
A Prague, commémoration de l’invasion soviétique de 1968

Le 21 aout 1968, les troupes du Pacte de Varsovie, dirigées par l’URSS, ont attaqué la Tchécoslovaquie afin de mettre fin au „Printemps de Prague”.
Commémoration à Prague
.Comme chaque année, la Tchéquie se souvient des événements de 1968. Aujourd’hui, il est impossible de ne pas faire le lien entre ce qui s’est passé à l’époque et ce qui se passe aujourd’hui en Ukraine et c’est sous ce signe qu’on été placées les commémorations cette fois-ci.
Au cours de la traditionnelle cérémonie se déroulant au pied de la Maison de la Radio, le Président de la République tchèque nouvellement élu, Petr Pavel (ancien Chef de l’État-Major général tchèque et Président du comité militaire de l’OTAN) a effectivement déclaré qu’il voyait des similitudes entre 1968 et 2022 et que la Russie menait toujours la même politique envers son voisinage : „Même si elle s’appelle autrement qu’à l’époque, sa politique étrangère et son système de valeurs n’ont pas changés”.
Le Premier ministre tchèque, Petr Fiala, a ajouté que l’invasion de l’Ukraine a montré au monde entier que les complexes de la Russie sont toujours autant dangereux. Le président du Sénat, Milosz Vystrczil et la présidente de la Chambre des députés, Marketa Pekarova, ont rappelé le slogan d’aout 1968, „Nous sommes avec vous, soyez avec nous” et l’ont adapté à la situation actuelle : „les combattants ukrainiens sont avec nous, soyons toujours avec eux”.
De son côté, le Premier ministre slovaque, Ludovit Odor, a aussi tenu à commémorer l’invasion de la Tchécoslovaquie : „Tout comme le Kremlin craignait que le processus de démocratisation dans notre pays s’étende aux autres pays du bloc de l’est et fragilise son pouvoir, la Russie actuelle craint une Ukraine libre et démocratique et refuse de l’accepter, quitte à l’écraser militairement”. Il a ajouté : „Il y a eu de nombreux morts. Par ailleurs, des familles ont été séparées et ceux qui voulaient penser librement devaient se cacher. Les intellectuels et les universitaires étaient purgés et remplacés par des fidèles du régime”.
„Printemps de Prague” et invasion soviétique
.L’invasion de la Tchécoslovaquie le 21 aout 1968 a été la méthode choisie par Moscou pour annihiler les tentatives de démocratisation économiques et politiques qui avaient lieu dans ce pays depuis le début de l’année. Ce qu’on a appelé le „Printemps de Prague” était la volonté d’introduire une touche de libéralisme dans l’économie planifiée communiste, d’alléger la censure des médias et d’engager des réformes politiques. Le président du Parti communiste tchécoslovaque, Alexander Dubček, évoquait un „socialisme à visage humain”, afin de ne pas brusquer les tenants de la ligne communiste dure et le „grand frère russe”.
Pendant que la Tchécoslovaquie engage ses réformes sous le regard bienveillant de ses voisins polonais et hongrois, qui avaient eux aussi essayé par le passé de desserrer l’étau communiste sur leur pays, Leonid Brejnev, dirigeant de l’URSS, s’inquiète du potentiel affaiblissement du bloc de l’est. Il réagit en lançant des négociations avec les Tchécoslovaques, leur demandant de réaffirmer leur loyauté au Pacte de Varsovie. Parallèlement, il déploie l’armée soviétique aux frontières tchécoslovaques, prétextant des exercices militaires.
Exaspéré par la poursuite des réformes, Brejnev décide de passer à l’action. Il mobilise les troupes du Pacte de Varsovie et lance, dans la nuit du 20 au 21 aout 1968, l’invasion de la Tchécoslovaquie. Ce sont 400 000 soldats et plus de 6 000 chars qui déferlent sur le pays engagés dans l’opération „Danube”. Etant incapable de se défendre, le pays est conquis en quelques heures, Prague tombe le 21 aout au soir. Les citoyens s’engagent dans une opposition pacifique, en manifestant contre les troupes soviétiques, notamment autour de la Maison de la Radio de Prague.
L’URSS purge le Parti communiste tchécoslovaque des éléments réformateurs, contraint à l’exil des milliers d’opposants et met fin au „Printemps de Prague” et au „socialisme à visage humain”. La liberté de la presse est abolie, la ligne communiste dure est réinstaurée. C’est la „normalisation”. Des dizaines de personnes sont tuées par les Soviétiques. Pour autant, la résistance des Tchécoslovaques ne faiblira pas. De grandes manifestations ont lieu en 1968 et 1969. En janvier 1969, un étudiant praguois, Jan Palach, s’immole, suivi par d’autres étudiants les mois suivants. Auparavant, en septembre 1968, c’est un ancien résistant polonais, Ryszard Siwiec, qui se suicida par le feu à Varsovie afin de protester contre la répression soviétique de la Tchécoslovaquie.
