fr Language FlagPologne 2025. Débats présidentiels

Deux débats

Dans le cadre de l’élection présidentielle polonaise qui se tiendra le 18 mai 2025, deux débats télévises se sont tenus ce vendredi 11 avril dans la ville hautement symbolique de Konskie. D’intenses polémiques ont accompagné l’organisation de ces évènements.

Le premier débat

.Le premier des deux débats s’est déroulé sur la grand-place de la ville de Konskie, petite ville qui a gagné en importance politique ces dernières années. Il était transmis par les télévisions TV Republika, WPolsce24 et TVTrwam. Les candidats Karol Nawrocki, Szymon Holownia, Krzysztof Stanowski, Marek Jakubiak et Joanna Senyszyn y ont pris part.

Le premier a sujet a concerné la politique migratoire et le pacte européen. Krzysztof Stanowski s’est prononcé clairement contre l’implantation du pacte européen pour l’asile, de même pour Karol Nawrocki, qui a ajouté être contre la construction de centres pour migrants. Le président de la Diète, Szymon Holownia, a précisé que la Pologne avait déjà accueilli 2 millions d’Ukrainiens et qu’elle ne pouvait plus en faire davantage. Joanna Senyszyn a affirmé que le pacte était nécessaire car il garantissait l’ordre : «Sans pacte, les immigrés viendront tout de même, mais il n’y aura pas d’ordre». Marek Jakubiak a déclaré que le pacte migratoire est «dans le seul intérêt des Allemands», qui pourraient ainsi renvoyer leurs migrants en Pologne.

Sur la transformation énergétique, Krzysztof Stanowski a répondu qu’il fallait miser sur le nucléaire et rapidement construire des centrales. Karol Nawrocki a acquiescé, annonçant qu’en tant que président il favoriserait le développement de cette source d’énergie. Il a aussi proposé de ne pas clôturer les mines de charbon. Joanna Senyszyn a proposé de mettre au point un mix énergétique équilibré. Szymon Holownia a appelé à une «énergie nationale, pour ne pas dépendre des approvisionnements étrangers». Marek Jakubiak s’est opposé à la fermeture des centrales à charbon: «Pourquoi les Allemands peuvent continuer à extraire du charbon, et pas nous?».

L’économie a été au cœur du troisième sujet traité lors de ce débat. Karol Nawrocki a dénoncé l’inflation qui a cours sous le gouvernement de centre-gauche et a proposé d’accélérer la construction du CPK, grand projet de hub aéroportuaire situé au centre de la Pologne. Szymon Holownia a préféré évoquer le besoin de nouveaux investissements pour favoriser la réindustrialisation du pays. Joanna Senyszyn a ciblé les «exilés fiscaux» et soumis l’idée d’une baisse des impôts et de la TVA. Krzysztof Stanowski a précisé que le président n’avait pas suffisamment de compétences pour peser réellement sur l’économie. Marek Jakubiak a souligné le besoin de protéger l’agriculture et la production polonaises «contre les capitaux étrangers».

Le quatrième sujet a concerné une éventuelle armée européenne. Karol Nawrocki a rappelé que l’alliance la plus importante pour la Pologne était l’alliance transatlantique et a déclaré qu’il s’opposerait au fédéralisme européen. Szymon Holownia a souligné qu’il n’y avait pour l’instant pas d’alternative à l’OTAN, mais qu’il fallait renforcer les liens militaires entre les pays européens. Joanna Senyszyn souhaite que l’armée polonaise soit «grande, indépendante et bien équipée». Elle a ajouté qu’on ne pouvait pas faire confiance à Donald Trump et donc qu’il fallait se préparer à se détacher de l’alliance américaine. Krzysztof Stanowski refuse l’«outsourcing de nos forces armées» et estime que la Pologne n’est actuellement pas menacée directement. Marek Jakubiak a lui aussi défendu l’indépendance de l’armée polonaise et a précisé que la menace pouvait venir tant de l’est que de l’ouest.

«Le capital étranger devrait-il pouvoir acheter les terres et les forêts polonaises?» était la question du cinquième sujet. Szymon Holownia a défendu la protection nationale des terres. Karol Nawrocki a lui aussi refusé de laisser des capitaux étrangers acquérir des terres agricoles et des forêts polonaises. Joanna Senyszyn s’est elle aussi prononcée contre la vente des forêts nationales mais a aussi soumis l’idée d’exproprier l’Eglise de ses possessions. Marek Jakubiak a rappelé que la dernière forêt primaire d’Europe se trouve en Pologne: la Puszcza Bialowieska. «La terre appartient à la nation», a-t-il ajouté. Krzysztof Stanowski, enfin, a dénoncé l’hypocrisie des gouvernements et des médias pour ce qui est de la protection des forêts.

