L’Europe centrale divisée face à Bruxelles

La Pologne, la Tchéquie, la Slovaquie et la Hongrie ne parviennent pas à s’entendre sur les questions d’Europe et l’Ukraine. Ces dissensions rompent l’unité de la région du V4 face à Bruxelles.
La Hongrie et la Slovaquie face à Bruxelles
.Les Premiers ministres de la Hongrie et de la Slovaquie, Viktor Orban et Robert Fico, ont réaffirmé, lors d’une conférence de presse commune, leur opposition au tournant centralisateur et immigrationniste de l’Union européenne. Le chef du gouvernement slovaque a déclaré que la souveraineté des pays membres de l’UE ne devait pas être abîmée. Il a aussi critiqué le nouveau pacte migratoire que Bruxelles cherche à imposer : „Nous nous opposons à la forme prise par le pacte sur l’immigration et l’asile, qui nous impose d’accueillir des migrants ou de payer des amendes”. Selon lui, les Etats doivent garder la main sur leur politique migratoire. L’amende évoquée est de 20 000 euros par clandestin refusé et par an.
Viktor Orban a aussi abordé la question cruciale de la souveraineté : „La souveraineté de nos pays doit être défendue. Nous ne sommes pas satisfaits de la volonté de Bruxelles de créer un super-Etat centralisé et nous ne sommes pas d’accord avec les initiatives visant à légitimer l’immigration illégale”.
Les deux dirigeants ont aussi déclaré vouloir conserver le principe du droit de véto des Etats membres lors des votes au Conseil européen.
En Pologne et en Tchéquie, de puissantes oppositions
.Si la Slovaquie et la Hongrie sont vent debout contre les réformes prévues par les institutions européennes, ce n’est pas nécessairement le cas de la Pologne et de la Tchéquie. La première vient de subir une alternance politique qui peut faire craindre un changement de position vis-à-vis de Bruxelles. La seconde est, quant à elle, dirigée depuis 2021 par une fragile coalition hétéroclite de partis centristes, libéraux et modérément conservateurs, qui préfère ne pas élever la voix sur les question d’Europe.
Dans les deux cas, les oppositions s’accordent sur le refus d’accorder davantage de compétences à la Commission de Bruxelles. Selon Andrej Babis, ancien Premier ministre de Tchéquie et chef du premier parti du pays (actuellement dans l’opposition), ANO 2011, ce sont des considérations politiques et idéologiques qui ont motivé les dirigeants européens à bloquer le versements des fonds à la Pologne et à la Hongrie : „La Commission européenne, composée de technocrates non élus, utilise l’argent pour décider qui sera le Premier ministre de quel pays. Ils ont échoué en Hongrie et en Pologne, c’est pour cela qu’ils leur ont bloqué les fonds. Mateusz Morawiecki ne leur plaisait pas, ils sont finalement parvenus à le faire battre. Dorénavant, c’est Robert Fico qui ne leur plait pas.”
En Pologne aussi, le premier parti du pays, le PiS, est désormais dans l’opposition contre une coalition de partis allant de la gauche au centre droit et refuse la réforme des traités européens. Beata Szydlo, Premier ministre puis vice Premier ministre du gouvernement conservateur de 2015 à 2019, députée européenne depuis 2019, défend elle aussi la souveraineté de son pays face à Bruxelles : „Le projet de modification des traités voulu par la Commission de Bruxelles nous retirerait notre droit de véto ainsi que de nombreuses compétences étatiques, comme la politique étrangère, la défense et l’énergie. Un exécutif dirigeant depuis Bruxelles tous les aspects de la vie des Européens ressemble à une dystopie orwellienne”.
L’unité du V4 menacée ?
.Dans ce contexte, mais aussi dans celui de l’aide à l’Ukraine envahie par la Fédération de Russie, la tenue des réunions du V4 est menacée. Le Premier ministre tchèque, Petr Fiala, assurant la présidence tournante de cette organisation informelle regroupant la Pologne, la Tchéquie, la Slovaquie et la Hongrie, n’a pas convoqué récemment de réunion des Premiers ministres du groupe.
Selon lui, „c’est une décision logique étant donné ce qui se passe actuellement au Conseil européen”, faisant référence au véto de la Hongrie au versement d’une aide de 50 milliards d’euros à l’Ukraine. Si la Pologne et la Tchéquie soutiennent Kiev dans sa résistance face à l’agression russe, ce n’est pas le cas de la Hongrie et de la Slovaquie.
Les questions des traités européens et de l’aide à l’Ukraine divisent profondément les pays d’Europe centrale. C’est aussi le cas des problématiques liées à l’immigration illégale. Ici aussi, les pays du V4 ne sont pas actuellement capables de parler d’une seule voix face à Bruxelles, le Premier ministre tchèque, Petr Fiala, défendant un accord européen et le nouveau gouvernement polonais semblant s’opposer à l’immigration illégale mais refusant de se positionner concrètement vis-à-vis du pacte migratoire européen.
„L’Europe centrale comme une communauté des aspirations”
.Dans un article paru dans „Wszystko co Najwazniejsze”, Andrzej Duda, Président de la République de Pologne, rappelle le rôle crucial de l’Europe centrale :
„L’Europe centrale est un excellent exemple de la force créatrice de la liberté, conjuguée dans la vie économique avec l’esprit de l’entreprise et l’autogestion. Trois domaines de coopération méritent une attention particulière. Leur impact dépasse le cadre régional, car ils s’avèrent essentiels au niveau européen, transatlantique et même planétaire”.
„Le premier est le Groupe de Visegrád, le projet politique commun le plus ancien, réunissant la Pologne, la République tchèque, la Slovaquie et la Hongrie. Initié en 1991 comme une plate-forme de dialogue politique et de coordination d’actions visant l’adhésion de ses États-membres à l’Otan et l’UE, le Groupe a prouvé son utilité aussi une fois ces objectifs stratégiques atteints. Aujourd’hui, il reste un des plus importants facteurs d’animation de la coopération régionale en Europe centrale et de la recherche de positions communes quant aux affaires européennes”.
„Le second domaine de coopération est le Groupe des neuf, formé en 2015 à Bucarest, réunissant les États de la frontière est de l’Otan : la Pologne, la Roumanie, la Lituanie, la Lettonie, l’Estonie, la Hongrie, la Slovaquie, la République tchèque et la Bulgarie. Il a pour but de rassembler les efforts en vue d’assurer là où ce sera nécessaire « une présence militaire forte, crédible et équilibrée » de l’Otan dans la région”.
„Le troisième domaine par lequel s’exprime notre volonté de coopérer étroitement dans la région est l’Initiative des Trois Mers, initiée en 2015 par moi-même et la Présidente de Croatie Kolinda Grabar-Kitarović, et regroupant les États situés entre les mers Baltique, Adriatique et Noire : l’Autriche, la Bulgarie, la Croatie, l’Estonie, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne, la République tchèque, la Roumanie, la Slovaquie, la Slovénie. L’objectif de l’Initiative est de promouvoir des investissements communs dans les infrastructures, le transport, l’industrie énergétique et les nouvelles technologies, afin de stimuler la relance économique dans nos pays et la convergence au sein de l’Union européenne tout entière”.
Nathaniel Garstecka