
Le 9 mai 1573, Henri de Valois était choisi par la Diète de la République des Deux nations pour devenir le nouveau roi du pays. C’était la première fois que la Pologne élisait son monarque, après l’extinction de la dynastie des Jagellon – écrit Nathaniel GARSTECKA
1573 : une élection en Pologne
.Quelques années après l’Union de Lublin entre la Pologne et la Lituanie, fondant la République des Deux Nations, la mort de Sigismond II Auguste en 1572 sans descendance marque la fin de la dynastie des Jagellon. Celle-ci avait débuté deux cent ans auparavant, quand Ladislas II Jagellon, Grand-duc de Lituanie épousa Hedwige d’Anjou, reine de Pologne (notons que Hedwige descendait directement du roi de France Louis VIII) et signa l’Union de Krewo en 1385, alliance politique et dynastique entre la Pologne et la Lituanie, prélude à l’Union de Lublin en 1569.
Aucun candidat polonais n’étant crédible, la Diète, réunie pour l’occasion sous le nom de « Diète de Convocation », décide de procéder à l’élection d’un nouveau roi.
A l’époque, la Pologne est un pays qui traverse une période de paix relative, qu’on appellera plus tard son « âge d’or ». Les ambitions impériales du Grand Prince (puis Tsar) de Moscou Ivan IV « le Terrible » en direction de la baltique sont contenues par la Lituanie et par la Prusse, vassale sur roi de Pologne. La Suède est toujours engagée dans des conflits intra-scandinaves avec le Danemark et la Norvège. Le Saint Empire est plongé dans une guerre civile religieuse entre catholiques et protestants. En cette seconde moitié du XVIème siècle, il n’y a donc pas de véritable menace pesant sur la Pologne, lui permettant de développer son commerce, ses villes et son principe de liberté. C’est pour cela que la mort du dernier Jagellon provoque des inquiétudes dans le royaume. C’est afin d’éviter une guerre civile entre nobles qui remettrait en question cette période de paix que l’élection d’un monarque étranger est envisagée. Par ailleurs, elle permettrait d’améliorer les relations avec le pays d’origine de l’élu.
Ainsi, la noblesse polono-lituanienne se réunit en avril 1573 dans un petit village des abords de Varsovie, Kamien. Ce sont 40 000 personnes qui participeront aux débats. Au même moment, la Diète promulgue la « Confédération de Varsovie », acte juridique renforçant la tolérance religieuse dans la République des Deux Nations et ayant pour objectif d’éviter que les tensions entre catholiques et protestants ne s’étendent au pays depuis le Saint Empire. Ce texte devra être validé par le roi nouvellement élu, ainsi qu’une série d’articles (qui seront appelés « henriciens » après l’élection du roi Henri) établissant les règles de gouvernance de la monarchie élective et mettant en avant le rôle prépondérant de la Diète et de la noblesse ainsi que le respect de la liberté religieuse.
L’élection étant déclarée « libre », des candidatures de plusieurs pays furent soumises à la Diète. Parmi les plus notables, on peut citer celle de l’archiduc Habsbourg Ernest d’Autriche, celle du roi de Suède Jean III, celle du Tsar Ivan le Terrible et celle de Henri, frère du roi de France Charles IX. Chacune de ces candidatures a ses avantages et inconvénients et chacune obtient des soutiens parmi la noblesse de la Républiques des Deux Nations. L’élection d’Ivan le Terrible permettrait de mettre fin aux tensions avec la Russie, mais Ivan était connu pour sa brutalité. Jean III était marié à Catherine Jagellon, son choix aurait représenté une sorte de poursuite de la tradition jagellone, mais il était protestant tandis que la grande majorité de la noblesse polono-lituanienne était catholique. La candidature des Habsbourg était crainte du fait de la limitation du rôle de la noblesse au profit de celui du pouvoir aristocratique que l’on pouvait observer à l’époque dans l’Empire. Les regards finirent donc par se porter sur le candidat français.
