Prof. Piotr BIŁOS: Vers la renaissance de l’Europa minor

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Prof. Piotr BIŁOS

Professeur des Universités, littérature polonaise moderne et contemporaine, responsable de la section de polonais, Inalco, Paris.

Ryc.Fabien Clairefond

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Une culture et une expérience historique partagées fortifient les alliances en Europe centrale – écrit prof. Piotr BIŁOS

Sans la soviétisation, l’Initiative des Trois Mers aurait vu le jour il y a plusieurs décennies. Les territoires diversifiés qu’elle englobe présentent de nombreux points communs. Ce potentiel de coopération s’articule à une civilisation spécifique complémentaire à celle de l’Europe occidentale. L’Initiative remet au goût du jour la culture du dialogue entre zones frontalières que l’expansion impériale russe puis soviétique et celle du Reich allemand aux 19e et 20e s. avait broyée en lui substituant périphérisation et uniformisation. Née à Riga, l’écrivaine lettone Inga Žolude parle d’un traumatisme légué aux générations futures par la période soviétique.

En Europe occidentale, toujours encline à se considérer comme la seule véritable Europe, l’écart réel entre l’Ouest et l’Est a aussi une dimension imaginaire. Que l’on pense aux diatribes des philosophes des Lumières contre l’Europe du Centre-Est (Larry Wolff les interprète à l’aune de l’Orientalisme d’Edward Saïd). Ces préjugés ont été intériorisés par de nombreux habitants de la région (ce que note Norman Davies).

Rien ne conforte autant l’identité que la culture, et rien n’est capable de diviser autant qu’elle. Le stéréotype de la valeur propre au détriment de l’Autre a souvent été un outil de conquêtes, de guerres et même d’exterminations de masse. Les philosophes dont il a été question avaient un intérêt personnel à idéaliser la politique de Catherine II car ils travaillaient pour elle. L’analyse du gouvernement de la Respublica de Pologne par Jean-Jacques Rousseau était plus juste, comme le seront aussi, 250 ans plus tard, celles de Robert Frost ou Richard Butterwick-Pawlikowski. La mémoire historique peut restituer à l’Autre un statut de partenaire.

Le simple geste de décrire contient le risque de pétrifier ce qui est dynamique. L’espace entre les mers Adriatique, Noire et Baltique embrasse non seulement des montagnes et des marécages, mais aussi des voies fluviales (Elbe, Visurge, Danube, Vistule, Dvina) empruntées par des marchands, jadis des Vikings, des Arabes… Les communautés nationales de l’Europe du Centre-Est résultent de migrations : la nation hongroise est née du croisement il y a 1200 ans dans la plaine de Pannonie d’une population venue des steppes avec des autochtones d’origine slave. Située à l’est du limes germanique, l’Europa minor depuis le 12e s. a attiré une population allemande en quête de statut social. Le Royaume de Pologne puis la Respublica ont offert un refuge à des Juifs fuyant les persécutions en Occident.

Évitons les généralisations simplistes. Certes, l’Europa minor formeun territoire traditionnellement moins bien développé que les pays du « noyau européen » issus de l’Empire romain rénové par Charlemagne (ses frontières correspondront douze siècles plus tard au berceau de l’UE). Mais être né plus tard n’est pas un défaut. Au départ, l’Europe carolingienne elle-même n’était pas riche. Culturellement, elle avait beaucoup à envier aux civilisations arabe ou byzantine. Il suffit de dire que pour le monde islamique de l’époque la denrée la plus importée d’Europe était les esclaves ! Son succès, l’Occident le doit aussi au fait d’avoir cru à ses chances de réussite.

A Cracovie, l’adoption de principes urbains nouveaux permit de rompre avec les venelles de la cité médiévale ; la jeune Europe a vu se réaliser le rêve de la ville idéale. Cracovie devenant le principal centre d’exportation de la culture latine vers le Grand-duché de Lituanie, l’Europe des Jagellons vit se nouer des liens étroits entre les cours polonaise, hongroise et tchèque. Mais au tournant des 15e et 16e s., après une période de convergence avec l’Occident, les solutions adoptées à l’est de l’Elbe ralentirent l’essor du capitalisme moderne. L’histoire se répètera en 1945 et l’occupation soviétique creusera les retards économiques par rapport à l’Occident.

L’Initative des Trois Mers exclut l’impérialisme d’une quelconque puissance hégémonique ; les intérêts nationaux particuliers coïncident avec les intérêts de la région. L’intégration va de pair avec la sauvegarde de la diversité. Autrefois, la renaissance nationale des Slovènes et des Croates s’inspira des slogans polonais de liberté et de fraternité portés par des réfugiés (Władysław Ostrowski ou Emil Korytko). La concurrence entre plusieurs centres sert les intérêts du capitalisme car lorsque les acteurs économiques dépendent trop d’un seul centre de pouvoir, le développement capitaliste se trouve entravé.

Piotr Biłos

œuvre protégée par droit d'auteur. Toute diffusion doit être autorisée par l'éditeur 11/12/2020