David BARRÉ: J'ai pu raconter l'histoire d'Irena Sendler, c'était quelque chose d'inédit pour les Français

J'ai pu raconter l'histoire d'Irena Sendler, c'était quelque chose d'inédit pour les Français

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David BARRÉ

Professeur de sociologie à la retraite. Il a enseigné entre autres à la Sorbonne. Il organise des voyages culturels en Israël. Il a écrit plusieurs livres, notamment "Des gens si bien..." (2001), "La maison habitée..." (2003) et "Une commémoration" (2013), tous aux éditions du Cosmogone.

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Nathaniel GARTSTECKA: – Vous avez écrit un livre sur Irena Sendler, intitulé „Elle, elle a sauvé les autres”, paru en 2009 aux éditions du Cosmogone. Comment vous est venue l’idée d’écrire ce livre? Qu’est ce qui, en Irena Sendler, a éveillé en vous un tel intérêt, alors qu’elle était à l’époque une figure très peu connue des Français?

David BARRÉ: – Plusieurs éléments m’ont amené a m’intéresser a ce projet. Les amis qui m’ont contactés pour que j’écrive un livre sur Irena Sendler m’ont dit qu’elle avait été nominée au prix Nobel de la paix. Ensuite, j’ai fait le lien avec mon histoire, une partie de ma famille ayant été enfermée dans le Ghetto de Varsovie et déportée à Treblinka. Aussi, l’exemple d’Irena Sendler méritait qu’on s’y attarde, elle avait sauvé 2 500 enfants Juifs du Ghetto en mettant sa vie en danger. Enfin, comme j’étais guide à l’institut Yad Vashem, l’arbre planté en son honneur se trouve à l’entrée de l’avenue des Justes. Tous ces éléments se sont enchainés et j’ai accepté le projet d’écriture de ce livre. Ajoutons qu’Irena Sendler était effectivement une personnalité totalement inconnue en France, j’ai ressenti le besoin de découvrir son histoire.

Vous avez rencontré à plusieurs reprises Irena Sendler pendant la rédaction du livre. C’était peu avant sa mort, il y a maintenant 15 ans. Quel souvenir gardez-vous de ces rencontres?

– En aout 2007, j’ai fait le déplacement à Varsovie avec ma femme et Agata Mozolewska, ma traductrice, dans l’idée de pouvoir peut être rencontrer Irena Sendler. Étant donné son âge avancé et son état de santé, elle ne recevait plus de visites et nous nous étions heurtés à un barrage quand nous avions souhaité organiser un rendez-vous avec elle. Lors de notre visite de la ville, nous sommes passés devant l’église Saint-François et je me suis dit qu’on pourrait peut-être y obtenir des renseignements sur Irena Sendler. Le prêtre, très serviable, nous a expliqué qu’elle se trouvait dans un hospice pas loin mais que les visites étaient interdites sans rendez-vous. Nous avons joué le tout pour le tout, nous nous sommes présentés à l’improviste à cet hospice en inventant que nous avions rendez-vous avec Irena Sendler. A notre grande surprise, ça a fonctionné, Irena Sendler nous a reçus. Nous avons donc passé quelques fabuleux jours avec elle, à recueillir son histoire et son témoignage.

C’était une femme ferme, déterminée et douce en même temps. A son âge avancé et malgré son état (elle avait été torturée par les Allemands, qui lui avaient brisé les jambes), elle avait encore ses moyens intellectuels, ce qui nous a fait grande impression. Elle s’est ouverte à nous et nous a tout raconté. Pour l’anecdote, le dernier jour, au moment de lui dire au revoir, elle m’a regardé dans les yeux d’un regard malicieux et m’a soufflé: „vous savez, vous n’aviez pas rendez-vous”. Elle a rajouté: „pour moi, c’était le plus beau des rendez-vous”. Elle nous a chaleureusement remerciés, mais nous a dit qu’elle ne voulait pas être considérée comme une héroïne. Un autre élément nous a ému. Une dame passait beaucoup de temps avec elle, quasiment chaque jour. Il s’est avéré que c’était l’une des enfants qu’Irena Sendler avait sauvés. Quand elle a appris que sa bienfaitrice était en mauvaise santé, elle s’est mise à disposition de l’hospice pour l’assister.

