Conférence sur l’aide aux Juifs apportée par les Polonais

Ce dimanche 4 décembre 2023, au Château Royal de Varsovie, s’est tenue une conférence sur l’aide apportée aux Juifs par les Polonais durant la Seconde Guerre mondiale et l’occupation allemande.
Forum de l’édition historique à Varsovie
.Le Forum de l’édition historique se tient chaque année à Varsovie, au Château Royal. Des dizaines de maisons d’édition y sont représentées et de nombreux événements en rapport avec l’histoire sont organisés, dont des conférences et des remises de prix.
Il s’agit de la 31ème édition du forum et comme chaque année, il est coorganisé par l’Institut de la Mémoire Nationale et parrainé par la le ministère de la Culture, celui des Affaires étrangères, la municipalité de Varsovie, l’Académie Polonaise des Sciences et la Bibliothèque Nationale.
Parmi ces événements, on a pu noter entre autres la conférence consacrée aux relations germano-russes depuis 150 ans, animée par les docteurs Grzegorz Kucharczyk, Hieronim Grala et Krzysztof Rak, qui a eu lieu le jeudi 30 novembre. Le lendemain, deux récompenses littéraires bélarusses ont été attribuées : le prix Carlos Sherman et le prix Maxime Bohdanovitch. Samedi 2 décembre, deux débats notables se sont tenus : l’un autour de la parution du livre „Le temps de la bestialité : terreur durant l’occupation de la Pologne entre 1939 et 1945” du docteur Adam Pleskaczyński et l’autre autour du livre „Guerre pour l’Ukraine, guerre pour le monde” des journalistes Piotr Zychowicz et Jacek Bartosiak.
Conférence sur l’aide apportée aux Juifs
.Le dernier jour du Forum, dimanche 3 décembre, a été marqué par une conférence dédiée à la sortie de sept tomes (près de 4 000 pages) d’une compilation de rapports sur l’aide apportée aux Juifs par les Polonais durant l’occupation allemande. Le responsable de la publication, le docteur Sebastian Piątkowski, ainsi que les docteurs Martyna Grądzka-Rejak et Konrad Graczyk de l’Institut de la Mémoire Nationale de Pologne ont pris part à la discussion, animée par le journaliste Krzysztof Ziemiec.
Le docteur Piątkowski a expliqué la manière dont il avait procédé pour constituer cette compilation, sous l’égide de l’Institut de la Mémoire Nationale, qui est composée essentiellement de comptes-rendus de témoignages de Polonais et de Juifs réunis par les commissions d’enquête sur les crimes hitlériens. Bien entendu, seule une partie des témoignages a été publiée dans ces sept tomes, mais l’historien a fait en sorte de couvrir de nombreux cas de figure différents afin d’avoir un tableau plus ou moins complet des nombreuses facettes de l’aide apportée aux Juifs par les Polonais pendant la Seconde Guerre mondiale.
Le docteur Graczyk a évoqué la législation allemande en Pologne occupée, en particulier le décret allemand du 15 octobre 1941 interdisant aux Juifs de sortir des ghettos sous peine de mort (650 ghettos ont été instaurés par les Allemands en Pologne occupée), et punissant aussi de mort les Polonais qui leur viendraient d’une manière ou d’une autre en aide. Contrairement à la plupart des autres pays occupés par l’Allemagne ou des pays alliés ou collaborateurs des nazis, ces menaces étaient régulièrement mises à exécution. On estime à 50 000 le nombre de Polonais qui ont été assassinés par les Allemands pour avoir aidé des Juifs.
