fr Language FlagDémocratie et révolution

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Tous les observateurs ont les yeux rivés, et c’est légitime, sur le pari électoral d’Emmanuel Macron. Il est juste d’affirmer qu’il a tenté de redonner un souffle démocratique nouveau à l’Assemblée Nationale et à la vie démocratique française, après la période compliquée qu’a été pour lui celle entre les précédentes législatives et les dernières élections européennes. Néanmoins, son coup de poker a d’autres conséquences en plus de renforcer la gauche et de mettre le RN face à un nouveau plafond de verre et suscite davantage de réflexions.

Aveu d’échec

.Commençons par rappeler que c’est avant tout par aveu de faiblesse que le Président a dissous la représentation législative. Le projet dont il était l’initiateur et l’incarnation ne pouvait espérer rester la première force politique en France dans un pays habitué à l’opposition classique entre le centre-droit et le centre-gauche. La tentative de créer un bloc central unique a ainsi ouvert la voie au renforcement des ailes „extrêmes”, en particulier La France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon et le Rassemblement National de Marine le Pen. La première est devenue en quelques années la principale force à gauche, pouvant réunir autour d’elle les autres partis progressistes afin de former une alliance électorale qui a obtenu 130 sièges à l’Assemblée Nationale en 2022 puis 180 en 2024. Le second vient de devenir le premier parti de France, après avoir battu des records à toutes les élections successives depuis 2017, sauf aux élections locales.

Cette progression a pu se faire grâce au vide laissé par la déroute du Parti Socialiste et des Républicains, qui ont été pillés par En Marche, le parti d’Emmanuel Macron. D’abord le PS, dont  EM n’est somme toute qu’une dissidence, puis LR plus progressivement. La synthèse des électorats de centre gauche et de centre droit est tout à fait visible sur une carte électorale: Le bloc centriste est fort dans les territoires historiques de la gauche et les régions mixtes du quart nord-ouest du pays, ainsi que dans les quartiers chics et la banlieue ouest de Paris, traditionnellement acquis aux Républicains.

La France se prête assez mal au jeu du tripartisme, en particulier quand l’un des trois partis en question est le Rassemblement National, fascisé et diabolisé par la quasi-totalité de la scène politique française, comme nous avons pu le constater au soir du 7 juillet 2024.

La hausse brutale de la participation a rebattu les cartes de l’affrontement politique. Le camp national (RN + Ciotti) a certes obtenu 10,5 millions de voix au premier tour, mais l’addition des voix du centre et de la gauche a donné 13,5 millions au second. Triomphe d’un „front républicain” qu’on croyait pourtant moribond.

Le sens des législatives

.Comment expliquer cette explosion de la participation, qui ne faisait pourtant que baisser depuis 1997 et la dissolution opérée par Jacques Chirac? Ce sont en effet les dernières élections à avoir conféré à l’Assemblée Nationale un rôle si particulier de contre-pouvoir. En 1986, François Mitterrand introduit la proportionnelle aux législatives mais perd son pari. C’est la première cohabitation, qui sera suivie de deux autres, dont celle de 1997. Afin d’en éviter de nouvelles, le Président Chirac décide de remplacer le septennat par le quinquennat et d’aligner les législatives sur la présidentielle, afin de fournir au président fraîchement élu ou réélu une majorité absolue lui permettant de gouverner. Elue grâce à la vague victorieuse du président, l’Assemblée Nationale ne pouvait que se sentir redevable et ne pas s’opposer à la volonté du chef suprême. Elle ne devenait finalement qu’une chambre d’enregistrement des décisions venues d’”en haut” et les députés gagnaient (ou regagnaient) le surnom de „godillots”. Confrontés à la perte de sens des élections législatives, les électeurs s’en sont petit à petit détournés. La participation a atteint un bas historique de 47,5% en 2022.

