
Ville de polars, ville de récits
Les polars ayant pour décor Wrocław, empreints de noirceur et d’angoisse, attirent et provoquent à la fois, nous forçant à considérer la ville non seulement comme un bel espace, mais aussi comme un organisme vibrant d’une vie cachée – écrit Michał KŁOSOWSKI
.Il existe des villes qui nourrissent l’imaginaire non seulement par leur architecture, leurs paysages, leurs personnages et leur histoire, mais aussi par la littérature. Barcelone a son Carlos Ruiz Zafón, dont L’Ombre du vent a imprégné la ville à jamais d’une atmosphère de mystère, de ruelles brumeuses et de librairies sentant la poussière. Florence évoque les visions dantesques de l’enfer, tandis que Dublin – l’Ulysse de Joyce. Mais nul besoin de aller chercher si loin, nul besoin non plus de voyager à l’étranger : Wrocław est une ville qui depuis plusieurs années s’impose discrètement, mais avec constance, comme la capitale polonaise du polar ; une ville qui devient elle-même le protagoniste, le décor, et parfois l’auteur de mystères et de crimes.
Le Wrocław de Marek Krajewski
.Ce n’est pas un hasard si c’est à Wrocław que se déroule la série de Marek Krajewski avec comme personnage principal Eberhard Mock. Son Breslau (Wrocław) des années 1920 et 1930 est un espace à la fois sale et fascinant. Plein d’élites avariées, de cabarets décadents, de types louches, de brasseries enfumées et de ruelles qui puent le crime. Krajewski a non seulement créé le personnage d’un enquêteur classique de roman noir, mais a également fait du Wrocław d’avant-guerre un héros en chair et en os – une ville qui à la fois attire et rejette, incitant les voyageurs à rechercher les traces du Breslau d’antan dans la topographie actuelle. Rien d’étonnant donc que sa série de récits sur la ville du péché ait fait un tel tabac. Wrocław dépeint par Marek Krajewski est une ville qui attire, fascine et, d’une certaine manière, captive par un caractère et une atmosphère dont la ville de New York de la première moitié du XXe siècle aurait été fière.
Pas que Krajewski
.Mais Wrocław ne s’est pas arrêté à Krajewski. La ville possède une riche palette de topos policiers qui vont au-delà de son histoire d’avant-guerre. Des romans contemporains où la métropole de Basse-Silésie dévoile son nouveau visage à ceux qui se penchent non sans nostalgie sur son sombre passé. Des auteurs comme Andrzej Ziemiański, Joanna Opiat-Bojarska, Jacek Bierut et Marta Guzowska inscrivent les rues, ponts, cours et même quartiers entiers de Wrocław dans un univers de crime, d’intrigues et d’enquêtes. Forte de son histoire complexe, la ville sur l’Oder devient un laboratoire idéal pour les polars : ici, où langues et cultures se mêlent depuis des siècles, où chaque immeuble a son propre récit et chaque sous-sol son secret, les histoires attendent presque d’être racontées.
Les romans policiers de Wrocław sont donc plus qu’un divertissement. Ils sont une forme de guide littéraire. Le touriste qui vient marcher sur les traces de Mock ou d’autres personnages découvrira la ville non seulement à travers le regard d’un photographe, mais aussi à travers celui de la littérature : il jette un coup d’œil à la Halle du Centenaire, flâne dans la rue Świdnicka et contemple Ostrów Tumski, sachant qu’une sombre enquête aurait pu s’y dérouler. C’est une visite touristique différente, comparable à une promenade au Cimetière des livres oubliés de Zafón à Barcelone, pleine de sensations fortes et du sentiment que, sous la surface du quotidien, se cache une histoire qu’aucun guide ordinaire n’est à même de raconter.
Cette comparaison avec la capitale catalane n’est pas fortuite et va presque de soi. Barcelone a attiré des milliers de touristes grâce à Zafón et à son mystique cimetière de livres oubliés. De même, Wrocław pouvait (et commence déjà) raconter son histoire à travers les polars. Non pas comme une énième « ville des ponts » ou une « Venise polonaise », mais comme une « ville du mystère », où la littérature rencontre la réalité. Ici, le polar devient une marque, un produit d’exportation et une invitation : « Venez, arpentez ces rues, imprégnez-vous de cette atmosphère. »
Ville UNESCO de littérature
.Wrocław est aussi une ville au potentiel littéraire particulier. L’UNESCO l’a déjà labelisé « Ville de littérature », mais c’est les polars qui lui confèrent un caractère unique : une identité distincte que Cracovie, Varsovie ou Gdańsk n’ont pas. Si la poésie, les grands romans historiques et la littérature contemporaine y dominent, le roman policier et le mystère règnent à Wrocław en maîtres. Et c’est précisément cette singularité qui pourrait servir de fondement à la promotion de la ville, capitale polonaise du polar. Après tout, l’architecture elle-même constitue un décor qui pourrait tenter un crime.
Les polars ayant pour décor Wrocław, empreints de noirceur et d’angoisse, attirent et provoquent à la fois, nous forçant à considérer la ville non seulement comme un bel espace, mais aussi comme un organisme vibrant d’une vie cachée. C’est en eux que réside le pouvoir narratif, capable de donner envie aux touristes, de tourner, tel des lecteurs, les pages de la ville.