L’échéance décisive se rapproche

Il règne actuellement en France une frénésie politique couplée à une tension de plus en plus palpable. A mesure que nous nous acheminons vers le jour fatidique, celui du premier tour du scrutin législatif anticipé décrété par le Président Emmanuel Macron, la nation entière s’apprête à retenir son souffle.
.Des moments historiques. A une semaine des élections, tous les sondages donnent le Rassemblement National vainqueur, devant la coalition des gauches et le bloc présidentiel. Certaines enquêtes d’opinion vont jusqu’à anticiper une majorité absolue pour l’alliance entre le parti de Marine le Pen et l’équipe du républicain Éric Ciotti. Le septennat d’Emmanuel Macron, si on peut l’appeler ainsi, a été marqué par une progression hors norme de l’”extrême droite”, passant de 8 députés aux législatives de 2017 à potentiellement 300 (selon un sondage Odoxa pour „Le Nouvel Obs”), après avoir déjà atteint un record de 88 sièges en 2022 et 41,5% des voix au second tour de la présidentielle de la même année. En essayant de liquider les deux grands partis pivots de la Vème République, le Parti Socialiste (dont il est issu) et les Républicains (héritier du RPR du général de Gaulle), le Président n’a fait qu’ouvrir la voie à des offres politiques bien plus anticonformistes, tant à gauche qu’à droite.
A gauche, c’est la France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon (ce dernier s’étant mis récemment en retrait), qui a chipé le leadership au PS. L’influence des „Insoumis” se fait de plus en plus sentir depuis quelques années sur le programme commun des progressistes, sociaux-démocrates et écologistes: populisme anticapitaliste, antisionisme et immigrationnisme séduisent les milices antifa, les quartiers „sensibles” et la jeunesse déracinée, au grand dam des „éléphants” à l’ancienne qui envisagent même de se rapprocher davantage du camp centriste. Emmanuel Macron voulait „en finir avec l’ancien monde”, le voilà servi.
De l’autre côté de l’échiquier politique, la recomposition est tout autant brutale, voire davantage. Sous l’impulsion idéologique et médiatique d’Eric Zemmour puis politique et électorale d’Eric Ciotti, force est de constater que le „front républicain”, ce piège sournois tendu par François Mitterrand il y a plus de 30 ans, a définitivement volé en éclat. Le premier a servi de paratonnerre au RN en 2022, lui permettant de multiplier par dix sa représentation parlementaire, le second apporte à Marine le Pen cette légitimité républicaine qui lui manquait tant, en plus de quelques circonscriptions supplémentaires. Le premier, qui a appelé pendant 20 ans à l’union des droites, la verra se faire enfin, mais sans lui. Le second la réalisera, malgré avoir appartenu à un camp qui a traité pendant 20 ans le Front National puis le Rassemblement National de ce qu’il y a de pire dans une république démocratique et progressiste : de fasciste. Comme la politique peut être surprenante !
A quelques instants du jour J, tous les coups bas sont autorisés. La campagne, si on peut parler de campagne, étant donné que le Président a ordonné la tenue des élections législatives à peine trois semaines après la dissolution de l’Assemblée Nationale, tourne autour des accusations d’antisémitisme, de racisme et de danger pour la République. Le débat argumenté étant impossible dans ces conditions extrêmes, on en vient aux noms d’oiseaux et à la mobilisation de l’électorat par la peur. Peur pour les Juifs, peur pour l’Ukraine, peur pour les minorités, peur pour l’économie, peur pour l’écologie, peur pour l’Europe, peur même pour le sport, à l’approche des Jeux Olympiques… tout y passe.
Dans ce brouhaha, deux grandes tendances se matérialisent petit à petit : le RN poursuit sa normalisation, en purgeant sont programme de 2022 des éléments les plus polémiques. Un RPR bis serait-il en train de naître nous nos yeux ? Inversement, la gauche se radicalise, avec notamment un programme offensif et révolutionnaire. Vers qui se porteront les voix de l’électorat retraité, habitué à faire et défaire les majorités politiques ces derniers années? Dans l’état actuel des choses, c’est la droite qui semble donner davantage de gages à la „bonne société”, promettant de la protéger contre les menées totalitaires des „rouges et verts”. Au milieu de ça, un bloc présidentiel en pleine déliquescence, mais qui refuse de rendre les armes. En renvoyant dos à dos les Insoumis et les Nationaux, il veut attirer à lui les sociaux-démocrates, les progressistes modérés et les républicains. Pour l’instant, sa tentative semble vouée à l’échec, tant le rejet d’Emmanuel Macron est prégnant et tant les citoyens sont à bout. Le feu couve, la casserole bout, le couvercle ne tiendra plus très longtemps.
Quels scénarios pour le scrutin à venir ? Jordan Bardella a déclaré qu’il refusera le poste de Premier ministre s’il ne dispose pas d’une majorité absolue à l’Assemblée Nationale. Gabriel Attal lui a rétorqué qu’il n’était donc pas prêt à réellement servir la France. En fonction du nombre de sièges dont ils disposeront, le RN et Eric Ciotti pourraient éventuellement compter sur le renfort opportun d’une poignée de LR non ciottistes pour faire l’appoint. Est-ce que ça sera suffisant pour gérer le pays jusqu’en 2027 ? Difficile à dire.
Le Nouveau Front Populaire, s’il remporte ces élections, sera obligé de „récupérer” des centristes s’il veut être en mesure de former un gouvernement. Les responsables de cet attelage veulent-ils vraiment le pouvoir ? Ou cherchent-ils seulement à imposer le chaos et provoquer des troubles révolutionnaires qui mèneraient à l’avènement de cette VIème République si chère à Jean-Luc Mélenchon ? Selon le ministre de l’économie Bruno le Maire, l’application de leur programme économique aurait comme conséquence de „mettre la France sous tutelle du FMI et de la Commission européenne”. Les Insoumis cherchent-ils à rejouer Valmy ?
Quant à Emmanuel Macron, il a encore des cartes institutionnelles en main. Des rumeurs sur un éventuel déclenchement de l’article 16 de la Constitution, c’est à dire les pleins pouvoirs, ont déjà été propagées. En cas d’explosion de conflits sociaux et urbains dans les semaines qui viennent (des groupuscules d’extrême gauche sont déjà en train de se mesurer à la police dans la rue, et une insurrection des banlieues peut arriver à n’importe quel moment), le pays aurait besoin d’une solide reprise en main. Le Président de Gaulle avait opté pour cette solution en 1961 afin de faire face au putsch des généraux. Deuxième option, la démission. Marine le Pen le lui a proposé, et Charles de Gaulle s’y était aussi résolu en 1969 après son échec au référendum sur la réforme du Sénat. Le Président Macron peut aussi se contenter de laisser faire, et de porter la responsabilité de l’état du pays sur le futur gouvernement, si ce dernier appartient à un autre camp politique.
.Qu’arrivera-t-il plus tard ? Nous nous apprêtons à entrer dans une période de fortes turbulences, tant politiques qu’économiques, sociales et sécuritaires. La France risque de devenir ingouvernable. La situation est proprement imprévisible, tant pour le résultat des élections que pour leurs conséquences. Emmanuel Macron a fait le choix de torpiller le fonctionnement de la Vème République depuis l’instauration, en 2002, du quinquennat. Son successeur, en 2027, pourra faire le choix d’une nouvelle dissolution afin de „rééquilibrer” le calendrier politique.
On y va. Attachez vos ceintures.
Nathaniel Garstecka