Le 15ème anniversaire - Nathaniel GARSTECKA

15ème anniversaire Kaczynski

[L’observatoire de Nathaniel]. Je me souviens parfaitement de ce jour, de ce moment, bien qu’il n’a pas eu de prime abord sur moi une influence déterminante: aujourd’hui nous commémorons le 15ème anniversaire de la catastrophe de l’avion présidentiel polonais à Smolensk, le 10 avril 2010.

.Ce jour-là, j’étais en leçon d’anglais. J’étudiais à la Défense, en périphérie parisienne. J’étais en 3ème année de finance et c’était l’«année internationale», c’est-à-dire que de nombreux étudiants étaient partis en Erasmus, nous accueillions, de même, de nombreux étudiants étrangers et une grande partie des cours était en anglais.

C’était samedi, mais nous avions souvent cours le samedi matin. Nous étions, dans une petite salle, une vingtaine avec notre professeur. Ce dernier était en même temps gérant d’un bar rue Mouffetard, derrière le Panthéon. Nous nous y rendions souvent pour… «réviser», disons. Je ne me souviens plus exactement sur quoi portait la leçon, ce samedi matin. A vrai dire, je n’étais sans doute pas très concentré.

Je ne me souviens plus non plus de l’heure exacte à laquelle j’ai reçu l’information. Ça devait être vers 9h30. L’un de mes camarades, qui était assis à côté de moi, m’a dit qu’il venait de se passer quelque chose avec le président polonais, qu’il y avait eu un accident d’avion. A l’époque, je ne m’intéressais pas encore à la politique polonaise. Je n’en avais d’ailleurs pas le besoin, car je n’envisageais pas encore de m’installer en Pologne. Il m’arrivait parfois d’acheter un hebdomadaire d’informations à la librairie polonaise du Boulevard Saint-Germain, mais c’était davantage pour m’exercer à la lecture que pour comprendre la politique du pays.

Je savais cependant plus ou moins qui étaient «les jumeaux» et que la Pologne avait plutôt bien résisté à la crise économique de 2008. Je m’y rendais chaque année depuis ma naissance pour y passer les vacances d’été, chez ma famille dans un village de la région de Mazuries. En juillet 2007, Jaroslaw Kaczynski, qui était alors premier ministre, était venu dans notre village et y avait tenu une conférence de presse. Il s’agissait de protester contre des revendications d’Allemands qui avaient été expulsés par les Soviétiques en 1944 et 1945 et qui voulaient «récupérer» leurs bien. Je me souviens que j’avais pris le frère de Lech Kaczynski en photo à cette occasion. Je les connaissais aussi à travers les récits de ma mère et de mon oncle. Ils les avaient côtoyés dans leur jeunesse, à Varsovie dans le quartier de Żoliborz où ils habitaient.

Mon camarade m’a répété plusieurs fois qu’il venait de se passer quelque chose de grave. Au début je n’y croyais pas, mais il m’a montré une information sur son téléphone. Le cours a été interrompu, au fur et à mesure que nous parvenaient des nouvelles. Bien évidemment, c’est à moi qu’on posait des questions pour en savoir davantage, tout le monde savait que j’étais d’origine polonaise, mais j’étais incapable de répondre à toutes les sollicitations.

Je me souviens avoir été bouleversé. Je ne saisissais certes pas encore toutes les implications de cet événement et les conséquences politiques qui en découlaient. Le brouhaha autour de la nature et des causes de la catastrophe ne nous parvenaient que par bribes. Nous ne ressentions pas non plus la force symbolique de ce qui venait de se passer. Le président Kaczynski se rendait à Smolensk pour commémorer le massacre de Katyn commis par les Soviétiques 70 ans auparavant, mais les médias français ne traitaient pas de ce sujet outre mesure.

Je me souviens, après avoir reçu les premières informations, avoir appelé ma femme (nous étions alors fiancés) pour demander confirmation et obtenir des détails supplémentaires. Au téléphone, sa voix était vacillante. Elle tremblait. Elle pleurait presque. Les Polonais semblaient bien davantage émotionnellement liés à leur président que n’auraient pu l’être les Français avec Nicolas Sarkozy à la même époque. Si ce dernier, ou l’un de ses successeurs, avait été victime d’une catastrophe similaire, je n’imagine aucune grande vague d’émotion nationale en réaction.

Ce n’est bien qu’après que j’ai commencé moi-même à comprendre le poids de ce 10 avril 2010, et c’est en m’installant en Pologne quelques années plus tard que j’ai pu constater l’atmosphère délétère qui pesait sur le pays à cause de ce qui s’était passé. Attentat, pas attentat? Commission, pas commission? Enquête russe ou pas? Reset avec Vladimir Poutine ou pas? J’ai sans doute eu de la chance de pouvoir être confronté à ce sujet de manière indirecte, plus distante.

Aujourd’hui, nous commémorons le 15ème anniversaire de la catastrophe de Smolensk, qui a coûté la vie au couple présidentiel et à de nombreuses personnalités de l’Etat polonais. Après avoir écouté de nombreux témoignages sur Lech Kaczynski et m’être renseigné sur son œuvre, je suis désormais conscient du drame que cela a été pour la Pologne et de la grande perte qu’a été la mort de ces personnes. Aussi, je n’hésite pas, en ce jour, à affirmer que Lech Kaczynski a été un bon président pour la Pologne et j’aimerais me recueillir avec la nation polonaise pour honorer sa mémoire et celle des autres victimes.

Nathaniel Garstecka

Materiał chroniony prawem autorskim. Dalsze rozpowszechnianie wyłącznie za zgodą wydawcy. 10 kwietnia 2025