Qui est Karol Nawrocki, nouveau président de la Pologne?

Le candidat conservateur soutenu par le PiS a remporté l’élection présidentielle polonaise de 2025, à l’issue d’une campagne qui restera dans les mémoires tant elle a été longue, intense et brutale. La scène politique et médiatique est pourtant loin de s’être apaisée. Les commentateurs étrangers continuent à véhiculer de la désinformation. Parfois involontairement, souvent à dessein. Le nouveau président de la Pologne aura fort à faire durant son mandat.
La présidentielle polonaise invisibisée
.Les médias français ne se sont pas intéressés du tout à la campagne présidentielle polonaise. Même quand on s’approchait de l’échéance du premier tour, il était difficile de trouver des informations sur l’actualité politique de Varsovie. La raison était simple: tout le monde était totalement absorbé par les événements en Roumanie. Les polémiques autour du candidat anticonformiste Calin Georgescu, l’accusation de manipulation des réseaux sociaux (en particulier TikTok) alors qu’il s’est avéré que c’étaient les centristes qui en étaient à l’origine, l’annulation du premier tour, l’interdiction faite au favori de se représenter, la campagne massive de peur dans l’entre-deux-tours et la défaite de George Simion… l’élection polonaise a été complètement invisibilisée par ce qui s’est passé en Roumanie.
Le duel entre George Simion et Nicusor Dan s’est déroulé le même jour que le premier tour en Pologne, c’est-à-dire le 18 mai. Ce n’est qu’après ça que l’opinion publique française a pu être informée qu’une élection présidentielle se tenait dans la première puissance d’Europe centrale et orientale. Il a donc fallu rattraper en panique le temps perdu, et le moins que l’on puisse dire est que les médias n’ont pas eu le temps, ni sans doute la volonté, d’analyser en profondeur le déroulement de la campagne, les tendances politiques, les positions des candidats, les débats télévisés…
Ils se sont initialement limités à reprendre les schémas classiques qu’ils avaient l’habitude de fournir à leurs lecteurs, auditeurs et téléspectateurs. La PO est le parti pro européen, démocrate, garant de la stabilité politique du pays et de son attachement aux valeurs libérales. Le PiS, à l’inverse, est eurosceptique voire europhobe, populiste ou ultraconservateur, russophile ou fasciné par Donald Trump. C’est là tout ce dont sont capables la majorité des médias français. Un hebdomadaire plutôt conservateur est même allé jusqu’à affirmer que ce sont deux droites qui s’affrontaient au second tour (PO et PiS).
A quelques jours du second tour opposant Rafal Trzaskowski à Karol Nawrocki, remporté par le second sur un score de 50,89%, les journalistes ont bien été obligés de s’informer sur le candidat soutenu par le PiS. Pour se faire, ils se sont contentés soit de dépêches d’agences de presse, soit de recopier synthétiquement ce que publiaient les grands médias proches du camp centriste. Décidemment, ce n’est pas en 2025 que l’opinion publique française aura droit à une approche déontologique et pluraliste de la politique polonaise.
Désinformation médiatique
.Même les journalistes et commentateurs souhaitant faire leur travail convenablement ne le peuvent pas, étant donné que la majeure partie des informations sur la Pologne sont originaires des mêmes sources progressistes. Voici donc ce qu’on a pu lire ou entendre en France au sujet de cette élection présidentielle polonaise:
«Deux droites qui s’affrontent».
Non. La PO faisait effectivement office de parti de droite dans les années 2000, notamment si l’on considère la «déclaration de Cracovie» signée en 2003, dans laquelle il était question de défendre la religion, la tradition, la famille et l’identité nationale. La formation de Donald Tusk s’est cependant progressivement réorientée vers des positions plus centristes, voire de centre-gauche sur le sociétal: soutien aux clandestins africains et musulmans à la frontière avec le Bélarus, acceptation des revendications homosexualistes et féministes, fédéralisme bruxellois… Donald Tusk est allé jusqu’à sévèrement pénaliser les politiciens de son camp opposés à la libéralisation de l’avortement. Ensuite, la PO forme, avec les Verts et un petit parti de centre-gauche féministe, la KO (Coalition Civique). Enfin, le parti de Donald Tusk a, après les législatives de 2023, constitué une coalition gouvernementale avec les agrariens du PSL et les centristes de PL50, mais aussi avec la gauche progressiste qui a obtenu plusieurs ministères importants.
