„Washington Post” – la Russie soutient les mouvements pacifistes en Allemagne

Le Kremlin essaierait de faire se rapprocher l’extrême gauche et l’extrême droite allemandes afin de créer un bloc de soutien à la Russie. Ce sont les conclusions de l’analyse de documents russes par le „Washington Post”.

„The Washington Post”: Soutien russe au pacifisme anti-occidental

.Selon des documents russes obtenus par un service de renseignement européen et analysés par le journal américain, le Kremlin aurait mis en place une stratégie visant à renforcer le soutien à la Russie auprès de la population allemande. Cette stratégie passe par le soutien aux mouvements pacifistes d’extrême gauche et d’extrême droite. Plus particulièrement sont visés les mouvements organisés par les partis „Die Linke” (extrême gauche) et „AfD” („Alternative für Deutschland”, extrême droite). L’article met notamment en avant la députée „Die Linke” Sarha Wagenknecht, qui a organisé une manifestation de 13 000 personnes à Berlin, contre l’envoi d’aide militaire à l’Ukraine, en février 2022. Sa popularité au sein de la société allemande progresse: selon un sondage pour le magazine allemand „Der Spiegel”, elle pourrait compter sur 24% des suffrages lors d’éventuelles élections législatives.

„The Washington Post” annonce avoir trouvé des traces de réunions entre officiels du Kremlin travaillant sur une stratégie de ciblage de l’Allemagne, ce pays étant jugé prioritaire pour le développement de la propagande russe du fait de sa position de première puissance européenne. Ces réunions auraient été organisées par Sergueï Kirienko, Directeur adjoint de l’Administration présidentielle de la fédération de Russie et proche de Vladimir Poutine.

Certaines manifestations pacifistes en Allemagne ont attiré l’attention des observateurs occidentaux. Des slogans favorables à la Russie y étaient scandés, ainsi que des slogans hostiles aux organisations occidentales comme l’OTAN ou l’UE. Par ailleurs, des membres de „Die Linke” et de l’ „AfD” se mêlent conjointement à ces manifestations, ces deux partis étant des habitués des déclarations critiques à l’égard du soutien apporté par l’Allemagne à l’Ukraine.

La manipulation de mouvements pacifistes, une stratégie russe ancienne

.Soutenir les mouvements pacifistes en Occident, en Allemagne en particulier, n’est pas une stratégie nouvelle. Dès les années 70, les Soviétiques finançaient les protestations civiles en Allemagne contre l’arrivée de missiles américains Pershing II en réponse au déploiement de missiles soviétiques SS-20.

Que ce soit dans les années 70 du siècle précédent ou dans les années 20 de celui-ci, la rhétorique est similaire: exiger une paix rapide avantageuse pour l’URSS/la Russie, dénoncer le prétendu bellicisme des Occidentaux, mettre en avant la volonté soviétique/russe de libérer les peuples du capitalisme, du fascisme, de l’impérialisme. Une telle stratégie a porté ses fruits aux États-Unis lors de la guerre du Vietnam. Parmi les illustrations de cette rhétorique, on peut relever les arguments selon lesquels les Américains via l’OTAN encerclent militairement la Russie, que cette dernière ne fait que se défendre ainsi que protéger les populations russophones dans son voisinage, que les Ukrainiens sont corrompus et adeptes de l’idéologie nazie. Notons que ces arguments sont souvent repris par les mouvements d’extrême gauche français et par ceux de droite dite „souverainiste”.

En témoignage de cette „convergence des luttes” entre extrême gauche et extrême droite et de la continuité de l’implication russe dans les mouvements pacifistes anti-occidentaux, „The Washington Post” cite l’exemple de Jürgen Elsässer, éditeur d’un périodique favorable à l'”AfD”, qui a mené des manifestations pacifistes en Allemagne dans les années 80 et qui soutiendrait dorénavant la candidature de Mme Wagenknecht à la Chancellerie.

L’objectif de la Russie est clair: saper l’unité et la solidarité du monde occidental, fragiliser sa détermination, remettre en question sa conception de la sécurité et de la liberté. La Russie doit passer pour la bouée de sauvetage d’une civilisation proche de la disparition.

La propagande russe, une arme utilisée aussi contre la Pologne

.En dehors du ciblage des mouvements pacifistes français et allemands, la propagande russe se manifeste par des attaques continues contre la Pologne, et ce depuis des siècles. Par exemple, durant le soulèvement indépendantiste polonais en 1863. Henryk Głębocki, historien et universitaire polonais et chargé de cours à l’Université Jagellonne, détaille les coulisses de cette propagande, qu’on peut comparer à celle de 2022-2023 contre l’Ukraine et l’Occident :

„À l’été 1863, les craintes que l’intervention diplomatique des superpuissances pour la défense des Polonais ne se transforme en guerre ouverte avec l’Occident étaient à leur comble. Une grande partie de l’establishment impérial croyait qu’une telle confrontation pourrait se terminer comme la guerre de Crimée perdue. Lorsque l’impératrice a envoyé le général Mikhail Muravyov, déjà désigné alors par le surnom de Veshatel (bourreau), pour réprimer le soulèvement en Lituanie, elle lui a demandé avec inquiétude s’il serait possible de sauver au moins une partie des territoires polonais annexés par la Russie, considérant le Royaume de Pologne comme perdu. Compte tenu de la situation, il est devenu crucial de façonner l’opinion publique occidentale et d’affaiblir la pression qu’elle exerçait sur les gouvernements pour aider les Polonais. Ainsi, en juin 1863, nul autre que le ministre de la guerre Dmitry Milyutin a lancé une initiative visant à créer de nouveaux organes de propagande indépendants des institutions officielles peu performantes. Le journal de Milyutin avait déjà constitué une équipe de publicistes doués dont la rhétorique moderne résonnait mieux auprès des lecteurs occidentaux libéraux. Les arguments qu’ils utilisaient mettaient en évidence le fait que, dans son affrontement avec les Polonais, la Russie était une force de progrès combattant l’anarchie féodale de la noblesse.”

Il ajoute: „C’était le premier exemple d’une utilisation à grande échelle de thèmes ethniques : selon les Russes, les Polonais, tout en se référant à leur droit à la souveraineté et les concepts démocratiques dans leurs pourparlers avec l’Europe, opprimaient eux-mêmes dans les territoires annexés par la Russie la population « russe » qui leur était ethniquement différente. Les paysans lituaniens, biélorusses et ukrainiens, traités comme faisant partie du russkiy mir (c’est précisément à cette époque que le terme a gagné en popularité), auraient été protégés par le gouvernement tsariste qui a lancé les réformes d’affranchissement en 1861. Milyutin avait personnellement présenté son initiative au tsar, en proposant que les journaux d’Europe occidentale publient à la fois des articles originaux dans les langues locales et des traductions des textes de la presse russe.”

„[Le ministre russe de la guerre Dmitry Milyutin] avait suggéré que la priorité soit donnée à la promotion des points de vue russes sur les relations nationales et historiques dans les terres occidentales de l’empire et à la démonstration de la façon dont le peuple « russe » avait était opprimé par la noblesse polonaise. Pour s’assurer du succès de l’initiative, l’implication du gouvernement russe devait rester secrète.”

Nathaniel Garstecka

Materiał chroniony prawem autorskim. Dalsze rozpowszechnianie wyłącznie za zgodą wydawcy. 22 kwietnia 2023