Le dernier sujet portait sur l’Etat de droit en Pologne. Szymon Holownia a défendu les réformes menées par le gouvernement de centre-gauche, dont il fait partie. Il a cependant appelé ses partenaires de coalition à rejoindre ses idées de réformes supplémentaires. Karol Nawrocki a déclaré que la Pologne connaissait une crise profonde et a accusé le premier ministre Donald Tusk de museler l’opposition. Joanna Senyszyn a dénoncé la politisation de la justice polonaise et a appelé à accélérer sa «guérison». Marek Jakubiak a évoqué la «prise de contrôle brutale des médias publics» par la coalition de centre-gauche. Krzysztof Stanowski a renvoyé dos à dos le gouvernement et l’opposition et les a accusés d’être conjointement responsables de la situation dans laquelle la Pologne se trouve.

En guise de conclusion, Szymon Holownia a appelé au patriotisme des citoyens et s’est positionné comme candidat du changement face au bipartisme. Marek Jakubiak a défendu la souveraineté polonaise face au fédéralisme européen. Joanna Senyszyn s’est déclarée indépendante, non soumise aux grands partis, et a défendu ses compétences économiques. Krzysztof Stanowski a conseillé aux Polonais de ne pas se laisser manipuler par les sondages et les médias. Karol Nawrocki s’est positionné comme défenseur des intérêts de la Pologne et des Polonais, dans le contexte d’un pays en proie au doute.

Le second débat

.Le second débat s’est déroulé quelques instants après la fin du premier, dans la même ville mais sans public et dans un studio installé dans un hangar. Les candidats du premier débat ont rapidement rejoint les locaux du second, diffusé par les chaînes de télévision TVP, TVN et Polsat. Aux mêmes participants se sont ajoutés les candidats Rafal Trzaskowski, actuel maire de Varsovie, et organisateur de cet évènement, Magda Biejat et Maciej Maciak.

Ici, le premier sujet abordé était la sécurité et un éventuel retour au service militaire obligatoire. Magda Biejat a écarté cette idée, préférant avoir une armée professionnelle et bien équipée. Elle a cependant mis l’accent sur le besoin de former les citoyens aux situations d’urgence. Szymon Holownia se positionne, lui aussi, en faveur d’une armée professionnelle et contre le service militaire. Marek Jakubiak a déploré le manque de réservistes en Pologne et a proposé un service militaire de 3 à 6 mois. Maciej Maciak refuse «toute forme de militarisme» et se prononce contre l’augmentation du budget de défense. Karol Nawrocki souhaite «une Pologne sûre et bien défendue» et alarme sur le manque de recrues. Joanna Senyszyn a déclaré vouloir une armée forte et bien équipée, européenne, et qui aura pris son indépendance des Etats-Unis. Elle a écarté le risque d’une guerre contre la Russie. Krzysztof Stanowski propose d’inciter les jeunes à rejoindre l’armée mais sans réinstaurer de service militaire. Rafal Trzaskowski, enfin, s’oppose lui aussi au service militaire et se prononce en faveur de la modernisation de l’armée, rappelant que la Pologne est en train de devenir l’une des premières forces militaires de l’OTAN.

La seconde question concernait l’immigration. Rafal Trzaskowski a appelé à renforcer les frontières et ne pas autoriser les immigrés illégaux à entrer sur le sol polonais. Krzysztof Stanowski a pointé les contradictions du camp de Rafal Trzaskowski, rappelant que ce dernier a été plus ouvert à l’immigration par le passé. Joanna Senyszyn a affirmé que les migrations allaient augmenter du fait du changement climatique et a appelé à assimiler les immigrés. Karol Nawrocki a évoqué ce qui se passe en Europe de l’ouest et l’augmentation de la criminalité due à l’immigration illégale. Maciej Maciak a dénoncé l’hypocrisie des gouvernements successifs et a accusé le «grand capital» d’être responsable de l’immigration, afin de disposer d’une main d’œuvre docile et bon marché. Marek Jakubiak a critiqué les agissements de l’Allemagne, qui renvoie en Pologne les clandestins arrivés par l’est. Szymon Holownia a déclaré que la frontière devait être infranchissable et a refusé de supprimer les aides sociales aux réfugiés ukrainiens. Magda Biejat souhaite «contrôler qui entre sur le territoire», mais aussi «reconnaître ceux qui sont déjà là» ainsi que leur donner la citoyenneté polonaise.

