Nathaniel GARSTECKA: Ce que nous apprend l'insurrection du Ghetto de Varsovie est universel et intemporel

fr Language Flag Ce que nous apprend l'insurrection du Ghetto de Varsovie est universel et intemporel

Photo of Nathaniel GARSTECKA

Nathaniel GARSTECKA

Journaliste à "Wszystko co Najwazniejsze". Parisien né dans une famille d'origine polono-juive, habite à Varsovie. Il se passionne pour l'histoire et la culture polonaise, française et du peuple juif.

Ryc. Fabien CLAIREFOND

Autres textes disponibles

Ce 19 avril 2023, nous commémorons les 80 ans de l’insurrection du Ghetto de Varsovie, premier soulèvement civil contre l’occupant allemand.

Nous luttons pour notre et votre Liberté! Pour notre et votre honneur et dignité!”

.Ce fragment est tiré de l’appel de l’Organisation Juive de Combat („ŻOB”), publié quelques jours après le début de l’insurrection du Ghetto et destiné à être diffusé parmi la population polonaise côté aryen. Les combattants Juifs savaient qu’ils étaient quasiment tous destinés à mourir durant les combats. Ils le savaient, mais ils ont refusé de se laisser exterminer par les Allemands sans se défendre.

La Pologne, au sein de laquelle vivaient 3,5 millions de Juifs (soit 10% de la population du pays), fut envahie en septembre 1939 par les Allemands et les Soviétiques. La capitale, Varsovie, fit partie de la zone d’occupation allemande. En l’absence d’organisation collaboratrice qui aurait pu former un gouvernement fantoche à leur solde, les occupants décidèrent de diriger eux-mêmes le pays. Ils annexèrent les territoires occidentaux de la Pologne et formèrent un „Gouvernement Général”, dirigé par Hans Frank, dans le reste de la Pologne occupée. Toute l’économie fut réquisitionnée et tournée vers la satisfaction des besoins de l’Allemagne. Les Polonais et les Juifs n’étant ni des peuples alliés ou utiles à Adolf Hitler, ni des peuples devant survivre selon les théories raciales nazies, l’occupation de la Pologne fut d’une brutalité inédite en Europe.

Le Ghetto a été créé en 1940, dans le but d’isoler et d’enfermer la population juive de Varsovie et de ses environs. La ville comptait plus de 350 000 Juifs avant la guerre, soit un tiers de sa population. C’était l’un des plus grands centres du judaïsme au monde, le plus grand d’Europe. A la fermeture du Ghetto en novembre 1940, 450 000 Juifs se retrouvèrent entassés sur une surface de 300 hectares, au centre de Varsovie. La faim, les maladies et les exécutions sommaires s’ajoutèrent progressivement à la déshumanisation des Juifs voulue par les Allemands.

Au 19 avril 1943, jour du déclenchement du soulèvement contre l’occupant, le Ghetto réduit ne comptait plus que 60 000 personnes. Durant l’été 1942, les Allemands avaient déporté la grande majorité des Juifs de Varsovie vers le camp d’extermination de Treblinka („Grossaktion Warschau”). Ceux qui purent éviter la déportation furent ceux qui avaient pu obtenir un travail dans les ateliers et les usines utiles aux Allemands.

Le Ghetto devait être totalement liquidé au début de l’année 1943, avec une dernière vague de déportations. À ce moment, en janvier, il y eut une première action armée de la part des Juifs qui surprit les Allemands. Deux organisations de résistance avaient effectivement pu se structurer pendant les mois précédents: l’Organisation Juive de Combat („ŻOB”) et l’Union Militaire Juive („ŻZW”).

Le ŻOB était issu du regroupement, en 1942, de plusieurs organisations de jeunesse sionistes, ouvrières et bundistes. Le ŻZW avait été fondé en 1939 par des officiers juifs de l’armée polonaise, et comptait de nombreux militants du Beitar et des sionistes révisionnistes. Dès leur création, ces deux mouvements avaient cherché à prendre contact avec la résistance polonaise, notamment avec l’Armée de l’Intérieur („AK”), en vue de coordonner leurs actions et d’obtenir des armes et des munitions. Le ŻOB et le ŻZW ne parvinrent pas à s’allier, les différences idéologiques étant trop prononcées, mais finirent par établir une forme de coopération en se partageant les zones du Ghetto à défendre. C’est ainsi que quelques centaines de résistants juifs affaiblis et faiblement armés décidèrent d’affronter la machine de guerre allemande dans un combat perdu d’avance, mais dont le symbole restera à jamais gravé dans les mémoires.

Heinrich Himmler ordonna de procéder à la destruction du Ghetto le 19 avril 1943, jour de la fête juive de Pessah. L’opération devait durer deux jours et s’achever pour l’anniversaire d’Adolf Hitler, le 20 avril. Les Allemands voulaient donc faire de l’horreur de l’extermination finale des Juifs de Varsovie une célébration.

