fr Language FlagVladimir Poutine manipule à nouveau l’histoire

Poutine

Dans un discours télévisé, le président de la Fédération de Russie s’est à nouveau livré à un exercice de révisionnisme, notamment en accusant la Pologne de vouloir prendre des terres à l’Ukraine.

La Russie manipule à nouveau

.Dans une allocution télévisée durant le Conseil de Sécurité de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine a prononcé plusieurs phrase controversées, sur des sujets d’actualité mais aussi d’histoire.

„C’est grâce à l’URSS et à la position de Staline que la Pologne a pu obtenir ses territoires occidentaux, pris à l’Allemagne. Ainsi, ces territoires sont un cadeau de Staline à la Pologne. Nos amis de Varsovie l’auraient-ils oublié ? Nous le leur rappellerons”. Hormis la menace à peine voilée contenue dans ces propos, force est de constater que nous avons affaire ici à une pure manœuvre de propagande dans le style soviétique. Ce qui est à rappeler avant tout, c’est que l’Union Soviétique de Staline a pactisé avec l’Allemagne nazie de Hitler en aout 1939. Les deux puissances totalitaires ont envahi conjointement la Pologne (alliée de la France) le mois suivant, se partageant le pays et y instaurant des occupations totalitaires et génocidaires. Des dizaines de milliers de Polonais furent massacrés par les Soviétiques avant et pendant la guerre, des centaines de milliers déportés. L’alliance Hitler-Staline dura jusqu’en 1941, quand Hitler la rompit unilatéralement. L’URSS remporta la guerre et occupa à nouveau la Pologne, lui prenant les régions de Wilno (Vilnius), Baranowice, Brzesc (Brest-Litovsk), Lwow (Lviv) et Stanislawow, mais lui attribuant celles d’Olsztyn, Gdansk, Szczecin et Wroclaw. L’URSS en profita pour annexer illégalement la Prusse orientale, l’actuel oblast de Krolewiec (Kaliningrad). Au final, la Pologne perdit davantage de terres qu’elle n’en gagna, malgré le fait qu’elle ait combattu contre l’Allemagne nazie dès le premier jour de la guerre et sans discontinuer jusqu’à la toute fin. Elle resta dirigée par l’URSS jusqu’en 1989, ses habitants vivant dans la pauvreté et les répressions communistes.

„En 1920, les Polonais se sont emparés d’une partie de la Lituanie, de la région de Vilnius. Ils se sont ensuite battus contre le soi-disant « impérialisme russe ». Puis Ils ont participé à la partition de la Tchécoslovaquie par Hitler”. En réalité, la région de Wilno était peuplée depuis des siècles par une majorité de Polonais, et le territoire devait être confié à la Pologne selon les directives de la Conférence de paix de Paris en 1919 (la ligne Foch). La ville fut prise par la Russie rouge en 1920 et attribuée à la Lituanie, en échange d’un droit de passage pour les armées bolchéviques et malgré les protestations polonaises. Un bref conflit éclata entre la Pologne et la Lituanie et se solda par une victoire polonaise.

Pendant que la Pologne luttait à l’est, la Tchécoslovaquie viola l’accord mutuel avec la Pologne concernant la partition du duché de Cieszyn et l’envahit dans on intégralité. En 1918, les deux pays avaient convenu d’une ligne de démarcation respectant la répartition ethnique entre Tchèques et Polonais. La Tchécoslovaquie profita que la Pologne était occupée à ses frontières orientales afin de s’attribuer tout le duché. Les Polonais réagirent et limitèrent les pertes, mais durent admettre les gains tchécoslovaques. La situation ne se détendit jamais. En 1938, lors des Accords de Munich, les puissances occidentales validèrent les revendications allemandes sur les Sudètes, scellant le sort de la Tchécoslovaquie. La région de Cieszyn devait initialement revenir à l’Allemagne, mais la Pologne prit Hitler de court et occupa le territoire que lui avait enlevé Prague en 1919, et juste celui-là. En d’autres termes, la Pologne ne fit qu’empêcher Cieszyn d’être annexé à l’Allemagne, la Tchécoslovaquie étant destinée à disparaître.

Enfin, Poutine reproche à la Pologne d’avoir combattu „le soi-disant « impérialisme russe »”. Doit-on rappeler la volonté de Lénine d’exporter la Révolution à l’Europe entière ? Le commandant des armées russes, Mikhaïl Toukhatchevski lança un appel en juillet 1920 : „Sur le cadavre de la Pologne blanche s’illumine le chemin vers la révolution mondiale. Marchons sur Vilno, Minsk, Varsovie!”. Les Russes pensaient à l’époque pouvoir vaincre rapidement la Pologne et faire leur jonction avec les mouvements révolutionnaires allemands, ce qui aurait embrasé l’Europe entière.