C’est ici que nos deux analyses, celle sur l’incapacité du projet centriste à durer et celle sur la perception d’inutilité des législatives, se rejoignent. Pour la première fois depuis 2002 et donc depuis vingt ans, un président réélu n’a pas obtenu la majorité absolue aux législatives. François Hollande avait en partie perdu la sienne, mais c’était durant son mandat et c’est la fronde des députés PS qui a entraîné la dissidence et la création d’En Marche. Le Président Macron devait faire face à des tensions sociales et sécuritaires grandissantes, et l’absence de majorité absolue l’obligeait à chercher l’appui des députés LR pour faire passer ses lois, s’il ne se servait tout simplement pas de l’article 49.3 de la Constitution. En un an et deux mois (octobre 2022—décembre 2023), le gouvernement d’Elizabeth Borne y a eu recours 23 fois, un record.

La majorité relative dont disposait le camp présidentiel ne pouvait plus suffire, le pays devenait ingouvernable. La déroute des européennes de juin 2024 a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Ce n’était plus un simple avertissement, mais un carton rouge montré par les électeurs, qui ont donné au RN plus du double des voix du bloc centriste. Il fallait réagir, et vite. Emmanuel Macron a dissous l’Assemblée Nationale le soir même de sa défaite et organisé des élections législatives anticipées à peine 3 semaines plus tard, comme l’y autorise la Constitution. A ce moment, il venait de torpiller le sens du quinquennat, car une législature dure invariablement 5 ans, et donc la présidentielle est désormais séparée des législatives. L’Assemblée Nationale regagne soudainement un intérêt certain: sa fonction de contre-pouvoir obtenue à la fin des années 1980 et perdue au début des années 2000.

Les électeurs ont perçu ce tremblement de terre institutionnel et ont saisi l’opportunité de faire à nouveau entendre leur voix aux élections parlementaires. La participation n’a au final fait que se rétablir au niveau d’avant le quinquennat et tant Jean-Luc Mélenchon que Gabriel Attal (dont la démission a été repoussée par le Président) ont relevé que „le centre de gravité de la démocratie est revenu à l’Assemblée Nationale”.

De nouvelles dissolutions

.Les résultats sont eux aussi riches d’enseignements, mais concentrons-nous sur la suite des évènements. La constitution d’une nouvelle majorité et d’un nouveau gouvernement sera quelque chose de difficile. La démocratie française a perdu l’habitude des coalitions depuis… la „gauche plurielle” en 1997. La réactivation de cette dernière sous la forme de la NUPES puis du Nouveau Front Populaire n’a pas permis à la gauche d’obtenir la majorité absolue, ni même franchir la barre des 200 députés, mais elle constitue à nouveau le premier bloc parlementaire à l’Assemblée Nationale. A condition qu’elle survive aux guerres internes et à la soif de pouvoir de Jean-Luc Mélenchon.

Quel que soit le résultat des négociations en vue de la formation d’un nouveau gouvernement, la situation du prochain Premier ministre sera précaire. Aucune politique d’envergure ne pourra être menée dans un pays qui ne cesse de bouillir de l’intérieur. On évoque déjà une future dissolution (la Constitution ne le prévoit qu’après une période d’un an) et il est quasiment acquis que l’Assemblée Nationale sera à nouveau dissoute au lendemain de l’élection présidentielle de 2027.

Cette dernière sera cruciale. Si le camp d’Emmanuel Macron garde la main durant la période 2024-2027, sa popularité continuera à baisser et on pourra aller jusqu’à envisager un second tour entre Jean-Luc Mélenchon (si ce dernier est écarté de la nouvelle coalition et axe sa rhétorique sur le vol démocratique, radicalisant encore davantage son discours) et Marine le Pen. A trois ans de l’échéance, il ne s’agit là que de pure spéculation, mais cette éventualité a de quoi inquiéter pour les législatives qui auront sans doute lieu juste après.