Le docteur Grądzka-Rejak a traité des ressorts de l’aide apportée aux Juifs par les Polonais, ainsi que de l’attitude générale de la population polonaise. Elle a indiqué qu’il ne fallait pas s’enfermer dans une vision monochrome de la situation, qu’il ne fallait pas occulter le fait que certains Polonais pouvaient se réjouir du sort de leurs voisins Juifs mais que d’autres pouvaient au contraire mettre de côté leur animosité et risquer leur vie et celle de leur famille pour sauver un Juif inconnu, qu’il fallait tenir compte des conditions de vie et de mort imposées par les occupants aux habitants et qu’il fallait aussi être capable d’interpréter les témoignages personnels des survivants comme de ceux qui les ont aidés. Elle a rappelé que les Allemands ont instauré une véritable politique de terreur sur les terres polonaises, visant à décourager les Polonais d’aider leurs compatriotes juifs. Par exemple, les exécutions de Polonais, souvent des familles entières, cachant des Juifs avaient lieu en public et les corps étaient laissés à la vue des autres habitants du quartier ou du village.
„Honorés de la médaille des Justes parmi les nations”
.Dans un article paru dans „Wszystko co Najwazniejsze”, Monika Krawczyk, directrice de l’Institut d’Histoire Juive de Varsovie, décrit le sort de la famille polonaise Ulma et des familles juives qu’elle cachait :
„Les Juifs ont été les premières victimes de la terreur allemande. Au sein du Gouvernement général (le nom attribué par l’Allemagne à une partie des territoires polonais non incorporés au Reich), le 23 novembre 1939, un ordre est entré en vigueur selon lequel tous les Juifs de plus de 10 ans devaient désormais porter un brassard avec l’étoile de David. Cela a permis des harcèlements directs, des actes d’humiliation et des pillages. Par la suite, il y a eu une obligation de travailler, d’enregistrer ses terres, une interdiction d’utiliser les transports publics ou de quitter son lieu de résidence sans autorisation”.
Les Juifs ont été placés dans des ghettos ou envoyés dans des camps de travail. Puis est venue l’idée d’une annihilation totale. Elle a débuté en mars 1942 sous le nom d’opération Reinhardt. Sa mise en œuvre a débuté à Łańcut et dans ses environs au tournant des mois de juillet et août 1942. Les Allemands ont interdit aux Juifs de séjourner à Markowa et commencé à les déporter vers le camp de travail de Pełkinie, puis vers le camp d’extermination de Bełżec”.
„Les Juifs étaient cachés à Markowa par plusieurs familles, mais leur plus grand groupe a été accueilli par les Ulma. Dans leur maison, probablement à partir de décembre 1942, ont trouvé refuge des Juifs de Łańcut connus des Ulma – Saul Goldman avec ses fils Baruch, Mechel, Joachim et Mojżesz – ainsi que leurs voisines de Markowa, Gołda Grünfeld et Lea Didner, filles d’Estera et Chaim Goldman, un proche de Saul Goldman. Lea se cachait avec sa fillette Reszla. La femme de Saul, Gołda, avait été assassinée à Łańcut en août 1942. Il est possible qu’elle ait été cachée chez Aniela et Michał Nizioł. Aniela avait été arrêtée pour cela et assassinée, elle aussi”.
„Dans la nuit du 23 au 24 mars 1944, 5 gendarmes (Gustaw Unbehenden, Erich Wilde, Michael Dziewulski, Joseph Kokot, soit tous les effectifs du poste), sous le commandement du chef de la gendarmerie de Łańcut, Eilert Dieken, ainsi que de 4 à 6 policiers « bleus » (dont notamment Włodzimierz Leś et Eustachy Kolman) sont arrivés chez les Ulma”.
„Ils ont d’abord abattu les Juifs cachés. Puis, devant la maison, ils ont assassiné Józef Ulma et sa femme enceinte Wiktoria. Ensuite Dieken a donné l’ordre d’assassiner aussi les enfants (« pour que le village n’ait pas d’ennuis avec eux »). Au total, 17 personnes ont trouvé la mort, y compris l’enfant à naître. Les meurtriers ont ensuite dévasté la maison et se sont préparé un « petit déjeuner »”.
Nathaniel Garstecka