Le Sénat tchèque bloque la Convention d’Istanbul

Sénat tchèque

Le Palais Wallenstein, siège du Sénat tchèque, a refusé la ratification de la controversée Convention d’Istanbul. Parmi les pays du V4, seule la Pologne l’a ratifiée, en 2015.

La Convention d’Istanbul

.La „Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique”, appelée „Convention d’Istanbul” en référence à la ville où elle a été signée par plusieurs pays européens, est un document juridique contraignant proposé par le Conseil de l’Europe et ayant comme objectif principal la création d’un „cadre juridique complet et une approche pour lutter contre la violence à l’égard des femmes”.

Parmi les dispositions du texte (81 articles), on peut relever la criminalisation de plusieurs types de violences : physique, psychologique, sexuelle, harcèlement… avec un accent mis sur le cadre domestique et familial, ainsi que sur la protection des victimes.

Cependant, la Convention cherche à dépasser le seul cadre des violences directes en intégrant des concepts subjectifs, et c’est cette initiative qui est jugée controversée par les pays qui ne l’ont pas ratifiée.

En effet, il est question de „violences sexistes” (définies comme „violences dirigées contre une femme parce qu’elle est une femme ou qui affectent les femmes de manière disproportionnée”) et de lutte contre les „stéréotypes de genre”, „genre” signifiant ici „les rôles, comportements, activités et attributs socialement construits qu’une société donnée considère appropriés pour les femmes et les hommes”. Le Conseil de l’Europe a aussi souhaité renforcer la protection des femmes migrantes, rendant plus compliquées leurs éventuelles expulsions.

Enfin, un comité de surveillance des Etats signataires est institué, le „Groupe d’experts sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique” (GREVIO). De même, la Convention conforte le rôle des ONG et oblige les Etats à les faire bénéficier d’une aide politique et financière plus soutenue.

Le Sénat tchèque bloque la ratification

.Jusqu’à présent, la Convention d’Istanbul a été signée par 45 pays (sauf par l’Azerbaïdjan) ainsi que par l’Union européenne. Cependant, tous ne l’ont pas ratifiée et la Turquie en est même sortie en 2021. Ces pays sont la Slovaquie, la Lituanie, la Hongrie, la Bulgarie, la Lettonie, l’Arménie et la Tchéquie. La Pologne l’a fait sous le gouvernement centriste en 2015, juste avant les élections législatives qui ont vu la victoire des conservateurs, et ces derniers ne sont pas revenus sur cette décision.

Le Sénat tchèque vient justement de refuser la ratification de la Convention. Les voix pour étaient plus nombreuses, mais du fait des abstentions il a manqué deux voix pour que le projet soit validé. Au préalable, une longue campagne d’information, de consultations d’experts et de débats a eu lieu dans le pays, les partisans comme les opposants ayant pu être écoutés. Ainsi, chaque sénateur a voté en son âme et conscience, n’hésitant pas à rompre la discipline de parti, ce qui a donné lieu à des retournements notables. Par exemple, parmi les 34 sénateurs ayant voté pour (la majorité ayant été fixée à 36), plusieurs font partie de l’ODS (Parti démocratique civique), pourtant conservateur et membre du groupe européen CRE, tandis que parmi ceux ayant voté contre on retrouve plusieurs sénateurs sociaux-démocrates.

Les déclarations des sénateurs opposés à la ratification pointent les dispositions controversées de la convention, mais aussi l’inutilité globale du texte, étant donné que les principales mesures de lutte contre les violences envers les femmes sont déjà intégrées dans le droit tchèque, ainsi que celui de la plupart des autres pays européens. Le débat ne porte donc que sur les mesures mettant en avant des interprétations subjectives (notamment sur le „genre”) et le rôle accru des ONG. Par ailleurs, le résultat du vote au Sénat tchèque porte un coup à l’idée reçue selon laquelle seuls les pays où l’influence de la religion est forte s’opposent à la Convention d’Istanbul. En effet, la Tchéquie est profondément athée, bien plus que la plupart de ses voisins européens.

De leur côté, les partisans de la ratification ne cachent pas leur étonnement : „La Convention définit et propose des outils efficaces pour lutter contre les violences faites aux femmes, mais pas seulement contre les violences de genre. Quand j’ai lu le document pour la première fois, j’ai été persuadé que nous allions l’adopter automatiquement. Je n’aurais jamais pensé que nous étions au début d’une guerre des cultures”, a déclaré Vaclav Laska, président du parti centriste Senator 21 (membre de Renew au Parlement européen).

Mécontente du résultat du vote, la Commissaire du gouvernement aux droits de l’homme, Klara Simackova Laurencikova, a annoncé qu’une nouvelle tentative serait faite après les prochaines élections législatives de 2025, jusqu’à ce que la Convention soit finalement ratifiée.

„L’Est et l’Ouest européens ne se comprennent toujours pas”

.”Wszystko co Najwazniejsze” publie des extraits, dédiés à la compréhension mutuelles entre européens de l’est et de l’ouest, du livre de l’écrivain Michel Louyot, „Le parapluie bleu” (Editions Jalon, 2021) :

„Comment la Hongrie pourrait-elle oublier qu’elle fut dépecée des deux tiers de son territoire par le Traité de Trianon ? Comment les Tchèques pourraient-ils oublier qu’ils furent sacrifiés à Hitler en 38 sans que ni la France ni l’Angleterre ne s’y opposent ? Comment les Polonais pourraient-ils oublier qu’ils furent abandonnés un an plus tard et offerts aux deux monstres qui venaient de sceller leur Pacte ? Les blessures ne sont pas tout à fait refermées de sorte que ces pays acceptent mal les remontrances de ceux qu’ils considèrent, injustement sans doute, comme les tenants de l’Eurobolchevismus”.

„Que cela nous plaise ou non, c’est ce que ressent une partie de la population du centre et de l’est de notre continent. Il conviendrait que nous prenions davantage en compte ces divergences de vue”.

„Le fantôme dans notre placard occidental, c’est le fascisme, c’est le nazisme. Ce qui explique que nos élites intellectuelles aient longtemps adopté le réflexe communiste. « Tous ceux qui ne pensent pas comme nous sont des fascistes ». Le réflexe perdure. On fourre dans le même sac des conservateurs, des extrémistes, des traditionnalistes, des patriotes. Ce faisant, on prend le risque de les pousser à la désespérance”.

„Au centre et à l’est de l’Europe, le fantôme, c’est le communisme. Le vide laissé par sa disparition a été occupé par la religion et par le patriotisme. Un patriotisme qui peut avoir des relents de nationalisme. Mais est-ce à nous qu’il revient de prononcer des oukases ou à chacun de ses peuples de trouver sa voie vers la démocratie ? Est-ce cette Europe-là qu’ont voulue les Père fondateurs ? „

Nathaniel Garstecka

Materiał chroniony prawem autorskim. Dalsze rozpowszechnianie wyłącznie za zgodą wydawcy. 29 stycznia 2024