Ce qui nous unit, c’est le passé et la vigilance face à la Russie
.Nous sommes unis à la Pologne non seulement par le fait que nos langues se ressemblent à bien des égards. Nous avons aussi des intérêts communs dans le domaine de la sécurité, qui résultent en grande partie de la vivacité de notre mémoire des régimes totalitaires gérés depuis Moscou. Nous sommes, tout comme les Polonais, parfaitement conscients du fait que la Russie d’aujourd’hui n’est pas digne de confiance, tout comme le fut l’Union soviétique. C’est pourquoi nous comprenons mieux que bon nombre de pays ce qui se passe à l’est de nos frontières. Ainsi, dès le 24 février dernier, nous avons entrepris des actions en vue de soutenir l’Ukraine indépendante afin qu’elle préserve sa souveraineté. Notre histoire commune nous rend plus vigilants là-dessus que les pays occidentaux.
Personnellement, je le ressens à deux niveaux, car, de par ma mère, je suis polonaise et plus sensible aux répercussions non seulement du putsch communiste en Tchécoslovaquie en 1948, de la terreur des années 1950, d’Août 1968 ou de la période de « normalisation », mais aussi du sort de la Pologne à travers les siècles qui fit l’expérience des partages à répétition de la part des grandes puissances, du pacte Ribbentrop-Molotov, de Katyń, du soulèvement de Varsovie en 1944, de la loi martiale dans les années 1980… Mes gènes polonais s’expriment dans ma ténacité et ma détermination. Dans des situations pareilles, je me rappelle la capacité des Polonais à faire face aux vicissitudes du destin et à ne pas abdiquer devant la violence.
C’est un fait avéré que les Polonais aiment la culture tchèque, notre cinéma, notre littérature. Sans doute sommes-nous pour eux en quelque sorte un modèle à suivre. Les Tchèques devraient, à leur tour, s’inspirer des Polonais qui ont su rapidement évaluer la situation et prendre la décision inévitable de bâtir une armée moderne et bien formée, afin d’être prêt à se défendre face à la politique agressive du Kremlin. Quant aux Tchèques, ils ont été beaucoup plus longs à réagir. C’est avec inquiétude qu’on observait l’agression russe de la Géorgie en 2008 et de l’Ukraine en 2014, mais on s’est laissé bercer, en voulant trop se fier au parapluie protecteur de l’UE et de l’Otan. Nombreux étaient ceux qui croyaient que l’argent versé contre le gaz et le pétrole retiendrait Poutine, mais c’est l’inverse qui s’est produit : la Russie s’est servie de ses ressources comme d’une arme destinée à briser l’Europe et l’union de l’Occident en deux. La Pologne a fait de son mieux pour s’assurer bien à l’avance des sources alternatives de ressources énergétiques, les Tchèques, eux, y ont renoncé. À présent, nous réparons les négligences des gouvernements précédents en termes de sécurité énergétique de la République tchèque, d’approvisionnement en pétrole et en gaz chez d’autres fournisseurs.
Il en va de même de l’armée et de la défense. Poutine a brutalement sorti l’Europe de son sommeil à minuit moins cinq, obligeant ainsi tout le monde à rattraper le retard. La Pologne a saisi le défi bien avant tous les autres. Le budget polonais de la défense s’élèvera à 3 % du PIB sans qu’il y ait des voix de protestation de la part de l’opposition. Quant à nous, après de longues années, au moins jusqu’à la fin de notre mandat, nous allons dépenser 2 % du PIB minimum, en remplissant ainsi nos engagements envers nos alliés. Comme l’expérience polonaise de la domination russe est plus longue, ils se font beaucoup moins d’illusions. Les Polonais adorent le sens de l’humour tchèque, à nous maintenant d’admirer le patriotisme polonais, le courage et la disposition à se défendre par soi-même sans attendre que quelqu’un d’autre le fasse à notre place. De l’autre côté, je suis persuadée que ces derniers mois, nous aussi avons fait preuve, à plusieurs reprises, de notre capacité à agir avec détermination au lieu de nous montrer timides. Les Premiers ministres de nos deux pays, avec le Premier ministre slovène, ont notamment été les premiers à se rendre à Kiev après le déclenchement du conflit, pour y déclarer ouvertement leur position et le soutien de nos pays.
