
Łódź. Une ville avec une histoire, une âme et des expériences qu'aucune autre ne possède.
Łódź a vécu une des plus douloureuses et profondes transformations. Ce serait peut-être d’ailleurs la raison de son si grand bond en avant. C’est un bon endroit pour une Expo. Elle a une histoire, elle a une âme, mais elle a désormais acquis aussi une forte importance économique – écrit Michał BONI
Une première image, c’est la Łódź du film d’Andrzej Wajda « La terre de la grande promesse ». La ville d’un capitalisme en plein essor. Pleine de pauvreté et de richesse. Pleine de traditions nobiliaires et paysannes de la Pologne d’antan et de la polonité. Mais, aussi, pleine de force perceptible dans une nouvelle couche sociale – de ceux qui bâtissaient les dures règles d’un marché naissant. Des gens différents, des nationalités différentes, des religions différentes, des tempéraments différents. Le Polonais, l’Allemand, le Juif – Olbrychski, Seweryn, Pszoniak.
Qui sait si ce n’était pas la première ville polonaise à étaler si ostensiblement l’essence de sa vorace urbanité – représentée d’une manière tellement suggestive et qui allait se figer dans l’imagination collective.
Ce que je vois ensuite, comme dans mes souvenirs, mais c’est plutôt de la mémoire acquise – à travers des lectures, des mémoires, des histoires – c’est la Łódź des années 1945 et 1946. Varsovie, détruite, ne pouvait pas encore remplir ses fonctions de capitale. Après Lublin, elle était remplacée un peu par Cracovie, mais surtout par Łódź, en particulier dans la sphère de la culture. C’était ici qu’avaient lieu les plus importantes premières théâtrales et dans un seul et même spectacle, « Électre » de Giraudoux, se référant symboliquement au drame du soulèvement de Varsovie, se produisaient sur la scène, côte à côte : Aleksander Zelwerowicz, Jacek Woszczerowicz, Jan Kreczmar, Jan Świderski, Andrzej Łapicki, Czesław Wołłejko, Zofia Mrozowska, Halina Kossobudzka, Zofia Małynicz, Barbara Rachwalska, Antonina Górecka. C’était ici que sortaient des hebdomadaires : « Kuźnica », d’un marxisme virulent, avec des textes de Żółkiewski, mais aussi de Hertz et Kott. C’était ici qu’on commençait à reconstruire la cinématographie polonaise, en donnant naissance à l’école de cinéma de Łódź. C’était ici que perdurait la mémoire du ghetto, différent de celui de Varsovie, avec ses propres expériences, douloureuses, du sauvetage des êtres humains et du drame de la Shoah. Un monument conçu par Czesław Bielecki et mis en place il y a une dizaine d’années est le reflet de cette réalité unique.
Une image suivante – des cadres de chroniques filmées. La grève des tisserandes de Łódź – la visite du premier secrétaire Edward Gierek. Le soi-disant respect du travail, les soi-disant engagements – et en face : les visages fatigués des femmes fatigués, de ces Polonaises braves et courageuses. Quelques films voyaient le jour – pas aussi propagandistes que les chroniques filmées avec Gierek du début des années 70. Dans ces documentaires – la dure vérité sur ce que vivait Łódź, la ville polonaise du capitalisme aux temps de la tricherie socialiste.
Le début des années 90. Les débats sur la forme de la transformation – sur l’économie du marché et le capitalisme polonais dans cette nouvelle réalité, celle de l’indépendance retrouvée. L’industrie légère qui s’écroulait et les autres secteurs de l’industrie et de l’économie qui battaient de l’aile. Les femmes rentraient chez elles pour reprendre, quelques années plus tard, le travail dans de petits ateliers tisserands et textiles éparpillés à la périphérie de la ville. Les hommes – au chômage. La ville prenait un coup de vieux mais les étudiants se faisaient de plus en plus nombreux. Les écoles supérieures renaissaient. Les économistes de Łódź, avec Marek Belka en tête, développaient puissamment l’économie polonaise. La loi du travail était changée par le professeur Michał Seweryński, futur recteur et sénateur.
Au bureau du ministre du travail, je m’entretenais avec Bogusław Grabowski, chargé de mission responsable du développement et de la restructuration de la région (une première initiative du genre en Pologne), sur les chances de la voïvodie de Łódź. Ce n’est que des années plus tard qu’apparaîtront des facteurs réels de développement, dont, à l’époque, en 1991 et plus tard encore, en 1993, on pouvait seulement rêver.
Łódź a vécu une des plus douloureuses et profondes transformations. Ce serait peut-être d’ailleurs la raison de son si grand bond en avant. De nouvelles initiatives, de nouveaux services – financiers, logistiques, commerciaux – voyaient le jour. L’ancienne ville délabrée se mettait à retrouver sa vitalité. Les rues étaient rénovées, dans les espaces post-industriels s’installaient des galeries marchandes mais également des centres de développement : des hubs de nouvelles formes de l’économie. On restaurait les monuments de la ville capitaliste du XIXe siècle, dont le fameux palais Poznański. Les fonds européens, bien programmés, amenaient des investissements qui en déclenchaient d’autres. Petit à petit, l’infrastructure de la ville se transformait. Et la ville commençait à comprendre la valeur de sa tradition pas forcément facile. Même la série policière avec le fantastique chien Alex, gagnant la sympathie du public, montrait Łódź en action.
C’est un bon endroit pour organiser une Expo. La ville a une histoire, une âme, mais elle a désormais acquis aussi une forte importance économique.
Michał Boni