1939-1945, le martyre de Varsovie
Comme le rappelle le vice-ministre polonais des Affaires Etrangères, Arkadiusz Mularczyk, les Allemands ont rasé 85% de la ville. Le martyre de la ville est symbolisé en outre par le massacre de la grande majorité de ses habitants.
Le „Paris du nord”
.Varsovie est la capitale de la Pologne depuis 1596. Son développement s’est nettement accéléré au XIXème siècle, puis a connu une forte dynamique dans l’entre-deux-guerres. C’est une période particulière pour la Pologne, car elle vient de recouvrer son indépendance, sous la forme de la II République, et qu’elle a l’ambition de devenir une puissance régionale importante dans le contexte des menaces communes exercées par l’Allemagne nazie et l’URSS communiste.
Dans les années 1920 et 1930, de nombreuses infrastructures civiles sont améliorées et étendues : réseau de canalisations, réseau gazier, transports en commun. Des centaines d’écoles sont construites, des dizaines de milliers de logements, des théâtres, des musées, un aéroport… Les rues sont modernisées, des parcs sont ouverts, la construction d’une ligne de métro est envisagée.
Les quartiers centraux s’occidentalisent rapidement et se couvrent de dizaines d’immeubles de style art-nouveau, ce qui vaut à la ville le surnom de „Paris du nord”. Pour autant, Varsovie conserve le riche patrimoine culturel des siècles précédents, notamment la vieille ville, le Chateau Royal, le Palais Saxon…
En 1925, le nombre d’habitants de Varsovie dépasse le million. Il sera de plus de 1,2 millions à la veille de la Seconde Guerre Mondiale. En outre, en 1939, entre un quart et un tiers de la ville est composé de Juifs (370 000 personnes). Il s’agit du plus grand centre urbain juif au monde. La vie culturelle et associative juive y est riche : nombreux théâtres, publications en yiddish, partis politiques, courants idéologiques et religieux (sionistes, religieux, bund, poalei-sion…). La population juive reste cependant dans l’ensemble pauvre et prolétarisée et se concentre principalement dans les quartiers du nord de Varsovie.
Le martyre de Varsovie
.En septembre 1939, l’Allemagne de Hitler et l’URSS de Staline envahissent et se partagent la Pologne. L’occupation du pays sera brutale et Varsovie subira un sort particulièrement cruel. Dans un entretien à la „Polska Agencja Prasowa” et repris par „Wszystko co Najwazniejsze”, le vice-ministre des Affaires Etrangères de la Pologne, Arkadiusz Mularczyk, décrit le martyre de la ville à l’occasion du 79ème anniversaire du déclenchement de l’Insurrection de Varsovie :
„Varsovie était détruite méthodiquement. On peut en relever quatre étapes principales. Tout d’abord, les dégats causés par les affrontements en septembre 1939. On estime à 10% la superficie de la ville qui a été endommagée. Puis, l’Insurrection du Ghetto de Varsovie en avril 1943, qui a été suivie par la liquidation de la zone, soit 15% supplémentaires. L’années suivante, les combats durant l’Insurrection de Varsovie ont ajouté 25% de destructions en plus. Enfin, le nettoyage systématique par les Allemands et les Soviétiques de ce qui restait. Au final, 85% de la ville a été détruit”.
“Un rapport publié en 2004 détaille les types de bâtiments pillés et détruits : 70% des établissements universitaires, 75% des établissements scolaires, 75% des installations industrielles, 80% des hôpitaux et cliniques, 90% des locaux commerciaux, 90% du patrimoine culturel et spirituel et 100% des ponts et des gares”.
„Entre 45 000 et 50 000 wagons de biens ont été envoyés en Allemagne. Là-bas, le fruit du pillage était trié et attribué aux élites dirigeantes du Reich. L’échelle de ce saccage est invraisemblable”.
„Le nombre de victimes s’élève à 700 000. 20 000 en septembre 1939, 42 000 pendant l’occupation, du fait des exécutions et des crimes allemands, 310 000 Juifs lors de la grande déportation de l’été 1942, 60 000 Juifs durant l’écrasement de l’Insurrection du Ghetto, 210 000 soldats et civils durant l’Insurrection d’aout 1944 et le massacre de Wola, et des dizaines de milliers de déportés en Allemagne qui ne sont jamais revenus.”
„Une insurrection bien polonaise”
„Le 1er août 1944, les habitants de Varsovie dans un ultime élan ont pris les armes contre le totalitarisme nazi allemand. Ils se sont battus pour tout ce que les chars de l’Armée rouge avançant du coté est ne pouvaient leur apporter : la liberté, la démocratie, le droit de déterminer leur propre destin”.
„Le sort de Varsovie, qui a engagé combat au 1er août de cette même année, a pris une tournure tragique. Oui, dans les premiers jours, les insurgés ont réussi à reprendre une bonne partie de la ville. Dans les quartiers conquis, une Pologne libre renaît instantanément : les autorités civiles s’installent, la radio se remet en marche et des journaux sont publiés. Cependant, les Allemands amènent rapidement des renforts et commencent une répression brutale de l’insurrection. À Wola – l’un des quartiers situés sur la rive gauche de la Vistule – ces « renforts » ont assassiné des dizaines de milliers de civils sans défense, notamment des personnes âgées, des femmes et des enfants. Des crimes semblables, à une échelle légèrement inférieure, ont eu lieu dans le quartier voisin Ochota. Dans d’autres quartiers, les Allemands rencontrent une forte résistance, mais avancent peu à peu, détruisant maison après maison. Malgré l’énorme disparité des forces en présence, les combats ont duré 63 jours”.
„Plusieurs milliers d’insurgés et jusqu’à 150-200 000 civils sont morts. Ceux qui ont survécu ont été chassés de la ville par les occupants. Les bâtiments rescapés ont été délibérément incendiés et dynamités longtemps après la capitulation de l’insurrection. Lorsque les Allemands ont finalement quitté Varsovie en janvier 1945, la ville n’était plus que ruines”.
„Contrairement à Paris, la capitale polonaise n’a reçu aucune aide réelle. Elle n’a pas été apportée par l’Armée rouge, bien qu’au moment de l’insurrection, celle-ci se trouvait à quelques centaines de mètres – sur l’autre rive de la Vistule. Joseph Staline, qui s’était allié à Hitler cinq ans auparavant, saisit à nouveau l’occasion de détruire l’élite indépendantiste polonaise par les mains des Allemands. Au cours des semaines cruciales du soulèvement, il n’a même pas autorisé les avions alliés décollant d’Italie avec des approvisionnements pour Varsovie à atterrir sur des aéroports soviétiques. La défaite de l’insurrection a joué en faveur de Staline – elle devait lui faciliter la tâche pour briser la nation courageuse et assujettir la Pologne”.
Nathaniel Garstecka