
Józef Haller et l’Armée bleue, symboles de la coopération franco-polonaise

En ce 150ème anniversaire de la naissance de Józef Haller, célèbre commandant des Légions polonaises puis de l’Armée bleue, on peut rappeler la contribution de la France à l’indépendance polonaise.
La Pologne dans la Première Guerre mondiale
.Partagée depuis la fin du XVIIIème siècle entre la Russie, la Prusse et l’Autriche-Hongrie, la Pologne voit ses mouvements indépendantistes écrasés les uns après les autres au cours du XIXème. Un nouvel élan de liberté prend forme au début du XXème, avec la prise de conscience que les grands empires sont faillibles, en particulier l’empire russe. Des groupes paramilitaires sont constitués, sous l’influence de Józef Piłsudski et s’apprêtent à reprendre la lutte contre l’occupant. Piłsudski émet l’hypothèse que la Pologne pourrait recouvrer son indépendance si la Russie est vaincue par les empires centraux, puis ces derniers par l’Entente occidentale.
Les territoires polonais sont le théâtre de violents combats entre les Centraux et la Russie. Par ailleurs plus de deux millions de Polonais seront enrôlés dans les armées belligérantes des deux camps et devront s’affronter. En parallèle, une Légion polonaise est formée au sein de l’armée autrichienne. Elle accueille des patriotes, des indépendantistes, des intellectuels polonais. Ses effectifs sont de 4 000 hommes au départ, mais ils montent rapidement à 15 000 puis à 25 000. Ses actions sont dirigées contre la Russie et elle parvient à obtenir quelques résultats sur le terrain.
En 1917, la révolution éclate en Russie, d’abord en février, puis en novembre. Les bolchéviques prennent le pouvoir après un coup d’Etat sanglant et sortent la Russie du conflit contre les puissances centrales. Leur principal ennemi vaincu, les Polonais doivent prendre une décision : poursuivre le conflit auprès de l’Allemagne et de l’Autriche, avec la promesse d’un Etat polonais autonome, ou bien miser sur un effondrement du front au bénéfice des Français et des Anglais et pouvoir accéder à une indépendance complète. C’est la seconde conception qui l’emporte, malgré des désaccords. Les organisations patriotiques polonaises se rangeront aux côtés des Occidentaux.
Grâce à cela, la cause de la Pologne pourra être défendue à la conférence de paix de Paris et les Français la soutiendront contre la Russie en 1919 et 1920, puis s’allieront à elle.
Si Józef Piłsudski a été la personnalité polonaise qui a marqué les esprits et qui prendra par la suite la tête du pays, d’autres ont eu une influence non négligeable sur le cours des événements. L’une d’entre elle est le général Józef Haller, commandant d’une brigade de légionnaire polonais puis de l’Armée bleue formée en France.
Józef Haller et l’Armée bleue
.Józef Haller nait le 13 aout 1873 dans une famille aristocratique du sud de la Pologne. Ses parents cultivent les traditions patriotiques polonaises, ce qui a une influence déterminante sur le jeune Józef. Son éducation se déroule néanmoins hors de Pologne : en Hongrie, en Moravie, en Autriche. Il est admis à la prestigieuse Académie militaire de Vienne, dont il ressort avec un grade de sous-lieutenant. Il fait ses armes au sein d’unités d’artillerie en Galicie, devenant commandant.
Il quitte l’armée autrichienne en 1911 et s’engage dans l’instruction patriotique de la jeunesse polonaise, notamment la formation paramilitaire. Lorsque la guerre éclate, il contribue à la mobilisation d’unités polonaises à Cracovie et à Lwów. C’est dans cette deuxième ville qu’il constitue une Légion polonaise, qui doit combattre contre les Russes au sein de l’armée autrichienne. Devant faire face aux dissensions existantes entre les personnalités notables du mouvement indépendantistes polonais (Piłsudski vise en premier la lutte contre la Russie tandis que son rival Dmowski cherche à ménager les Russes contre les Allemands), il poursuit la guerre du côté des autrichiens avec sa brigade de légionnaires.
