des destructions de la guerre était également disproportionnellement faible. Aujourd’hui, le gouvernement de Berlin ne veut pas du tout discuter des réparations de guerre à la Pologne. Il préfère se limiter à des déclarations de « responsabilité morale », si facilement répétées à l’occasion de commémorations successives”.
„Aujourd’hui, des générations successives d’Allemands sont élevées dans l’ignorance de l’ampleur des crimes allemands pendant la Seconde Guerre mondiale et surestiment la résistance allemande au régime brun. C’est le résultat d’une négligence dans l’éducation, mais aussi, plus largement, de la politique historique à courte vue de Berlin, qui mêle gestes creux, complaisance et séparation artificielle entre Allemands et nazis. Avec une telle attitude, il y a peu de place pour un regard plus profond sur sa propre culpabilité et pour un véritable dialogue avec la Pologne. Nous devons attendre beaucoup plus d’un pays qui est notre allié et qui aspire à être le leader d’une Europe unie”.
Nathaniel Garstecka