Ainsi, la Plateforme Civique ne peut certainement pas être considérée comme un parti de droite, mais plutôt centriste et modérément progressiste. C’est d’autant plus visible chez Rafal Trzaskowski, vice-président du parti, maire de Varsovie et double finaliste malheureux à l’élection présidentielle (2020 et 2025). Habitué des homo-parades, grand partisan de l’écologisme répressif et de la centralisation des institutions européennes, il représente l’archétype du politicien centriste polonais, très éloigné de ce qu’est la droite dans ce pays.
«Karol Nawrocki est ultraconservateur, populiste, d’extrême-droite, nationaliste».
Ce sont les principales expressions utilisées pour qualifier le vainqueur de la présidentielle. La plupart du temps, les médias les lui accolent car ce sont celles qui sont généralement employées pour le parti Droit et Justice. C’est de la pure facilité journalistique, car les rédactions se contentent de s’inspirer de la terminologie contenue dans les dépêches et dans les reportages orientés des correspondants locaux des grands médias. Karol Nawrocki est conservateur, pas ultraconservateur. Le préfixe ultra- est souvent utilisé pour décrédibiliser les opinions de celui dont on parle. Le prochain président polonais est opposé à la libéralisation de l’avortement (mais s’oppose aussi à son interdiction totale), au mariage homosexuel et au PACS (mais pas à un statut administratif de conjoint), à l’écologie répressive ou aux restrictions à la liberté d’expression. Cela en fait un conservateur classique, certainement pas «ultra».
Il ne joue pas non plus outre mesure sur les ressorts du populisme. Il n’a pas promis de baisses importantes d’impôts, d’expulser les étrangers ou de s’en prendre au grand capital. Il n’est pas d’extrême-droite, d’autres candidats comme Grzegorz Braun méritant davantage ce qualificatif. Enfin, il n’est pas nationaliste, puisque l’expérience du nationalisme en Pologne est très différente de celle en France. Pourtant, les médias qualifient souvent Nawrocki de nationaliste, sans donner de raison acceptable. Il existe en Pologne un parti nationaliste, le Mouvement National, qui fait partie de la Konfederacja. Son président est Krzysztof Bosak. Il a certes appelé à voter pour Karol Nawrocki au second tour, mais c’était essentiellement pour faire barrage à Rafal Trzaskowski, non pas par adhésion au projet politique du candidat du PiS.
Karol Nawrocki est conservateur, souverainiste, catholique et solidariste (ce qui peut paraître pour du nationalisme en France mais n’en est pas réellement), certainement pas extrémiste ou nationaliste.
«Rafal Trzaskowski, c’est le choix de l’Europe, Karol Nawrocki celui de la Russie».
Plusieurs médias français ont écrit cela, ou l’ont laissé entendre. C’est ici la preuve qu’ils n’ont pas fait l’effort nécessaire de se renseigner sur celui qui a remporté la présidentielle. Karol Nawrocki a été directeur du musée de la Seconde Guerre mondiale à Gdansk, puis de l’Institut de la Mémoire Nationale, institution chargée d’étudier les crimes commis par les nazis et les communistes en Pologne. Il s’est fait connaître pour avoir mené une intense politique de désoviétisation de l’espace public polonais, notamment en faisant déboulonner les monuments à la gloire de l’Armée rouge. Pour cela, le Kremlin l’a inscrit sur sa liste des «ennemis du régime» et a lancé un mandat d’arrêt contre lui. Il risque 5 ans de prison en Russie. Durant la campagne, il a régulièrement appelé à ne pas laisser l’armée russe s’installer aux frontières polonaises et s’est montré favorable à la poursuite de l’aide logistique et militaire à Kiev.
Il a cependant conditionné l’accès de l’Ukraine à l’UE à la résolution du conflit mémoriel qui oppose les deux pays, notamment au sujet des massacres de Volhynie en 1944. 100 000 Polonais avaient été alors assassinés par des groupes nationalistes ukrainiens dirigés par Roman Choukhevytch et Stepan Bandera. Karol Nawrocki réclame au gouvernement ukrainien que celui-ci autorise les exhumations de victimes des massacres. Quant aux immigrés et réfugiés ukrainiens en Pologne, il ne souhaite pas les expulser, comme on a pu le lire dans la presse, mais il souhaite mieux contrôler le versement des aides sociales (conditionnement à la résidence en Pologne, etc…). On est donc loin des craintes des médias français sur une «orbanisation» de la Pologne. Si Varsovie a accéléré son réarmement sous les gouvernements du PiS, c’est bien pour faire face à l’impérialisme russe à l’est. Considérer que l’élection de Karol Nawrocki «fait le jeu du Kremlin» est ne rien comprendre à la politique polonaise et c’est en outre extrêmement malvenu de la part de Français.
