Les réparations de guerre allemandes, un sujet toujours d’actualité

La question des réparations de guerre revient régulièrement à l’ordre du jour, que ce soit en Pologne ou ailleurs en Europe. L’occupation allemande de la Pologne durant la Seconde Guerre mondiale a été particulièrement destructrice.
Demande officielle de la Pologne
Le vice-ministre des affaires étrangères de la Pologne, M. Arkardiusz Mularczyk, est chargé du projet de négociations avec l’Allemagne au sujet des indemnités de guerre et d’occupation. Lors d’une récente visite en Allemagne afin d’y présenter la version allemande du rapport, il a déclaré au „Berliner Zeitung” : „Nous voulons engager le dialogue avec l’Allemagne, afin qu’elle comprenne que la question des réparations de guerre n’a jamais été soldée”. Il a aussi déploré le manque de volonté politique du côté de Berlin : „le ministère des affaires étrangères allemand ne montre aucun engagement positif. Mme Annalena Baerbock refuse toute négociation à ce sujet”. M. Mularczyk a aussi indiqué que la question pourrait faire l’objet d’un arbitrage international ou pourrait être portée à la Cour internationale de justice de la Haye.
De son côté, l’ambassadeur de la République fédérale d’Allemagne à Varsovie, M. Thomas Bagger, considère que le sujet est clos et n’a pas à être réouvert : „Du point de vue du gouvernement allemand, tout a déjà été dit. La Pologne a envoyé une note diplomatique à notre ministère des affaires étrangères, lequel a maintenu sa position. C’est une boîte de Pandore qu’il vaut mieux laisser fermée”.
La partie allemande renvoie à un accord signé par les autorités communistes polonaises et la RDA en 1953, sous la pression de l’Union Soviétique. La Pologne devait renoncer aux réparations de guerre en échange de la reconnaissance de la nouvelle frontière germano-polonaise. La légalité de cet accord est cependant questionnée par de nombreux juristes et historiens. Le professeur Grzegorz Kucharczyk de l’Académie des Sciences de Pologne estime, dans une entrevue avec „Polskie Radio” que „c’était un accord entre deux Etats non souverains”, tandis que le docteur Karl Heinz Roth , historien allemand, déclare dans un entretien avec la „Polska Agencja Prasowa” que „les demandes de réparations polonaises sont légitimes”.
La Pologne a été récemment rejointe par la Grèce dans ses efforts pour obtenir une indemnisation pour les destructions et les crimes allemands commis pendant la Seconde Guerre mondiale. L’occupation de la Grèce a été l’une des plus violentes d’Europe et ce pays a été empêché à plusieurs reprises par les Occidentaux de demander réparation à l’Allemagne. Le parlement grec a estimé à 270 milliards d’euros le montant des compensations qui seraient dues à la Grèce. „Le sujet des réparations de guerre allemandes n’a jamais été clôturé en Grèce; il peut faire l’objet d’une coopération entre ce pays et la Pologne”, indique M. Artur Lompart, ambassadeur de Pologne à Athènes.
Enfin, il est important de noter que les demandes polonaises se font dans un contexte dans lequel l’Allemagne se pose en „sentinelle de la démocratie et des valeurs européennes”, en s’en prenant à la Pologne et à la Hongrie au nom d’une conception politisée de l’Etat de droit. L’Union Européenne bloque ainsi le versement à Varsovie d’aides et de subventions sous prétexte de „non-respect des valeurs européennes et de l’Etat de droit”, tandis que certaines des mesures prises par le gouvernement polonais et incriminées par la Commission de Bruxelles (en matière de justice ou de médias) sont pourtant naturellement en vigueur en France et en Allemagne.
Les ravages de l’occupation allemande
.La Pologne a été occupée par l’Allemagne nazie entre 1939 et 1945 et par l’Union Soviétique de 1939 à 1941 et à partir de 1944. C’est l’un des pays à avoir le plus souffert durant la Seconde Guerre mondiale. Considéré comme une cible prioritaire militaire et idéologique autant par les Allemands que par les Soviétiques, les occupants ont instauré un régime de terreur et une politique génocidaire sur tout son territoire.
En l’absence de collaboration étatique ou institutionnelle locale, les Allemands assuraient la quasi-totalité des échelons de l’administration. Seuls les maires de village et une modeste police inféodée aux nazis avaient été autorisés à se maintenir. En tant que territoire destiné à être colonisé et sa population déportée ou détruite, la Pologne a subi toute la violence de l’appareil totalitaire et génocidaire tant nazi que communiste.
