
Le 12 mai 1935, il y a 88 ans, s’éteignait l’un des principaux artisans de l’indépendance de la Pologne.
Résistance et indépendance de la Pologne
.Józef Piłsudski est né en 1867, dans l’actuelle Lituanie (à l’époque faisant partie de l’Empire russe). Il est issu d’une famille d’aristocrates patriotes polonais, son père ayant participé au soulèvement indépendantiste de 1863 contre la Russie. Il rejoignit dans sa jeunesse des mouvements socialistes et révolutionnaires, ce pourquoi il fut arrêté par les autorités russes et déporté dans un camp de travail en Sibérie.
A son retour de camp, il intégra les rangs du Parti Socialiste Polonais („PPS”), souhaitant poursuivre la lutte pour l’indépendance de la Pologne. Il était partisan d’une insurrection patriotique armée contre les troupes russes. De nombreux membres du PPS critiquaient le fait qu’il n’adhérait pas réellement aux thèses socialistes mais qu’il souhaitait uniquement utiliser les structures du parti afin de déclencher un sursaut national et indépendantiste en Pologne. A l’approche de la Révolution de 1905, il commença à organiser, au sein du PPS, des groupes paramilitaires, devant constituer le noyau d’une future insurrection patriotique.
Piłsudski sentait qu’un conflit militaire à l’échelle européenne pouvait éclater. Il estimait que pour que la Pologne puisse obtenir son indépendance, la Russie devait d’abord être vaincue par l’Allemagne, puis cette dernière par les Occidentaux. Après le déclenchement de la guerre, il réunifia les organisations paramilitaires qu’il avait fondées au sein d’une Légion qui devait combattre contre les Russes, au sein de l’armée austro-hongroise.
Sur le front, l’évolution de la situation semblait donner raison à ses prévisions. La Russie se faisait battre par l’Allemagne et une grande révolution s’y préparait. Piłsudski commença donc à prendre ses distances avec les puissances centrales et en conséquence fut emprisonné à la forteresse de Magdebourg. Son influence grandissait, il était considéré comme le chef des armées polonaises combattant sur le front. A ce titre, il fut inclus dans les travaux diplomatiques polonais afin de préparer la renaissance de la Pologne.
La position des Allemands se dégradant, ils libérèrent Piłsudski afin d’essayer de se concilier les Polonais. Il était cependant trop tard, le 11 novembre 1918 ils furent contraints de signer l’armistice avec les puissances occidentales et la Pologne s’apprêtait à recouvrer son indépendance.
Chef des armées et guerre contre la Russie rouge
.Ce même jour, il fut nommé commandant en chef des forces polonaises par le nouveau gouvernement en formation dont il fut chargé de prendre la tête, puis il déclara dans la foulée l’indépendance de la Pologne. Ayant été membre du PPS, c’est tout naturellement qu’il s’entoura de socialistes afin de former le premier gouvernement de la nouvelle Pologne, ce qui ne manqua pas d’irriter les Alliés occidentaux. C’est Roman Dmowski, rival nationaliste de Piłsudski, qui fut désigné afin de représenter la Pologne à Versailles en 1919.
Les visions de Piłsudski et de Dmowski sur la forme que devait prendre la Pologne indépendante étaient radicalement différentes. Le premier était nostalgique de la République des Deux-Nations et souhaitait mettre en place une union fédérative des nations d’Europe centrale et de l’est, afin de constituer une force commune contre le revanchisme allemand et russe. Ce projet fut nommé „Fédération Entre-Mers”(„Miedzymorze”). Le second était plutôt partisan d’une Pologne resserrée sur sa population ethniquement polonaise, s’opposant à la prise de contrôle de territoires qui pourrait aboutir à une mise en minorité de l’élément polonais au sein d’une „Fédération Entre-Mers”.
Il fut rapidement évident que la vision de Piłsudski ne pourrait se réaliser. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, l’Europe de l’est était agitée par les indépendantismes et les conflits territoriaux. La Pologne était dans un état de guerre quasi continue avec tous ses voisins. Le conflit le plus important fut celui avec la Russie bolchévique, qui envisageait d’exporter à l’ouest la révolution communiste. Piłsudski, qui avait entre-temps pris ses distances avec le socialisme, parvint à se rapprocher de la France. Celle-ci fit parvenir de l’aide militaire à la Pologne afin de résister aux assauts russes. Le capitaine Charles de Gaulle fit partie d’une mission militaire franco-britannique destinée à apporter son soutien à la Pologne.