Votre livre est l’un des premiers, si ce n’est le premier, au sujet d’Irena Sendler à paraître en France. Depuis, beaucoup d’ouvrages ont été publiés, sur elle mais aussi sur la Shoah. Comment expliquer l’intérêt des Français pour Irena Sendler et pour cette période de l’histoire?

– Le livre est certainement le premier en France sur la vie d’Irena Sendler. Par ailleurs, son objectif n’était pas lucratif. Il s’agissait pour moi de me rapprocher de mon passé, de mes origines, de découvrir Irena Sendler et de transmettre son témoignage. J’ai donné de nombreuses conférences sur elle, dans les universités, dans les milieux juifs mais aussi dans les cercles d’amitié judéo-chrétienne. Il y a eu un grand engouement. Ensuite, beaucoup d’auteurs ont profité de la vague, surtout après son décès. Au sujet de l’intérêt des Français, mon avis est que d’une certaine façon ils cherchent à se déculpabiliser. Ceux qui n’ont pas bougé essaient de se donner désormais bonne conscience en mettant en avant des personnes comme Irena Sendler.

Il s’agit d’un témoignage essentiel sur la réalité de la brutalité de l’occupation allemande de la Pologne et sur la Shoah. Irena Sendler a sauvé la vie de 2 500 enfants Juifs, au péril de la sienne et des membres de son réseau. Comment voyez-vous votre rôle dans la transmission de cette mémoire?

– Le livre a été un excellent support de transmission. Comme je l’ai rappelé, mon but n’était pas lucratif. J’ai donné de nombreuses conférences dans les cercles juifs et dans les universités, je n’y cherchais pas à vendre mon livre, mon livre me servait juste de vecteur de communication. J’ai pu raconter l’histoire d’Irena Sendler, c’était quelque chose d’inédit pour les Français. Par exemple, j’évoque le cas de cette église Saint-François, la même où ce prêtre nous a renseigné sur l’hospice dans lequel se trouvait Irena Sendler. C’était dans cette église qu’étaient organisées des messes à n’en plus finir, dans lesquelles les gens venaient récupérer les enfants du Ghetto qui arrivaient par souterrain. Il fallait les sortir du souterrain pendant la messe, les confier aux gens et faire en sorte que cela paraisse naturel car les alentours étaient quadrillés par les Allemands et les SS. J’avais un ami ancien déporté à Auschwitz qui m’a incité à aller dans les collèges et les lycées pour parler d’Irena Sendler et des enfants sauvés. Je passais à la retraite mais j’ai accepté de le faire, ce qui m’a permis d’atteindre des jeunes entre 13 et 16 ans. Ils étaient très attentifs, curieux. Je n’ai pas eu de mauvaises réactions. J’ai aussi participé à des voyages à Auschwitz, en tant qu’ancien professeur, où je racontais ce que je savais sur cette période. C’était ça ma transmission, parler aux jeunes, leur parler des enfants qui ont réussi à sortir du Ghetto.

En Pologne, Irena Sendler a été élevée au rang de héroïne nationale. Elle a été décorée des plus hautes distinction du pays, en plus de recevoir le titre de Juste parmi les nations. Son exemple est enseigné aux jeunes générations, au même titre que d’autres héros polonais comme Jan Karski et Witold Pilecki. Quelles leçons du peut-on tirer du passé pour rendre l’avenir plus lumineux?

– C’est une question difficile à laquelle je réfléchis depuis longtemps. Vous savez, les dignitaires nazis étaient cultivés, ils écoutaient de la musique et allaient à l’opéra. Ils avaient des diplômes. Et ça n’a rien changé. On dit que ça ne doit plus jamais se reproduire et on se rend compte que quelque part dans le monde, un dictateur met au pas sa société et peut commettre des crimes d’un claquement de doigt. Nous devons donc être capables de nous défendre en cas de nécessité. Il ne faut cependant pas désespérer de l’homme, il faut continuer à former les nouvelles générations. Enseigner la tolérance, les histoires comme celle d’Irena Sendler. Ayons conscience que nos valeurs ne seront jamais universelles alors continuons à être ce que nous sommes, et faisons ce travail de mémoire autour de nous, parmi nos proches. Chaque personne rendue meilleure par l’exemple d’Irena Sendler est une victoire.

Propos recueillis par Nathaniel Garstecka

16/05/2023