fr Language FlagPourquoi Karol NAWROCKI a-t-il gagné? [Michał KŁOSOWSKI]

Pourquoi Karol NAWROCKI

Pourquoi Karol NAWROCKI a-t-il gagné? L’issue de l’élection présidentielle en Pologne n’est pas un simple résultat politique. C’est bien plus : une sismographie sociale qui révèle un profond clivage, non pas entre partis, mais entre classes sociales. 

.La présidentielle en Pologne, remportée par Karol Nawrocki, candidat citoyen soutenu par Droit et Justice, a opposé non pas tant des programmes que deux visions du pays : la Pologne populaire et celle des élites. Et c’est dans cet affrontement qu’a été révélé le véritable enjeu – le mandat de gouverner et le statut du contrat social – qui concerne non pas un pays, mais une grande partie de l’Europe. Car personne ne se fait probablement d’illusions qu’il s’agit là d’un carton jaune adressé à ceux qui ont représenté le système. Pourquoi Karol Nawrocki?

Ces dernières années, on avait de plus en plus l’impression que les élites politiques, médiatiques et économiques s’étaient coupés des réels problèmes des simples citoyens. La rhétorique sur les valeurs européennes, la transformation verte et la nécessité de moderniser la Pologne restait souvent incompréhensible pour ceux qui ne cessent de lutter pour leur survie, la dignité du travail, l’égalité des chances, pour simplement rattraper l’Occident, libérés de leurs complexes et de leurs illusions et de plus en plus conscients des problèmes des pays comme la France ou la Grande-Bretagne notamment les carences des modèles de développement adoptés par ces pays, qui se traduisent aujourd’hui par des crises visibles dans les rues de leurs villes. Ces gens se sont sentis abandonnés et ont décidé de exprimer leur voix haut et fort lors de cette présidentielle, en donnant un carton rouge à l’élite varsovienne. Cela s’est déjà manifesté dès le premier tour : l’électorat lassé par la classe politique a voté à près de 40 % contre elle.

Lors de ce scrutin, un affrontement classique s’est également produit : le centre contre la périphérie, les grandes villes contre la province, les bénéficiaires de la transformation, telle qu’elle s’est opérée après 1989, contre ses victimes, ou du moins ceux qui n’ont pas tiré des changements systémiques autant qu’ils espéraient. Les candidats et les milieux assimilés aux élites pouvaient compter sur le soutien d’électeurs métropolitains bien éduqués, tournés vers l’Ouest et symboliquement séparés du « reste du pays ». Pendant ce temps, l’autre Pologne, celle absente du discours, « sous-représentée », « tue », a réagi par la mobilisation, la colère et l’espoir de changement, misant sur des candidats aux valeurs radicalement différentes. Même si le passé du vainqueur était censé être son plus grand fardeau, sa biographie – de hooligan à homme d’État – s’est avérée gagnante. Car c’était l’histoire dont les Polonais avaient besoin, toujours avides de succès, malgré les erreurs commises.

Pourquoi Karol Nawrocki? Il ne s’agissait pas simplement d’élire une personne à la plus haute fonction de l’État. C’était un acte de rébellion contre le statu quo. Un de plus, contre un pouvoir de plus. Un acte de désaccord avec le fait que le mandat de gouverner soit exercé par des élites qui, aux yeux des classes populaires, ont perdu tout lien avec elles. Les électeurs ont dit « assez » non seulement à certains visages, mais à l’ensemble du modèle d’exercice du pouvoir, qui ignorait les tensions sociales, étouffait les voix de l’opposition et créait l’impression d’un système fermé sans alternative : médiatique, politique, social, ignorant les problèmes des citoyens ordinaires qui, malgré leur niveau de départ plus modeste, n’ont pas moins d’appétit.

La Coalition civique de Donald Tusk s’est présentée aux législatives de 2023 avec des slogans similaires : renverser la table après huit années de régime conservateur qui, de l’avis des citoyens ordinaires, avait commencé à se la jouer un peu trop. La vérité est que les Polonais ne veulent pas être gouvernés par des « élites de salon », indépendamment de qui il s’agit. Se détacher des véritables problèmes des Polonais s’avère toujours désastreux pour ceux qui gouvernent. S’agit-il simplement d’une question de discorde polonaise, d’une méfiance inscrite dans leur ADN, ou de quelque chose de plus ? Il est possible que tous ces éléments y jouent leur rôle.

.En ce sens, la présidentielle de 2025 s’inscrit ainsi dans la continuité d’une tendance plus large que nous observons à l’échelle mondiale – du Brexit à l’élection de Donald Trump, des manifestations des Gilets jaunes aux succès des populistes en Europe ou à l’érosion de la confiance dans les institutions internationales. C’est le même mécanisme : une révolte contre une classe dirigeante qui a perdu le contact avec la réalité et qui, se considérant infaillible, a rompu le contrat social. Et ce n’est pas la fin de la histoire ; c’est juste un nouveau chapitre.

Michał Kłosowski

œuvre protégée par droit d'auteur. Toute diffusion doit être autorisée par l'éditeur 02/06/2025