Le „Printemps de Prague” et l’invasion d’aout 1968 laissèrent une trace indélébile dans l’esprit du peuples tchèque et slovaque, mais aussi dans celui de tous les peuples occupés par l’URSS et même en occident. Ils ont inspiré de nombreux intellectuels et de nombreux mouvements anti-communistes. Certains politiciens, journalistes ou écrivains communistes en France ou en Italie ouvrirent à l’occasion les yeux sur la réalité du régime. Aujourd’hui, ces événements sont rappelés afin de protester contre la politique russe d’affirmation violente de son influence dans les pays de l’ex-URSS.
„Ce qui nous unit, c’est le passé et la vigilance face à la Russie”
.Dans un texte publié dans „Wszystko Co Najwazniejsze”, Jana Černochová, ministre tchèque de la défense, évoque les relations entre Tchèques, Polonais et Russes:
„Nous sommes unis à la Pologne non seulement par le fait que nos langues se ressemblent à bien des égards. Nous avons aussi des intérêts communs dans le domaine de la sécurité, qui résultent en grande partie de la vivacité de notre mémoire des régimes totalitaires gérés depuis Moscou. Nous sommes, tout comme les Polonais, parfaitement conscients du fait que la Russie d’aujourd’hui n’est pas digne de confiance, tout comme le fut l’Union soviétique. C’est pourquoi nous comprenons mieux que bon nombre de pays ce qui se passe à l’est de nos frontières. Ainsi, dès le 24 février [2022], nous avons entrepris des actions en vue de soutenir l’Ukraine indépendante afin qu’elle préserve sa souveraineté. Notre histoire commune nous rend plus vigilants là-dessus que les pays occidentaux. „
„Personnellement, je le ressens à deux niveaux, car, de par ma mère, je suis polonaise et plus sensible aux répercussions non seulement du putsch communiste en Tchécoslovaquie en 1948, de la terreur des années 1950, d’Août 1968 ou de la période de « normalisation », mais aussi du sort de la Pologne à travers les siècles qui fit l’expérience des partages à répétition de la part des grandes puissances, du pacte Ribbentrop-Molotov, de Katyń, du soulèvement de Varsovie en 1944, de la loi martiale dans les années 1980… Mes gènes polonais s’expriment dans ma ténacité et ma détermination. Dans des situations pareilles, je me rappelle la capacité des Polonais à faire face aux vicissitudes du destin et à ne pas abdiquer devant la violence. „
„C’est un fait avéré que les Polonais aiment la culture tchèque, notre cinéma, notre littérature. Sans doute sommes-nous pour eux en quelque sorte un modèle à suivre. Les Tchèques devraient, à leur tour, s’inspirer des Polonais qui ont su rapidement évaluer la situation et prendre la décision inévitable de bâtir une armée moderne et bien formée, afin d’être prêt à se défendre face à la politique agressive du Kremlin. Quant aux Tchèques, ils ont été beaucoup plus longs à réagir. C’est avec inquiétude qu’on observait l’agression russe de la Géorgie en 2008 et de l’Ukraine en 2014, mais on s’est laissé bercer, en voulant trop se fier au parapluie protecteur de l’UE et de l’Otan. Nombreux étaient ceux qui croyaient que l’argent versé contre le gaz et le pétrole retiendrait Poutine, mais c’est l’inverse qui s’est produit : la Russie s’est servie de ses ressources comme d’une arme destinée à briser l’Europe et l’union de l’Occident en deux. La Pologne a fait de son mieux pour s’assurer bien à l’avance des sources alternatives de ressources énergétiques, les Tchèques, eux, y ont renoncé. À présent, nous réparons les négligences des gouvernements précédents en termes de sécurité énergétique de la République tchèque, d’approvisionnement en pétrole et en gaz chez d’autres fournisseurs. „
„Il en va de même de l’armée et de la défense. Poutine a brutalement sorti l’Europe de son sommeil à minuit moins cinq, obligeant ainsi tout le monde à rattraper le retard. La Pologne a saisi le défi bien avant tous les autres. Le budget polonais de la défense s’élèvera à 3 % du PIB sans qu’il y ait des voix de protestation de la part de l’opposition. Quant à nous, après de longues années, au moins jusqu’à la fin de notre mandat, nous allons dépenser 2 % du PIB minimum, en remplissant ainsi nos engagements envers nos alliés. Comme l’expérience polonaise de la domination russe est plus longue, ils se font beaucoup moins d’illusions. Les Polonais adorent le sens de l’humour tchèque, à nous maintenant d’admirer le patriotisme polonais, le courage et la disposition à se défendre par soi-même sans attendre que quelqu’un d’autre le fasse à notre place. De l’autre côté, je suis persuadée que ces derniers mois, nous aussi avons fait preuve, à plusieurs reprises, de notre capacité à agir avec détermination au lieu de nous montrer timides. Les Premiers ministres de nos deux pays, avec le Premier ministre slovène, ont notamment été les premiers à se rendre à Kiev après le déclenchement du conflit, pour y déclarer ouvertement leur position et le soutien de nos pays.”
Nathaniel Garstecka