La troisième question a porté sur l’énergie. Magda Biejat s’oppose fermement à l’extraction de charbon et propose au contraire de développer les énergies «renouvelables» et le nucléaire. Elle a aussi dénoncé les achats de gaz russe. Szymon Holownia a défendu son idée de mix énergétique reposant sur le «vert» et en moindre partie sur le nucléaire. Marek Jakubiak a qualifié le charbon d’«or polonais» qui «garantit l’indépendance énergétique du pays». Il a aussi appelé à construire des centrales nucléaires. Maciej Maciak estime que développer le nucléaire équivaut à «se mettre dans les mains du capital étranger». Karol Nawrocki souhaite défendre le charbon polonais, qu’il faut continuer à extraire, tout en poursuivant le «chemin vers le nucléaire». Joanna Senyszyn a dénoncé la situation critique du secteur énergétique polonais et dénoncé l’inflation des prix de l’énergie. Krzysztof Stanowski a renvoyé dos à dos les gouvernements qui ont dirigé la Pologne, tant la droite que le centre-gauche. Rafal Trzaskowski a défendu des réformes devant mener à l’indépendance énergétique.

Le second sujet abordé traitait des questions internationales. La question portait sur les relations de chaque candidat avec des acteurs internationaux. Magda Biejat a mis en avant ses compétences linguistiques et ses liens avec les institutions européennes. Elle a déclaré collaborer avec une fondation liée à Barack Obama. Szymon Holownia a informé de ses bonnes relations avec les présidents des chambres basses des autres pays européens. Marek Jakubiak a affirmé que la Pologne devait avant tout défendre ses propres intérêts. Maciej Maciak a moqué les connaissances linguistiques dont les journalistes semblent faire une condition pour devenir président. Karol Nawrocki a lui aussi noté le «machiavélisme» de la question posée, consistant, selon lui, à «se vanter». Il en a profité pour poser un drapeau polonais sur son pupitre. Krzysztof Stanowski n’a pas hésité à déclarer ne pas avoir d’expérience diplomatique. Rafal Trzaskowski a rappelé avoir été ministre de l’Europe et député européen.

La seconde question posée concernait les premiers déplacements du futur président. Rafal Trzaskowski a déclaré que le futur président devrait visiter en priorité Washington et Paris. Krzysztof Stanowski a répondu avec humour qu’il choisirait les Maldives. Joanna Senyszyn a choisi, elle, Bruxelles, car «l’Union européenne est la plus belle chose qui ait pu arriver à la Pologne». Karol Nawrocki a clairement répondu qu’il se rendrait en priorité à Washington en passant par le Vatican «à titre symbolique». Maciej Maciak a refusé de répondre à la question. Marek Jakubiak a évoqué une éventuelle rencontre avec Marine le Pen «pour la soutenir». Szymon Holownia a mis en avant les pays voisins de la Pologne, sans citer l’Allemagne. Magda Biejat a déclaré qu’elle visiterait d’abord Vilnius, capitale de la Lituanie, appelant à renforcer les relations avec ce pays.

La troisième question de ce sujet a amené les candidats à expliciter leur direction stratégique. Magda Biejat a remis en cause l’alliance américaine. Szymon Holownia veut conserver l’alliance transatlantique tout en se focalisant sur des relations intra-européennes plus profondes. Marek Jakubiak a défendu une approche multivectorielle mais souveraine de la stratégie polonaise. Maciej Maciak a déclaré que la Pologne devait être «aimée» pour être en sécurité. Il a pris pour modèle la Hongrie de Viktor Orban. Karol Nawrocki a réitéré son soutien à l’alliance avec les Etats-Unis et s’est prononcé pour de bonnes relations avec l’Union européenne, tout en s’opposant au fédéralisme. Il a aussi évoqué le Groupe de Visegard et l’initiative des Trois-Mers. Joanna Senyszyn a mis en avant «le tronc européen de l’OTAN», en défendant l’idée d’une armée européenne. Krzysztof Stanowski a critiqué l’approche antiaméricaine de l’actuel gouvernement de centre-gauche et a appelé être davantage prévoyant dans l’approche des questions internationales. Rafal Trzaskowski a appelé à avoir de bonnes relations tant avec les Etats-Unis qu’avec l’UE et à poursuivre le réarmement de la Pologne.

Le troisième thème était l’économie. Il a été demandé aux candidats s’ils accepteraient les hausses d’impôts pour les besoins de défense. Magda Biejat a proposé de cesser les «cadeaux fiscaux aux plus riches». Szymon Holownia refuse les hausses d’impôts en évoquant les fonds de reconstruction débloqués par l’UE après l’accession au pouvoir du centre-gauche. Marek Jakubiak a déclaré que jamais il ne signerait la moindre loi prévoyant une hausse d’impôts. Il a proposé une réforme de la fiscalité afin d’assainir les entrées fiscales. Maciej Maciak s’oppose au lobbies militaires et refuse de dépenser outre mesure pour la défense. Karol Nawrocki a accusé le gouvernement de Donald Tusk d’avoir accru les déficits et a accepté l’idée de porter à 5% du PIB les dépenses militaires. Joanna Senyszyn a semblé s’inquiéter du sort des pauvres. Elle a proposé d’abaisser les dépenses militaires à 3,5% du PIB. Krzysztof Stanowski a mis l’accent sur les innovations techniques et le besoin de modernisation des forces armées. Rafal Trzaskowski a évoqué le projet de « Tarcza wschod » à la frontière est de la Pologne.