Sans doute ce point est motivé par le suivant:
«Karol Nawrocki est europhobe ou eurosceptique».
La classe politique et les médias français ont tendance à vouloir nous enfermer dans un choix malhonnête: soit la poursuite du fédéralisme européen avec l’abandon progressif des souverainetés nationales, soit la sphère d’influence russe. C’est une façon extrêmement déloyale de présenter les choses et sert uniquement à susciter la peur chez ceux qui refusent de donner davantage de pouvoir à la Commission. Oui, Karol Nawrocki s’oppose à la dépossession de la souveraineté de la Pologne, aux transferts de compétences à Bruxelles et à l’abolition du droit de véto au Conseil. Non, ça ne fait pas de lui un europhobe: tant lui qui le parti qui le soutien, le PiS, sont favorables au projet européen, du moment qu’il respecte les particularités et les traditions de chaque Etat membre. C’est l’idée originelle d’Europe, qui a par la suite été dévoyée par certaines élites occidentales: une Europe des coopérations nationales, respectueuse de la souveraineté de chaque pays et consciente de ses valeurs profondes.
Karol Nawrocki cherche à prouver qu’il est possible de ne pas se laisser enfermer dans le jeu des fédéralistes bruxellois et des propagandistes du Kremlin. Il faut être fort face aux velléités centralisatrices de Bruxelles et fort face à la menace russe. La Pologne de Karol Nawrocki et l’Italie de Giorgia Meloni semblent l’avoir compris.
«Karol Nawrocki est un illibéral fasciné par Trump et menace l’Etat de droit en Pologne».
Est-ce par malhonnêteté intellectuelle ou simple bêtise que les médias estiment que souhaiter avoir de bonnes relations avec les Etats-Unis (quel que soit le locataire de la Maison Blanche) équivaut à être fasciné par Donald Trump? A aucun moment durant la campagne présidentielle Karol Nawrocki n’a donné l’impression d’être aveuglement attiré par le 47ème président des Etats-Unis d’Amérique. Certes, des députés du PiS ont applaudi au moment de l’élection américaine. Ils sont cependant conscients que c’est Donald Trump qui a renforcé la sécurité du flanc est de l’OTAN, au cours de son premier mandat entre 2017 et 2020. Ils sont aussi conscients que ce sont les Etats-Unis qui constituent toujours la principale garantie de sécurité de l’Europe centrale et orientale, et non la France ou l’Allemagne, accusés à juste titre d’avoir longtemps ménagé la Russie. Néanmoins, de tous les parlementaires (nationaux et européens) de la droite polonaise, seuls un ou deux peuvent être considérés comme réellement trumpistes.
Karol Nawrocki, qui n’est pas issu du monde politique de Varsovie mais d’un quartier pauvre de Gdansk (remarquable exemple de méritocratie républicaine, d’ailleurs), n’est pas non plus un illibéral menaçant l’Etat de droit. Celui-ci a été abîmé ces dernières années tant par les conservateurs que par les centristes, et le premier ministre Donald Tusk n’a, jusqu’à présent, montré aucun volonté de réparer le système juridique polonais de façon à ce qu’il ne penche plus à l’avenir en faveur d’un camp politique.
Le président élu ne sera probablement pas capable de restaurer la confiance envers les juges, mais il peut empêcher qu’elle ne se détériore encore plus. Sa formation d’historien critique des systèmes totalitaires du XXème siècle est une première piste de réflexion pour comprendre que la Pologne ne sombrera pas dans l’illibéralisme.
Karol Nawrocki, nouveau président de la Pologne
.On peut expliquer cette désinformation massive des médias au sujet de Karol Nawrocki par le mépris traditionnel qu’ils témoignent à l’égard de la droite en général, quel que soit le pays. Cela se ressent dans la terminologie employée («nationaliste», «populiste»), dans le ton des articles (attribuer des intentions et des sentiments négatifs) ou dans le choix des illustrations et des sujets secondaires (les prétendues «révélations» sur le passé de Karol Nawrocki, opportunément publiées par le centre et la gauche à quelques jours du scrutin). Il est regrettable que même des médias plus sérieux, ou ceux de droite, reprennent les tournures de phrases utilisées dans des dépêches écrites par des militants ou par des correspondants idéologisés. Le quinquennat présidentiel qui s’ouvre en Pologne nous promet donc une incessante bataille médiatique pour la vérité et l’honnêteté.
Nathaniel Garstecka