
Comment votent les différentes religions en France ?
Si les statistiques ethniques sont interdites en France, ce n’est pas le cas des statistiques confessionnelles. A chaque élection, des instituts de sondages analysent le vote des croyants. Les résultats indiquent de fortes disparités entre religions – écrit Nathaniel GARSTECKA
Les catholiques : plutôt à droite
.De par leur nombre plus élevé, il est plus aisé d’établir le profil électoral des catholiques (29% de la population française se déclare appartenir à cette religion). Ce sont eux aussi qui influent, jusqu’à présent, le plus sur la scène politique française. Les catholiques pratiquants réguliers sont ainsi la catégorie la plus présente dans l’isoloir : 86% de participation au premier tour de l’élection présidentielle de 2022 contre 81% pour les catholiques pratiquants occasionnels, 74% pour les catholiques non pratiquants et 75% pour l’ensemble des Français. Plus le degré de pratique de la religion est élevé, plus la participations aux scrutins l’est. Cette tendance est visible de la même manière au second tour de la présidentielle 2022 : 93% pour les catholiques pratiquants réguliers, 82% pour les pratiquants occasionnels, 73% pour les non pratiquants et 72% pour l’ensemble des Français.
Ce sont avant tout les candidats de droite qui bénéficient du vote catholique, avec cependant des nuances en fonction de la pratique. Si Emmanuel Macron (LREM) l’emporte au premier tour comme au second sur Marine le Pen (RN) dans toutes les catégories de catholiques, ces derniers ont offerts de bons scores à Valérie Pécresse (LR) et Eric Zemmour (Reconquête) et de mauvais aux candidats de gauche comme Jean-Luc Mélenchon (LFI). 10% des catholiques ont voté pour M. Zemmour au premier tour et même 16% des pratiquants réguliers (contre 7% pour l’ensemble des Français). Cette catégorie semble davantage hermétique au vote RN, prête à voter massivement pour les candidats représentant des positions conservatrices (Éric Zemmour en 2022, François Fillon en 2017, Nicolas Sarkozy en 2012) au premier tour puis éviter le Rassemblement National au second.
Les propos ambigus de Marine le Pen sur le conservatisme et la diabolisation dont a été victime le Front National puis le Rassemblement National pendant 40 ans ont sans doute empêché les catholiques de se porter davantage sur cette option. L’alliance avec une partie des Républicains pourrait probablement „libérer” désormais une partie des votes. La constante reste néanmoins le rejet des propositions de gauche radicale : seuls 14% des catholiques ont voté pour Jean-Luc Mélenchon, contre 22% au national.
Les protestants : plutôt au centre
.A la différences des catholiques qui votent historiquement davantage à droite (la Révolution a refusé d’accorder le droit de vote aux femmes par crainte de leur vote clérical et monarchiste), les protestants se signalent par le choix des centristes. Au premier tour de la présidentielle de 2022, 36% des protestants ont voté pour Emmanuel Macron (27,5% au niveau national), 9% pour l’écologiste Yannick Jadot (4,6%) et 7% pour Valérie Pécresse (5%). Jean-Luc Mélenchon obtient un score moindre qu’au national (16% contre 22%), tout comme Marine le Pen (17% contre 23,3%).
Lors du second tour de 2017, les protestants ont voté comme la plupart des Français : 67% pour Emmanuel Macron (65,7% au national). A celui de 2022, par contre, ils se sont montrés davantage fidèles au président sortant que le reste de leurs concitoyens : 65% contre 58%.
Depuis la Réforme, les protestants se sont souvent opposés aux catholiques, que ce soit les armes à la main ou dans l’isoloir. Leur choix s’est plus souvent porté vers des options républicaines, tandis que les catholiques se tournaient plutôt vers les conservateurs. Cette différence est toujours bien marquée aujourd’hui.
Les musulmans : très à gauche
.Si les écarts électoraux entre catholiques et protestants sont profondément ancrés dans l’histoire et les traditions politiques françaises, ce n’est pas le cas du vote musulman. Ce dernier n’est apparu en France qu’à partir des années 1960-1970, avec l’immigration massive de travail puis de peuplement en provenance d’Afrique.
Deux éléments notables caractérisent le vote musulman: l’abstention et le vote à gauche. La faible participation des musulmans aux élections françaises est due à un niveau d’intégration plus faible dans la société françaises. De nombreux immigrés ou descendants d’immigrés se considèrent en effet comme des corps étrangers dans un pays de religion, culture et tradition différente. Leur intérêt pour la vie politique française est donc moindre. Quant au vote à gauche, il est la résultante du programme immigrationniste de la plupart des partis de ce camp, de la générosité du modèle social français et, plus récemment, des positions antisionistes de plus en plus marquées de l’entourage de Jean-Luc Mélenchon au sein de La France Insoumise.
C’est ce parti qui tire ainsi le plus profit de la mobilisation des musulmans, quand elle a lieu : 77% de participation au premier tour de l’élection présidentielle de 2022. 69% d’entre eux ont alors voté pour Jean-Luc Mélenchon, 14% pour Emmanuel Macron et 7% pour Marine le Pen. La disproportion vis-à-vis des résultats nationaux est flagrante. En l’absence du candidat d’extrême gauche au second tour, la participation s’est effondrée à seulement 58% et c’est le président Macron qui a engrangé le plus de voix de cette catégorie : 85%.