Avant la guerre, la Pologne comptait 3,3 millions de Juifs, traditionnel plus grand réservoir de population juive d’Europe. L’Allemagne y mena en priorité, et avec le plus de moyens, sa politique d’extermination totale du peuple juif. 90% de cette population sera annihilée, soit près de 3 millions de personnes. Par ailleurs, 3 millions de Polonais non Juifs furent aussi tués, dans diverses conditions, par les Allemands. Des centaines de villages, avec leurs habitants, ont été détruits et rasés pour avoir apporté de l’aide à la résistance ou à des Juifs. Des dizaines de milliers de Polonais ont été exécutés par les Allemands lors de l’Insurrection de Varsovie. Les élites du pays (officiers, intellectuels, scientifiques…) ont été déportées ou exterminées. Des territoires ont été „purgés” de leurs habitants polonais pour laisser la place à des colons allemands. Au total, la Pologne a perdu près de 6 millions d’habitants tués soit un peu moins de 20% de sa population d’avant-guerre.
En plus de ça s’ajoutent les destructions matérielles et les pillages. De nombreuses villes ont été détruites partiellement ou intégralement. La capitale, Varsovie, a perdu plus de 80% de sa structure. Plus de 800 villages ont été rasés. L’infrastructure civile a été touchée dans toute la Pologne : 60% des hôpitaux ont été détruits, entre 50 et 60% du tissu industriel, 50% de l’infrastructure routière, ferroviaire et énergétique. Des centaines de milliers d’immeubles d’habitation, de magasins, d’ateliers, d’écoles… Les biens culturels ont été massivement pillés par les Allemands et les Soviétiques. De nombreuses œuvres d’art ont été détruites ou emportées en Allemagne pour ne jamais être rendues. Satellisée et communisée par l’URSS après la guerre, son économie a été réquisitionnée pour les besoin de Moscou. La Pologne n’a pas pu profiter des zones d’occupation de l’Allemagne (qui ont servi d’indemnisation à la France et à l’URSS notamment) , étant elle-même considérée comme un pays occupé par Staline. Elle a donc été artificiellement maintenue dans la pauvreté et le sous-développement tandis que les pays d’Europe de l’ouest jouissaient du Plan Marshall puis des Trente Glorieuses.
Enfin, la Pologne a perdu en superficie après la guerre. Si l’URSS a attribué à la Pologne une partie de la Prusse orientale, la Poméranie occidentale et la Silésie (soit 100 000 km2), elle lui a retiré toute sa moitié est, soit les actuelles Lituanie orientale, Biélorussie occidentale et Ukraine occidentale (soit 180 000 km2). En comptant les pertes humaines et les déplacements de populations consécutifs aux changements de frontières, la Pologne a perdu 11 millions de ses habitants d’avant-guerre (passant de 35 millions en 1939 à 24 millions en 1946). Ainsi, elle a été traitée comme un pays vaincu alors qu’elle a combattu dès le départ contre l’Allemagne nazie et a toujours refusé de collaborer, subissant une occupation exceptionnellement destructrice et génocidaire, contrairement à de nombreux autres pays occupés ou alliés à Hitler.
Les réparations de guerre, sujet d’importance
.Dans un article publié dans „Wszystko co Najwazniejsze”, le professeur Zdzisław Krasnodębski, philosophe, sociologue, député européen et vice-président du Parlement européen de 2018 à 2019, écrit que „les comptes des crimes allemands en Pologne n’ont toujours pas été soldés”.
„La paix qui a émergé et dont les architectes à Téhéran, Yalta et Potsdam ont été le président des États-Unis et le Premier ministre de Grande-Bretagne, associés à l’un des plus grands criminels de l’histoire contemporaine, Joseph Staline, était tout sauf juste pour la Pologne. Pire encore, la Pologne s’est retrouvée sous l’occupation soviétique, sous l’occupation d’un agresseur totalitaire allié d’Hitler en 1939. Alors que l’Allemagne a été divisée en zones d’occupation, la Pologne est devenue de fait une zone d’occupation soviétique à part entière. Toute une génération de Polonais – comme dans le cas d’autres nations d’Europe centrale et orientale – a été vouée à végéter dans la sphère d’influence soviétique”.
„Le sort réservé à la Pologne abat encore un autre mythe, si important pour l’Europe contemporaine : celui qui soutient que l’Allemagne, le pays qui domine aujourd’hui dans l’Union européenne, a soldé de manière exemplaire les comptes de son passé national-socialiste et indemnisé ses victimes. La Pologne n’a jamais obtenu de réparations de guerre. Malgré tout cela, l’Allemagne ne cesse de se percevoir aujourd’hui comme une « puissance morale », qui établit les standards pour les autres. À leur tour, les Polonais doivent aujourd’hui craindre non seulement l’agression militaire de la part de la Russie qui mène une guerre brutale en Ukraine, mais aussi se demander si, dans l’Union européenne actuelle, ils peuvent encore jouir du droit de « choisir la forme de gouvernement » et de prendre en toute indépendance des décisions clés dans leur pays”.
Nathaniel Garstecka