fr Language FlagKarol Nawrocki et l’animosité des médias français [Nathaniel GARSTECKA]

Karol Nawrocki et l’animosité des médias français

On a beau le leur expliquer, ça ne veut toujours pas rentrer. Le président polonais Karol Nawrocki, qui vient d’effectuer son premier déplacement à l’international, hautement symbolique, aux Etats-Unis et en Italie, continue à être traité avec mépris et paternalisme par les médias français, même ceux étant censés être sérieux. Agaçant.

.Trois mois après son élection, un mois après sa prise de fonctions, on pourrait penser que les médias français ont eu  le temps de se renseigner un peu davantage sur le nouveau président polonais Karol Nawrocki. En 2025, avec l’accès facile et rapide aux moyens d’information et de communication, ce n’est pourtant pas bien compliqué. Interroger des experts, diversifier les sources, se poser les bonnes questions, en d’autres termes effectuer un travail de journaliste avec objectivité et déontologie…

Que des feuilles militantes comme L’Humanité ne présentent pas les problématiques liées à l’Europe centrale et à la Pologne de manière objective, à la rigueur on pourrait comprendre. Que Le Grand Continent ne le fasse pas, c’est beaucoup plus surprenant. Dans sa dernière lettre hebdomadaire, la revue présente Karol Nawrocki comme «un historien nationaliste au passé de hooligan». Est-ce ainsi qu’il convient de s’exprimer au sujet du chef du cinquième Etat de l’Union Européenne?

Pour commencer, Karol Nawrocki n’est pas nationaliste. Ni «nationaliste- conservateur» ou «nationaliste-catholique». Le terme de nationaliste recouvre une réalité bien précise dans laquelle ne s’inscrit politiquement pas le nouveau président polonais. Et inutile de creuser bien loin! Il a été soutenu dans la course au Palais Présidentiel par le PiS, principal parti conservateur de Pologne. Oui, conservateur. Pas nationaliste, «ultraconservateur» ou «xénophobe populiste», comme on peut souvent le lire.

Pour faire simple, on peut qualifier de nationaliste un homme politique dont la préoccupation première est l’«exaltation de l’Etat-nation». Cette exaltation peut prendre des formes différentes, mais il n’en reste pas moins qu’il s’agit de célébrer un peuple sur sa terre et avec son Etat. Cela peut s’entendre dans le contexte français du XIXème siècle, mais certainement dans celui de la Pologne, pays qui n’a jamais été homogène culturellement depuis le XIVème siècle et qui a longtemps glorifié le passé multireligieux de la I République. Des penseurs nationalistes ont bien évidemment existé dans la seconde moitié du XIXème siècle et au début du XXème, mais leur vision de ce que devrait être la Pologne n’est pas celle qui l’a emporté après l’indépendance en 1918: la II République était autant multiculturelle que la précédente, avec notamment la présence d’importantes populations juive et ukrainienne et aucune volonté de ne réserver la citoyenneté qu’aux Polonais ethniques.

Par ailleurs, Karol Nawrocki, en tant qu’historien directeur de l’Institut de la Mémoire Nationale (IPN), s’est intéressé aux crimes commis par l’Allemagne nazie et l’URSS contre toutes les populations composant la II République de Pologne, y compris ceux visant les Juifs. «Le sujet de l’extermination des Juifs sur les terres polonaises et de l’aide apportée aux Juifs par les Polonais pendant la Seconde Guerre mondiale a été et reste une partie centrale du projet de recherche de l’IPN», a-t-il déclaré en 2022 à l’occasion du 80ème anniversaire de la création de Zegota, organisation gouvernementale polonaise d’aide aux Juifs durant l’occupation allemande. Pas très «nationaliste», n’est-ce pas?