Sur la santé, Rafal Trzaskowski a déclaré vouloir moderniser les hôpitaux et augmenter le nombre de lits. Krzysztof Stanowski a déploré l’état du secteur médical en Pologne. Joanna Senyszyn a soutenu l’idée d’augmenter la fiscalité sur les médecins et a critiqué la mauvaise qualité des produits agricoles importés d’Ukraine et d’Amérique du sud. Karol Nawrocki a remarqué que tous les gouvernements avaient échoué à réformer le secteur de la santé. Maciej Maciak a une fois de plus jeté la faute sur le «militarisme». Marek Jakubiak a proposé un dégraissement de l’Etat, un assainissement des finances publiques, une baisse du nombre de fonctionnaires, afin de rendre l’administration plus efficace. Szymon Holownia a déploré l’inefficacité des méthodes jusque là employées pour tenter de réformer le secteur de la santé. Magda Biejat a proposé d’abaisser les frais bancaires afin d’améliorer l’épargne des Polonais.

La dernière question a été: «signeriez-vous une loi interdisant la vente d’alcool dans les stations-service?». Magda Biejat a répondu par l’affirmative et a affirmé ses positions écologistes. Szymon Holownia signerait aussi une telle loi, et souhaiterait aussi une loi d’«hygiène numérique» à destination des plus jeunes. Marek Jakubiak a évoqué le prix, selon lui trop bas, de l’alcool en magasin. Maciej Maciak s’est dit clairement favorable à une interdiction de la vente d’alcool dans les stations essence. Karol Nawrocki préfère mettre en avant la prévention et le sport plutôt que l’interdiction. Joanna Senyszyn a émis des doutes sur la constitutionnalité d’une telle loi. Elle a elle aussi évoqué le besoin d’une meilleure prévention. Krzysztof Stanowski préfère laisser aux citoyens la liberté de leurs choix. Rafal Trzaskowski a évoqué le besoin d’une meilleure éducation et d’une lutte contre la «haine en ligne».

Conclusion des débats – qui a gagné, qui a perdu?

.De nombreuses polémiques ont émaillé l’organisation de ces deux débats, en particulier du second. Désaccords entre états-majors, non invitation de tous les candidats, accusations de lâcheté, manipulations médiatiques… jusqu’au dernier moment on ne savait pas qui serait présent et qui serait absent. Au final, 5 candidats ont pris part au premier débat, 8 au second. Les trois qui ont refusé de participer au débat organisé par les chaînes de télévision de droite ont invoqué des motifs politiques. Parmi les candidats absents, on peut noter Slawomir Mentzen, pourtant annoncé comme troisième homme de l’élection présidentielle.

A noter que Karol Nawrocki a axé son discours sur le maintien de l’alliance américaine, tandis que la plupart des autres candidats ont proposé un rééquilibrage stratégique au profit de l’Union Européenne. Rafal Trzaskowski a été accusé d’être inconstant dans ses positions, notamment sur l’immigration et les questions sociétales. Szymon Holownia a essayé de se positionner en tant que candidat hors système, rôle jusque là dévolu à Slawomir Mentzen. Krzysztof Stanowski a assumé la caractère satirique de sa candidature, tout en assumant ses opinions politiques et pointant efficacement les absurdités du système politique et médiatique. Marek Jakubiak a essayé de se placer comme anticonformiste de droite, tandis que Joanna Senyszyn, Magda Biejat et Maciej Maciak se sont disputé le positionnement le plus à gauche, entre anticléricalisme, antimilitarisme et anticapitalisme.

S’il fallait désigner les gagnants de cette séquence agitée, il s’agirait sans doute de Karol Nawrocki et de Szymon Holownia. Les perdants sont avant tout ceux qui ne se sont pas déplacés et Rafal Trzaskowski peut être tenu pour responsable de l’imbroglio organisationnel. Le prochain débat aura lieu lundi 14 avril 2025 sur TV Republika.

Le premier tour de l’élection présidentielle polonaise se tiendra le 18 mai 2025. A un mois de l’échéance, les sondages donnent en moyenne 38% au progressiste Rafal Trzaskowski, 23% au conservateur Karol Nawrocki, 19% au national-libertaire Slawomir Mentzen et 7% au centriste Szymon Holownia. Les autres candidats ne dépassent pas les 3%.

Nathaniel Garstecka

œuvre protégée par droit d'auteur. Toute diffusion doit être autorisée par l'éditeur 12/04/2025