En aout 1920 , les troupes bolchéviques étaient aux portes de Varsovie, la situation semblait compromise pour la jeune Pologne. Piłsudski, qui venait d’être nommé maréchal, et ses plus proches collaborateurs mirent au point un plan risqué afin d’encercler les Russes. A la surprise générale, le plan réussit et l’Armée rouge fut vaincue. On appela cette bataille „le Miracle de la Vistule”. Rassurée, la France signa une alliance avec la Pologne en 1921.
Coup d’Etat et dirigeant de la II République de Pologne
.La paix revenue, il était temps de reconstruire un pays en ruine. La Diète polonaise adopta une constitution qui restreignait les pouvoirs du président. Refusant cela, Piłsudski se mit en retrait de la vie politique. Les années qui suivirent furent une période d’instabilité gouvernementale et de crise économique. Craignant le délitement du pays et poussé par ses proches, Piłsudski organisa un coup d’Etat en mai 1926. En conséquence, il fut désigné président de la République par la Diète, ce qu’il refusa, préférant le poste de président du Conseil des ministres et ministre des affaires militaires. Restant néanmoins l’homme fort de la République, le régime semi autoritaire qu’il mit en place prit le nom de „Sanacja” („assainissement”) dans un but de stabilisation du pays et de „moralisation” de la vie politique.
Au pouvoir, il cherchait à éviter les conflits sociaux et ethniques. Les minorités religieuses, notamment les Juifs, louaient sa tolérance au moment ou l’antisémitisme montait partout ailleurs en Europe. Piłsudski considérait que l’assimilation devait se faire sur la base de la loyauté envers l’Etat, non sur la base de l’ethnie ou de la religion. A sa mort, en 1935, la condition des Juifs se détériorera néanmoins.
Enfin, Piłsudski se montra actif dans le domaine diplomatique. Après avoir signé une alliance avec la France, il se rapprocha de la Roumanie, de la Hongrie et de la Lettonie. Les différends territoriaux avec la Lituanie et la Tchécoslovaquie empêchèrent des accords avec ces deux pays. Piłsudski s’inquiéta de l’arrivée au pouvoir d’Adolf Hitler en Allemagne en 1933 et chercha le soutien du Royaume-Uni et de la France afin de contenir le revanchisme allemand. Face aux hésitations occidentales, il dut se résoudre à signer un accord de non-agression avec Hitler en 1934. De même, un traité similaire fut signé en 1932 avec l’Union Soviétique. Ayant conscience que les Occidentaux ne lui porteraient pas secours, le défi de Piłsudski et de la II République de Pologne était de trouver un équilibre entre les deux puissances impérialistes qu’étaient l’Allemagne nazie et l’URSS, les deux nourrissant une volonté de récupérer les territoires attribués à la Pologne après la Première Guerre mondiale. La Pologne refusera de s’allier à l’Allemagne afin d’attaquer l’URSS et inversement, de s’allier à l’URSS afin d’attaquer l’Allemagne. Au final, les deux puissances totalitaires s’allieront pour envahir et se partager la Pologne en septembre 1939.
Józef Piłsudski mourut le 12 mai 1935. Des commémorations furent organisées dans l’Europe entière. Après la Seconde Guerre mondiale, les communistes interdiront de célébrer sa mémoire. Il faudra attendre la chute du communisme en 1989 pour qu’il redevienne un héros national. Depuis quelques années, son idée de „Fédération Entre-Mers” refait surface dans le débat public, sous la forme d’un projet de rapprochement entre les pays de l’Europe centrale et orientale, du fait de la politique russe en Europe de l’est et des pressions idéologiques de la Commission de Bruxelles. Pour les Polonais, Józef Piłsudski reste avant tout, malgré quelques aspects controversés, le père de l’indépendance en 1918 et donc l’une des figures les plus importantes de l’histoire de la Pologne.
Nathaniel Garstecka