En 1920, la Pologne a été le rempart de la civilisation occidentale face à la révolution bolchévique mêlée à l’impérialisme russe et à son „drang nach westen” historique.

Poutine manipule non seulement le passé, mais aussi le présent

.”Les dirigeants polonais veulent se mettre à l’abri sous le parapluie de l’OTAN, monter directement une coalition et s’engager dans le conflit en Ukraine afin de s‘emparer des territoires occidentaux de l’Ukraine, qui selon eux leur appartiendraient historiquement”. En réalité, les Pologne n’a nulle intention d’entrer en guerre contre la Russie. Le président polonais Andrzej Duda l’a récemment rappelé dans un entretien au journal allemand „Bild” : „Si l’Ukraine devait être admise dans l’OTAN aujourd’hui, pendant la guerre, elle exigerait d’abord que l’article 5 soit invoqué. Ensuite, les autres États alliés devraient aider à défendre l’Ukraine, donc il y aurait la guerre. Nous ne voulons pas admettre un pays dans l’OTAN quand il est en guerre. Quand la guerre sera finie, je veux que l’Ukraine soit admise le plus tôt possible”. La position polonaise est claire : il faut aider l’Ukraine à résister à l’invasion russe, sans pour autant s’engager militairement à ses côtés. La Pologne est un Etat membre de l’OTAN et refuse de prendre part à un conflit sans l’aval de ses alliés. Par ailleurs, la Pologne n’entretient aucune revendication territoriale envers l’Ukraine. Ces deux pays ont confirmé l’intangibilité de leur frontière commune en 1992 et comptent respecter leur accord. La Russie, cependant, a violé les traités frontaliers avec l’Ukraine, en 2014 et 2022.

„La Pologne vise aussi à s’accaparer des territoires biélorusses”. En réalité, la Pologne a déployé des troupes près de la frontière avec le Belarus suite à l’arrive du groupe paramilitaire Wagner en soutien à Minsk. Le ministère de la défense du Belarus a confirmé que les troupes de Wagner devaient se livrer à des exercices avec des forces spéciales locales, non loin de Brzesc, à la frontière polono-biélorusse. En réaction, la Pologne a décidé de l’envoi de deux divisions militaires à la frontière. Tout comme avec l’Ukraine, la Pologne ne souhaite pas attaquer le Belarus et n’a aucune revendication territoriale envers ce pays.

Ce n’est pas la première fois que Vladimir Poutine manipule ainsi les tragédies de l’histoire afin de justifier son impérialisme. Viatcheslav Volodine, président de la Douma, Sergueï Lavrov, ministre des Affaires étrangères, ou Dimitri Medvedev, ancien Président et Premier ministre (président du gouvernement), sont eux aussi coutumiers du fait. C’est donc à nouveau le cas aujourd’hui.

Réaction polonaise

.La réaction de la Pologne aux propos tenus par Vladimir Poutine ne se sont pas fait attendre. Le Premier ministre, Mateusz Morawiecki, a déclaré que Staline était un criminel de guerre, responsable de la mort de centaines de milliers de Polonais. Il a aussi annoncé la convocation de l’ambassadeur de Russie. „La vérité historique ne peut faire l’objet de telles manipulations”, a-t-il ajouté.

Le président de la commission des affaires étrangères, Radoslaw Fogiel, a complété : „Vladimir Poutine utilise la narration préparée par les services spéciaux russes, afin de créer des tensions entre la Pologne et l’Ukraine et de décrédibiliser notre pays. C’est à cause de Poutine que nous devons faire davantage attention au Belarus aujourd’hui, du fait du déploiement d’armes nucléaires et de soldats du groupe Wagner”.

Dans un article cité par „Wszystko co Najwazniejsze”, le vice-ministre des Affaires étrangères, Pawel Jablonski, commente les déclarations du Président russe : Poutine rêve d’un retour au temps de Staline. En parlant de supposés cadeaux que nous aurions reçu de Staline, il ment cyniquement car nous avons perdu davantage de terres, nous avons été envahis et occupés par les Soviétiques pendant 50 ans. Il faut le rappeler car la manipulation historique est une arme pour Poutine dans le contexte de guerre hybride qu’il nous mène”.

Nathaniel Garstecka

œuvre protégée par droit d'auteur. Toute diffusion doit être autorisée par l'éditeur 22/07/2023