Les événements de 1917 sont décisifs pour le destin de la Pologne. La Russie sombre dans le chaos et doit négocier la paix. Les Polonais refusent d’être envoyés sur le front de l’ouest et désertent les armées des empires centraux. La France, qui avait déjà accueilli de nombreux Polonais au sein de la Légion étrangère, décide de créer une armée polonaise spécifique, ce sera l’Armée bleue, du nom des uniformes bleus des soldats. Si dans un premier temps, les officiers sont français, ils seront progressivement remplacés par des officiers polonais, en particulier après le transfert de l’armée en Pologne. Néanmoins, certains officiers français continueront à servir dans l’unité et participeront aux combats pour l’indépendance polonaise.
Haller, qui a quitté l’armée autrichienne avec plusieurs centaines de soldats fidèles, se rend à Paris durant l’été 1918 où il est nommé général et commandant de l’Armée bleue, qui prend à l’occasion le nom d’Armée Haller. Les effectifs montent à 100 000 hommes, la formation est de haut niveau et l’équipement est moderne. En novembre 1918, après l’armistice, les troupes de Haller défilent sous l’arc de Triomphe à Paris devant les vainqueurs de la guerre. Quelques mois plus tard, l’armée est envoyée par la France en Pologne afin d’être dirigée sur le front de l’est contre les nationalistes ukrainiens puis la Russie rouge.
A l’été 1920, Varsovie est menacée par l’invasion des bolchéviques. C’est ici que se déroulera la bataille qui décidera du destin de la Pologne, puis de l’Europe entière. Les troupes de Haller sont déployées au nord de Varsovie et doivent freiner les offensives russes. Elles y parviendront au prix de lourdes pertes. La bataille est remportée par la Pologne, c’est „le Miracle de la Vistule”.
Durant les années 1920 et 1930, Józef Haller reste un opposant à Józef Piłsudski, sur le terrain politique. Après la défaite de 1939, il rejoint le gouvernement légal en exil avec Władysław Sikorski. Agé, son action est avant tout diplomatique. Il refusera de rentrer en Pologne après la prise de contrôle du pays par les communistes. Il s’installera à Londres, où il mourra en 1960 à 87 ans. Il est titulaire de plusieurs grandes décorations, en particulier le Virtuti Militari et l’Ordre de l’Aigle blanc polonais, la Légion d’honneur et la Croix de guerre françaises.
La France et l’indépendance de la Pologne
.Dans son traditionnel discours du 14 juillet, repris par „Wszystko co Najwazniejsze”, l’ambassadeur de France en Pologne de 2012 à 2016, Pierre Buhler, évoque le concours de la France à l’indépendance de la Pologne :
„[en 2017] nous commémorons la création de l’Armée polonaise en France, la célèbre Armée Haller, connue aussi sous le nom d’Armée bleue. Elle comptait environ 100 000 soldats, elle était bien équipée et est arrivée en Pologne au printemps 1919. Elle formait, avec les Légions de Piłsudski, le tronc des forces armées de ce pays”.
„Ce centenaire de la fondation de l’Armée Haller sera l’occasion de rappeler la contribution de la France à la renaissance d’un Etat indépendant polonais. Les nombreuses archives historiques accumulées dans le contexte des commémorations de la Première Guerre mondiale permettent de bien documenter ces événements”.
„Le soutien français ne s’est pas limité à ça. Durant les négociations du Traité de Versailles, le Président du Conseil Georges Clemenceau devait lutter contre Lloyd George et Woodrow Wilson afin de défendre les intérêts de la Pologne”.
„Ainsi la France, plus que tout autre pays, a participé à la renaissance et à l’établissement de l’Etat polonais. Cela concerne tout autant la guerre avec les bolchéviques – durant laquelle s’est illustré le jeune capitaine Charles de Gaulle – que la construction du port de Gdynia et la création d’une flotte de guerre polonaise”.
Nathaniel Garstecka