Henri de Valois
.Henri est né à Fontainebleau en 1551. Son père est le roi Henri II et sa mère Catherine de Médicis. Etant leur quatrième fils, il se trouve loin dans l’ordre héréditaire. Henri II meurt en 1559 et c’est Charles IX qui devient roi de France. Le royaume est alors marqué par les guerres de religion entre catholiques et protestants. Henri, en tant que frère du roi, mène les armées royales contre les protestants et s’illustre sur le champ de bataille, notamment lors de la bataille de Jarnac, remportée par les catholiques. Il gagne rapidement en popularité, ce qui finit par irriter Charles, qui songe à une façon d’écarter son frère. Cette occasion s’avérera être l’élection en Pologne.
Catherine de Médicis engage fortement la candidature de son fils Henri au trône de Pologne. Elle envoie l’évêque de Valence, Jean Monluc, en mission afin de convaincre la noblesse polonaise. Monluc saura parfaitement s’acquitter de sa tâche, qui ne sera pourtant pas évidente. En effet c’est durant les délibérations de la Diète que parviendra aux oreilles des nobles la nouvelle du massacre de la Saint-Barthélemy et de l’implication d’Henri dans cet événement. Les Polonais étant réticents à importer l’intolérance religieuse, ils doutèrent un temps de la légitimité de la candidature du Valois.
L’ambassade française redoubla cependant d’efforts. Le trône de Pologne était convoité par Catherine de Médicis, qui voyait l’opportunité d’encercler les Habsbourg et de participer au commerce sur la mer baltique, dynamique et florissant. En parallèle, les candidatures concurrentes ne parvenaient pas à susciter l’enthousiasme. Le Tsar Ivan exigeait l’incorporation de la Lituanie à la Russie tandis que les soutiens de Jean III menacèrent d’utiliser la force. Les talents diplomatiques de Monluc, les promesses de respecter les traditions gouvernementales polonaises et la tolérance religieuse, la perspective d’obtenir un allié riche et puissant à l’ouest finirent de convaincre les 40 000 nobles polonais et lituaniens réunis à Kamien.
Le vote se déroula et le 9 mai 1573, il y a 450 ans, Henri de Valois obtint une écrasante majorité des voix et fut élu, à l’âge de 21 ans, roi de la République des Deux Nations, pays à l’époque disposant d’un territoire plus vaste mais moins peuplé que le Royaume de France (800 000 km2 et 6 millions d’habitants contre 450 000 km2 et 16 millions d’habitants en France). L’élection mit ainsi fin à l’interrègne polonais qui durait depuis la mort de Sigismond II le 7 juillet 1572.
Un roi français à la tête de la Pologne
.Le 11 mai, l’archevêque de Gniezno et primat de Pologne Jakub Uchanski valide l’élection de Henri, désormais Henri Ier, Roi de Pologne et Grand-duc de Lituanie. Le 16 mai, Henri prête serment, via la délégation française, sur les « Articles Henriciens » et la Confédération de Varsovie. Il s’engage ainsi à respecter les privilèges de la noblesse, le principe de monarchie élective (non héréditaire), les prérogatives de la Diète sur la politique étrangère et la tolérance religieuse. Le nouveau système étatique de la République des Deux Nations se voyait donc confirmé. Il restera en vigueur jusqu’à son abolition en 1791 au moment de l’adoption de la Constitution du 3 mai, qui renforce le pouvoir royal et réinstaure le principe d’hérédité du trône.
De son côté, Henri n’est pas pressé de quitter la France. Il devait d’abord établir avec son frère, le roi de France Charles IX, les modalités de coopération entre les deux pays. Il savait aussi qu’en tant que roi de Pologne, son pouvoir serait assez limité. Face à l’insistance de Charles, impatient d’éloigner son rival, de sa mère et des délégations polonaises, il finit par arriver en Pologne au début de l’année 1574.
Il est sacré roi de la main de Jakub Uchanksi à Cracovie (la capitale), à la cathédrale du château de Wawel mais, premier accroc, rejette l’idée d’un mariage avec Anna Jagellon. Anna, âgée de 50 ans, est la sœur de Sigismond II, précédent roi de Pologne et dernier représentant de la dynastie des Jagellon. La noblesse polonaise souhaitait que le nouveau roi l’épouse afin de maintenir une tradition dynastique. Henri repoussa la proposition, notamment choqué par la différence d’âge entre Anna et lui.