Ce vote confessionnel et communautaire massif est sans doute l’une des raisons de la radicalisation du discours à LFI ces dernières années. Une sortie définitive de l’abstention de ceux se déclarant appartenir à la religion islamique pourrait grandement influer sur les résultats électoraux futurs, leur part dans la population française ne faisant que croître et se situant actuellement entre 10 et 15%.
Les Juifs : de la gauche vers la droite ?
.Si l’électorat juif est sans doute celui qui pèse le moins en terme de scores (les Juifs ne représentent que 0,6% de la population française), il fait partie de ceux qui sont le plus scrutés pour la charge symbolique qu’il porte. Durant des décennies, il était plutôt associé à la gauche, avec notamment les positions prises par ses représentants communautaires et associatifs. La situation a néanmoins commencé à évoluer au cours des années 2010 avec la drastique montée de l’antisémitisme en France en en Europe.
Ce nouvel antisémitisme ( „la nouvelle judéophobie” selon Pierre-André Taguieff) n’est plus le fait de l’extrême droite, mais plutôt de l’extrême gauche antisioniste et surtout de certains milieux immigrés. Les Juifs avaient l’habitude, à travers les siècles, de confier leur sort aux responsables politiques le mieux à même de garantir leur sécurité. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, il s’agissait des partis humanistes et progressistes. Depuis quelques années, on observe donc un mouvement droitier au sein de l’électorat juif, lié aux propos anti immigration et anti islamisme d’un nombre croissant de partis et de candidats conservateurs.
Ainsi, s’il est difficile de mesurer réellement la structure du vote de la communauté juive, du fait de sa très faible taille, on peut scruter les résultats électoraux dans les quartiers connus pour abriter d’importantes communautés juives. Le vote en faveur d’Éric Zemmour et de Reconquête a par exemple été très élevé dans le XVIème arrondissement de Paris et auprès des Français résidant en Israël, avec des scores avoisinant les 20-25% (contre 5-7% au national).
Cette première libération en a enclenché une seconde : face aux propos volontairement ambigus au sein de LFI et de l’extrême gauche au sujet du conflit israélo-arabe, du Hamas et de l’antisémitisme, de plus en plus de voix juives s’élèvent pour appeler à faire barrage au bloc de gauche aux élections législatives anticipées de juin et juillet 2024.
L’avocat, historien et chasseur de nazis Serge Klarsfeld, par exemple, a déclaré, dans un entretien accordé à Darius Rochebin sur TF1 : „Des millions de Français sont allés au RN et ce sont des braves gens. Je fais confiance à ces braves gens. […] Je ne m’inquiète pas d’une arrivée au pouvoir de Marine le Pen et de Jordan Bardella. […] Moi-même je vote pour des partis centristes, mais en cas de duel entre LFI et le RN je choisirai le RN”. Le philosophe d’origine judéo-polonaise Alain Finkielkraut a tenu des propos similaires dans un entretien au Point : „LFI a fondé toute sa campagne européenne sur la haine d’Israël et des sionistes. Jamais je n’aurais imaginé voter un jour en faveur du Rassemblement national pour faire barrage à l’antisémitisme”. De même Daniel Knoll, fils de la rescapée de la Shoah Mireille Knoll sauvagement assassinée pour motif antisémite, a appelé à voter pour la droite, pour faire barrage à l’extrême gauche: „Aujourd’hui le grand danger c’est malheureusement LFI. Ce n’est pas de gaieté de cœur, mais est-ce qu’on nous laisse le choix ? On est abandonnés, on est complètement abandonnés”.
Les athées : plutôt à gauche
.Impossible de traiter du vote confessionnel sans évoquer les athées, tel leur poids électoral est devenu important. En effet, une personne sur deux en France se déclare dorénavant sans religion.
Cette catégorie de population socio-culturelle vote traditionnellement plus à gauche et au centre qu’à droite. Au premier tour de l’élection présidentielle de 2022, les partis de gauche ont recueilli près de 44% des voix des athées (contre 32% pour l’ensemble des Français), les partis centristes 29% (contre 30%) et les partis de droite 27% (contre 38%). Au second tour, ils se sont portés à 59% pour Emmanuel Macron (contre 58% pour l’ensemble des Français).
Résultats similaires en 2017 : Jean-Luc Mélenchon avait été choisi par 28% des athées (contre 20%) et François Fillon par seulement 9% (contre 20%). Au second tour, Emmanuel Macron avait reçu 70% de leurs votes (contre 66% au niveau national).
Parmi les athées, on retrouve entre autres les fonctionnaires, les jeunes, les laïcistes et les anticléricaux, ce qui explique en grande partie le vote pour Jean-Luc Mélenchon et La France Insoumise.
.Dans une France qui se divise et dans laquelle les questions d’identité et de religion se font prégnantes, il est certain que la structure du vote en fonction des confessions sera de plus en plus scrutée par les analystes, mais aussi par les responsables politiques. La France Insoumise, par exemple, n’hésite pas à jouer la carte communautaire afin d’attirer le vote des musulmans, et la droite celui des Juifs. Religion et politique se retrouvent donc à nouveau étroitement mêlés, comme si souvent dans l’histoire de la France, la plupart du temps davantage pour le pire que pour le meilleur.
Sources : sondages IFOP d’avril 2022 et étude de l’INSEE de 2023