Les organisations juives opposèrent dès le départ une farouche résistance. Les premiers jours de l’insurrection furent marqués par des combats acharnés menés par le ŻZW aux abords du Plac Muranowski. Les résistants dressèrent deux drapeaux au sommet du bâtiment le plus élevé de la place: le drapeau juif blanc et bleu, et le drapeau polonais blanc et rouge. Côte à côte, ces drapeaux symbolisaient la solidarité des deux peuples martyrs dans le combat pour la liberté, l’honneur et la dignité.

La résistance polonaise participa aussi aux combats. Elle mena des actions armées contre les Allemands côté aryen, livra des armes et des munitions aux insurgés et aida à cacher ceux qui parvinrent à sortir du Ghetto. Le Premier ministre polonais en exil, Władysław Sikorski, appela les Polonais à être solidaires des combattants Juifs et à les aider dans la mesure du possible.

De par la disproportion des forces, les combats n’avaient pas vocation à durer longtemps. Les Allemands engagèrent des milliers de soldats, soutenus par des véhicules blindés, des pièces d’artillerie, des gaz de combat et des lance-flammes. En face, le ŻOB n’avait à sa disposition que 500 hommes, quelques dizaines de pistolets et de grenades, et quelques cocktails molotov. Le ŻZW ne comptait que 300 hommes, mais ils étaient un peu mieux armés grâce aux livraisons de l’AK. Malgré cela, les combattants Juifs luttaient pour ce que les occupants hitlériens n’avaient pas: l’honneur et la dignité.

Le commandant des forces allemandes, Jürgen Stroop, enragea devant cette résistance plus forte que prévue et augmenta le nombre de troupes engagées. Leur brutalité atteignit des sommets. Ils passaient au lance-flammes les caves dans lesquelles se cachaient les Juifs, ils exécutaient sur place les résistants, ils brûlaient et rasaient systématiquement chaque immeuble du Ghetto, avec leurs habitants à l’intérieur. Il s’agissait aussi d’envoyer un avertissement à la population polonaise, pour la décourager de porter secours aux Juifs.

Le Plac Muranowski tomba après une semaine de violents combats. Les Allemands purent retirer les drapeaux juifs et polonais qui flottaient au vu de tout Varsovie. Les survivants du ŻZW sortirent du Ghetto par le réseau d’égouts et de canalisations souterraines et poursuivirent les combats côté aryen durant lesquels leurs chefs, Paweł Frenkel et Leon Rodal, furent tués.

Le 8 mai, les Allemands encerclèrent le bunker de la rue Miła, où se trouvait le siège du ŻOB. Les résistants préfèrent se suicider avec leur commandant, Mordechai Anielewicz. Quelques combats de faible intensité eurent encore lieu en certains endroits du Ghetto, mais le 16 mai les Allemands purent faire exploser la grande synagogue de Varsovie, rue Tłomackie, en guise de clôture de l’opération de liquidation du Ghetto de Varsovie. Ils déportèrent tous les Juifs capturés vers les camps d’extermination et rasèrent intégralement les immeubles du quartier. Il fallait effacer toute trace de présence juive dans la ville.

Les survivants Juifs (quelques centaines) se cachèrent côté aryen puis participèrent à l’insurrection de Varsovie, en août 1944. Ce fut le cas notamment de Marek Edelman, dernier commandant du ŻOB, qui devint la figure survivante la plus connue après guerre. Le dernier survivant de l’insurrection du Ghetto de Varsovie, Leon Kopelman, disparut en 2021 à l’âge de 97 ans.

Par ailleurs, d’autres ghettos se soulèveront par la suite, comme à Białystok, Sosnowiec ou Częstochowa.

.Les leçons à tirer de cet événement marquant de l’histoire du peuple juif et de la Pologne sont nombreuses et toujours d’actualité. L’insurrection du Ghetto de Varsovie fut le premier soulèvement civil et urbain contre les Allemands durant la Seconde Guerre mondiale et la plus grande action de résistance armée juive face à l’extermination totale dont ils étaient victimes. Elle sera un élément constitutif de l’identité juive et de celle d’Israël. Elle sera un contre-argument à ceux qui estiment que les Juifs se sont tous laissés mener à l’abattoir sans réagir. Elle sera une humiliation pour les Allemands, qui ne s’attendaient pas à une résistance d’une telle ampleur et mirent un mois à l’écraser au lieu des deux jours prévus initialement. Elle sera le baroud d’honneur du monde juif d’Europe centrale et de l’est au bord de la disparition. Elle sera le symbole de la lutte commune et de la fraternité d’armes entre les Juifs et les Polonais, deux peuples que les Allemands comptaient intégralement exterminer. Elle sera le symbole du combat pour l’honneur, la dignité et la liberté, d’une victoire morale au milieu d’un océan de ténèbres et de destructions, une étincelle d’espoir au cœur d’une Europe sous la botte des totalitarismes nazi et communiste. Elle sera une inspiration pour les soulèvements futurs, comme celui de Varsovie l’année suivante.

Vive la fraternité d’armes et de sang de la Pologne combattante! Vive la Liberté!” (appel du ŻOB)

Nathaniel Garstecka

œuvre protégée par droit d'auteur. Toute diffusion doit être autorisée par l'éditeur 15/04/2023