Par ailleurs, Henri et sa cour (il avait emmené avec lui de nombreux courtisans et dames de cour) se heurtèrent aux différences culturelles entre la France et la Pologne. La langue, bien entendu, mais aussi les mœurs. Amateur de beaux vêtements, décorations, bijoux et parfums il est incompris de la noblesse polonaise qui juge ces manières efféminées (des rumeurs d’homosexualité sont même véhiculées), frivoles et peu sérieuses. Malgré les progrès économiques effectués par la Pologne, les campagnes restent pauvres en comparaison aux campagnes françaises et les récoltes sont plutôt mauvaises du fait d’un climat rude, ce qui indigne Henri.
Son manque d’expérience politique et sa non connaissance de la langue polonaise contribuent à le cantonner à des fonctions honorifiques, tandis que la Diète gère les affaires courantes du royaume. Par conséquent, Henri ne parvient pas à s’intéresser à son environnement et à la situation du pays. Il s’occupe en loisirs et organise de nombreuses fêtes. Il est néanmoins ébloui par le château royal de Wawel, plus grand et mieux agencé que le Louvre.
Si Henri est agacé par son manque de pouvoir (bien qu’il ait finalement refusé de signer certaines dispositions des Articles Henriciens) et par les intrigues nobiliaires, il est surpris par le calme relatif qui règne en Pologne. Au même moment, les guerres de religion font rage en France et dans les principautés allemandes. Le modèle polonais de tolérance et de liberté semble alors inédit en Europe. Pour autant, il ne souhaitera pas instaurer un système semblable à son retour en France.
Henri ne lie pas son avenir avec celui de la Pologne. En juin 1574, soit cinq mois après son couronnement, il apprend que son frère Charles IX est mort de maladie à l’âge de 24 ans, sans descendance mâle et que le trône de France est vacant. Sans hésiter, il s’échappe de Cracovie sans en avertir la Diète polonaise et se rend en France en passant par l’Autriche et l’Italie. Une fois sur place, il est sacré dans la cathédrale de Reims et devient ainsi Henri III, roi de France. Son règne durera jusqu’à son assassinat en aout 1589 et sera marqué par l’instabilité du royaume et la poursuite des guerres de religion.
Les Polonais tenteront de le faire revenir à Cracovie, mais face à son refus déterminé, devront se résoudre à proclamer une nouvelle période d’interrègne et organiser une nouvelle élection en décembre 1575 au cours de laquelle le prince de Transylvanie Étienne Báthory sera désigné roi. Henri souhaitera malgré tout conserver son titre de Roi de Pologne et Grand-duc de Lituanie jusqu’à sa mort.
L’une des premières pierres du grand édifice de l’amitié franco-polonaise
.Si le règne polonais d’Henri n’a pas marqué les esprits de l’époque, il a pourtant eu des conséquences importantes sur l’histoire de la Pologne ainsi que sur les relations franco-polonaises. La Confédération de Varsovie et les Articles Henriciens seront confirmés par tous les rois élus jusqu’à la proclamation de la Constitution du 3 mai 1791. Ainsi, les institutions étatiques de la République des Deux Nations et le principe de liberté religieuse survivront pendant deux siècles. Pour le meilleur (rejet de l’absolutisme centralisateur et des persécutions religieuses) comme pour le pire (anarchie nobiliaire et faiblesse de l’Etat). Malgré l’échec de cette première tentative de rapprochement entre la France et la Pologne, cette nouvelle amitié sera concrétisée à de nombreuses reprises par la suite. Trois rois de Pologne prendront des Françaises comme épouses (Ladislas IV Vasa, Jean II Casimir Vasa et Jean III Sobieski) et Marie Leszczynska se mariera avec Louis XV et sera la grand-mère des trois derniers rois de France: Louis XVI, Louis XVIII et Charles X. Les liens culturels entre les deux pays se développeront aux XIXème siècle avec d’abord l’alliance napoléonienne puis avec les vagues d’émigrations de nobles, d’intellectuels et d’artistes polonais vers la France. Le 450ème anniversaire de l’élection de Henri de Valois au trône de Pologne-Lituanie nous rappelle donc que ce fut l’une des premières pierres du grand édifice de l’amitié franco-polonaise.
Nathaniel Garstecka