Dans le monde d’aujourd’hui, aucun de nos pays n’est une île isolée. De ce fait, être membre de l’Union européenne et de l’Alliance nord-atlantique est pour nous d’une grande importance. Surtout au moment où on ne peut plus envisager, comme il y a vingt-trente ans, que la Russie deviendra un jour un État démocratique et notre allié, la Chine n’étant perçue comme une superpuissance que dans les cercles de politologues. La situation géopolitique et sécuritaire est désormais toute différente. Un empire agressif à l’est tente de retrouver son statut perdu de superpuissance, et plus à l’est encore, nous avons une superpuissance qui se voit comme un acteur mondial. C’est pourquoi il faut faire barrage à la Russie et stopper son expansion. Le plan de Poutine de perturber les chaînes mondiales d’approvisionnement alimentaire, d’exposer à la famine les régions les plus pauvres du monde et de déstabiliser l’Europe par des migrations et le terrorisme montre les interdépendances entre différentes menaces et la nécessité de nous confronter à la Russie dans diverses parties du globe, notamment en Afrique subsaharienne. Si nous ajoutons à cela l’essor des nouvelles technologies et de nouveaux secteurs, nous devons d’ores et déjà prendre en compte des combats éventuels non seulement sur terre, en l’air ou en mer, mais aussi dans l’espace et le cyberespace.
Seuls, nous ne pouvons rien, mais au sein de l’UE et de l’Otan, nous y arriverons. La force réunie des instruments militaires de l’Otan et non militaires de l’UE offre à l’Occident l’opportunité de défendre efficacement l’ordre international fondé sur des principes face à ses destructeurs.
Cette fois-ci, nos expériences communes de la Russie se sont retournées contre elle, car nos pays, tout comme l’Ukraine et les autres pays ayant jadis fait partie du bloc soviétique, possèdent beaucoup d’équipements militaires hérités du temps du Pacte de Varsovie. Nous savons comment réparer ces équipements, comment fabriquer les munitions qui vont avec, nous avons nos propres capacités industrielles et autres dont l’Ukraine a besoin pour survivre. Depuis le tout début de la guerre en Ukraine, nous n’avons pas douté une seconde que nous devrions mettre ces capacités à profit afin de nous défendre, et nous le faisons.
Il est clair que pour des raisons de sécurité nous n’allons pas livrer tous les détails concernant ces approvisionnements en équipements. Ce qui compte le plus, c’est que nous sommes en mesure d’envoyer en Ukraine des équipements fonctionnels, attendus par les Ukrainiens eux-mêmes et en mesure de renforcer sensiblement leur capacité à résister à l’agression russe.
Ce conflit ne se limite pas pourtant au seul territoire ukrainien, théâtre de lourds combats, mais indirectement concerne nous tous. Nos deux pays ont offert et continuent d’offrir un toit à des centaines de milliers de réfugiés de guerre. Aussi bien la Pologne que la République tchèque ont été à la hauteur, en accueillant des vagues successives de nouveaux arrivants. Beaucoup sont déjà retournés chez eux, mais un nombre important, restés sur place, peuvent toujours compter sur notre soutien dans leur intégration à nos sociétés. Nous leur avons assuré l’hébergement, les soins médicaux, des allocations, la scolarisation des enfants. Beaucoup de réfugiés ont trouvé un travail pour devenir des membres à part entière de nos sociétés.
Un autre domaine important est l’échange des informations et des expériences. Tous les spécialistes des conflits militaires suivent attentivement, jour après jour, le conflit en Ukraine, et nos pays, grâce à une aide rapide et efficace offerte à l’Ukraine, peuvent observer la situation de plus près et voient plus que les autres. Lors de ma visite à Kiev, j’ai vu, du côté ukrainien, une vraie disposition à partager avec nous plus d’informations qu’avec les autres pays.
Je crois que le soutien que nous, Tchèques et Polonais, offrons à l’Ukraine aidera à contenir l’agression russe et permettra à ce pays de reprendre le contrôle de tous les territoires occupés illégalement par la Russie. Je crois tout aussi fort que l’Ukraine prendra la direction des communautés occidentales et que nous pourrons coopérer tant dans le militaire que dans tous les autres domaines.
.L’un des défis pour l’Occident, une fois la guerre terminée, sera tant de reconstruire l’Ukraine et de l’intégrer dans les structures occidentales, ce à quoi la République tchèque et la Pologne devraient s’intéresser ces prochaines années, que de soutenir d’autres pays du Partenariat oriental, et plus concrètement la Moldavie et la Géorgie. Je me réjouis que Pologne soit pour la République tchèque une alliée et une amie, avec qui nous entretenons une coopération parfaite dans le domaine de la défense, tant bilatérale qu’au sein de l’UE et de l’Otan.
Jana Černochová