Ainsi, il n’existe pas en Pologne de véritable tradition intellectuelle et politique nationaliste d’ampleur. Ce qui ne signifie pas qu’il n’existe pas de parti politique nationaliste. Il y en a, mais ce n’est  pas le PiS. Le Mouvement National, membre de la Konfederacja, répond bien davantage à ce critère et faisait partie de l’opposition à l’époque des gouvernements conservateurs. La Konfederacja a présenté son candidat à l’élection présidentielle, Slawomir Mentzen, qui n’a pas soutenu de manière naturelle et inconditionnelle Karol Nawrocki au second tour contre le progressiste Rafal Trzaskowski. Cette alliance de partis nationalistes et libertariens pourrait même, le cas échéant, préférer une coalition avec les centristes de la PO plutôt qu’avec les conservateurs du PiS. Bref, il est insensé, dans le contexte polonais, de qualifier Karol Nawrocki de nationaliste, tout bonnement car il n’est pas un représentant du parti nationaliste.

Ensuite, mettre en avant le «passé de hooligan» du nouveau président est profondément malhonnête. Certes, il a pris une fois part à un combat de supporters. Cependant, le premier ministre Donald Tusk a aussi avoué avoir vécu des expériences similaires (en tant que supporter du même club de football que Karol Nawrocki!) et il ne viendrait à l’idée de personne de parler de «premier ministre au passé de hooligan». Pourquoi donc cibler exclusivement le conservateur?

Le Grand Continent poursuit: «Nawrocki se met en avant pour représenter la Pologne, alors que le président a généralement un rôle plutôt protocolaire». Un rôle protocolaire, peut-être en Allemagne et en Italie, oui, mais beaucoup moins en Pologne. Le président polonais représente son pays à l’international et remplit une fonction politique en interne en s’assurant que les lois votées par le Parlement soient respectueuses de la Constitution et conformes à la volonté de la nation. Son élection au suffrage universel direct (contrairement au président allemand et au président italien, donc) lui donne une légitimité démocratique qu’il est autorisé à utiliser. Aussi, il joue un rôle important en période de crise, comme cela a été le cas du président Duda en 2022 lors de l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

Enfin, la revue à tendance centriste évoque les vétos présidentiels: «le président refuse de jouer son rôle traditionnel au-dessus des partis. En moins d’un mois, il a opposé son veto à sept lois». C’est bien entendu formulé comme une critique, alors que Karol Nawrocki n’a fait que réaliser ses promesses de campagne. Il a notamment rejeté une loi autorisant les constructions d’éoliennes à 500 mètres d’habitations, contre 700 mètres jusqu’à présent. Il s’est aussi opposé à un texte renouvelant les aides sociales non contributives aux immigrés ukrainiens, ce qui était une promesse électorale… du camp centriste! Autre exemple, le véto à une loi controversée abaissant les critères de contrôle des éducateurs ayant accès aux enfants dans les écoles.

Karol Nawrocki a donc rejeté sept lois en un mois. Pour autant, ce n’est pas exceptionnel dans l’histoire récente de la Pologne: le président Lech Walesa avait mis son veto à 27 lois durant son mandat de 1990 à 1995. Par ailleurs, certains lois présentées par le gouvernement centriste constituaient des «pièges» à destination du président. Les signer aurait mis Karol Nawrocki en porte à faux vis-à-vis des Polonais qui l’ont élu. Les «torts», si on peut qualifier ainsi l’usage constitutionnel du véto présidentiel, sont donc partagés.

.Le président conservateur Karol Nawrocki refuse de se contenter d’être la chambre d’enregistrement des décisions d’un gouvernement impopulaire et mesquin. Il dispose d’une légitimité démocratique qu’il est autorisé à utiliser politiquement, et il ne s’en prive pas. Il est aussi l’homme politique polonais le mieux placé pour entretenir des relations cordiales avec les Etats-Unis de Donald Trump. Il est pleinement dans son rôle, et c’est ce qui semble gêner les médias centristes d’Europe de l’ouest.

Nathaniel Garstecka

œuvre protégée par droit d'auteur. Toute diffusion doit être autorisée par l'éditeur 05/09/2025
Fot. KPRP/Mikołaj Bujak