Gauche, centre et droite

.A gauche, la ferveur de la victoire va vite retomber. Comme rappelé plus haut, les conflits internes n’ont jamais cessé et ne vont que s’exacerber dans la perspective de participer ou non à une coalition gouvernementale avec le bloc centriste. Jean-Luc Mélenchon exige le poste de Premier ministre, il ne l’obtiendra sans doute pas. Plusieurs figures du camp macroniste ont exclu une collaboration avec La France Insoumise, malgré le pacte électoral passé au second tour pour „faire barrage à l’extrême droite”.  D’autres figures, et non des moindres, comme le ministre des Affaires étrangères et secrétaire général de Renaissance, Stéphane Séjourné, ont appelé à une alliance centriste élargie aux partis „républicains” tant de gauche que de droite. C’est-à-dire sans LFI et sans le RN. C’est ce qui semble le plus logique dans un premier temps et un tel attelage pourrait obtenir la majorité absolue, même si on prend en compte un éventuel refus d’une partie des députés LR et d’une partie des écologistes et socialistes. La gauche se retrouverait à nouveau divisée, quelques jours à peine après avoir donné l’impression d’être unie. Si cette gauche dite „républicaine” participe à un gouvernement de non opposition à Emmanuel Macron, la déception parmi ses électeurs sera grande et c’est LFI qui en tirera les bénéfices à moyen terme. Un moyen terme de 3 ans, par exemple.

Le pari d’Emmanuel Macron n’était dès le départ pas voué à l’échec. Sa tentative de redonner un nouveau souffle à son projet centriste, quitte à l’élargir encore davantage sous prétexte d’”union des forces républicaines face aux extrêmes” était risquée, et son succès pas encore garanti, mais était bien pensée. Les conseillers du Président ont bien calculé que si le pays n’était pas majoritairement de droite, il n’était pas non plus majoritairement d’extrême gauche. La France Insoumise et le Rassemblement National (avec Ciotti) ne comptent à eux deux „que” 220 députés. A voir désormais s’il sera capable de faire travailler ensemble les 357 restants. Un autre problème va se présenter à Emmanuel Macron: le choix d’un successeur, qui aura la rude tâche de parvenir au second tour de l’élection présidentielle de 2027. Edouard Philippe, Gabriel Attal, François Bayrou? Il est encore bien trop tôt pour donner des noms, mais il est certain que beaucoup y pensent déjà. Ce qui est certain est que le vainqueur de 2017 et 2022 ne compte pas s’arrêter là. Comme la plupart de ceux ayant exercé la fonction suprême avant lui, il ne quittera pas définitivement la politique. Sa jeunesse l’y autorise.

La stupéfaction de l’annonce des résultats passée, l’état-major du RN s’est remis au travail. Sa mission est titanesque. Il faut parvenir, en 3 ans à peine, à percer le nouveau plafond de verre qui s’est imposé au parti de Marine le Pen. Plusieurs stratégies sont sur la table: Poursuivre la dédiabolisation après avoir fait le constat que les résultats électoraux ne faisaient que s’améliorer (leur progression ne pourra cependant qu’immanquablement ralentir), remettre au goût du jour le concept d’”union des patriotes de gauche et de droite” ou bien suivre la ligne Ciotti et se concentrer sur une éventuelle „union des droites”. Poursuivre la „stratégie de la cravate” à l’Assemblée Nationale, quitte à laisser une alliance Renaissance-LR se faire, ou bien entrer dans une logique d’opposition tous azimuts sur le modèle de LFI? Effectuer une purge drastique des cadres et candidats controversés ou bien au contraire assumer de ne pas être un parti de notables policés? Laisser une opposition idéologique vivre à sa droite, que ce soit sous la forme de Reconquête ou d’une structure créée par Marion Maréchal, ou bien éliminer toute contestation et devenir le seul et unique parti de droite du pays? Tant de questions auxquelles Marine le Pen et ses proches doivent répondre très rapidement. Le „front républicain” a fonctionné en 2024, il fonctionnera probablement en 2027.

En l’espace de quelques années, Emmanuel Macron a abattu le bipartisme traditionnel français, torpillé le quinquennat, accéléré la clarification de la vie politique, poussé le „front républicain” à un niveau jamais atteint et redynamisé la démocratie française. Bref, il a réalisé une véritable révolution dans un pays sclérosé, sans pour autant renouveler en profondeur ni le personnel politique, ni l’exercice du pouvoir, ni le destin de la France. Une révolution en trompe l’œil? Selon la célèbre expression du „Gattopardo”, „il faut que tout change pour que rien ne change”.

Nathaniel Garstecka

œuvre protégée par droit d'auteur. Toute diffusion doit être autorisée par l'éditeur 10/07/2024