Qui va gagner en Pologne ?
A l’approche des législatives du 15 octobre 2023 en Pologne, qui seront cruciales pour l’ordre politique en Europe centrale, et du referendum qui se tiendra en même temps, un point de situation semble nécessaire pour la compréhension des enjeux.
Système électoral polonais
.La Pologne est une république parlementaire. Le Premier ministre, chef du gouvernement, dispose de davantage de pouvoirs que son homologue français. C’est pourquoi les élections législatives sont plus importantes en Pologne qu’en France. Elles ont lieu tous les quatre ans, alors que l’élection présidentielle se déroule tous les cinq ans. Le même jour, les Polonais élisent leurs députés et leurs sénateurs, au suffrage universel direct.
La chambre basse („Sejm”, équivalent de l’Assemblée nationale), compte 460 députés, avec une majorité à 231 députés. Le Sénat est composé de 100 membres. Pour l’élection des députés, le pays est divisé en 41 circonscriptions.
Les partis politiques alignent dans chaque circonscription une liste de candidats, en général une vingtaine de noms. Les votants doivent choisir un nom sur la liste de leur choix. Les résultats sont comptabilisés au niveau national et au niveau de chaque circonscription. Afin d’entrer au „Sejm”, un parti doit dépasser le seuil de 5% au niveau national et une coalition de partis, le seuil de 8%. Ensuite, les députés de chaque circonscription (entre 7 et 20 députés par circonscription) sont désignés à la proportionnelle en fonction du nombre de voix obtenus par chaque liste et de la méthode D’Hondt.
Pour le sénat, il y a 100 circonscriptions, différentes de celles utilisées pour le „Sejm”. Il s’agit d’un scrutin uninominal majoritaire à un tour. Le candidat arrivé en tête, même s’il n’obtient pas la majorité absolue, est élu. Comme en France, le sénat en Pologne ne joue pas de rôle fondamental dans la vie politique.
Etat des lieux et forces politiques en Pologne
.Etant donné que les élections législatives ont lieu tous les quatre ans, les précédentes ont été organisées en 2015 et 2019. La prochaine élection présidentielle se tiendra en 2025, après celles de 2015 et 2020. Ce cycle a vu le PiS („Prawo i Sprawiedliwosc”, Droit et Justice) emporter tous ces scrutins à l’exception des sénatoriales de 2019.
Le Premier ministre depuis 2017, Mateusz Morawiecki, est à la tête d’un gouvernement „Droite unie”, alliance de plusieurs partis de droite dont le PiS est la composante la plus importante. Le Président en exercice est Andrzej Duda, effectuant son deuxième mandat jusqu’en 2025.
L’état actuel des forces au Sejm se décompose ainsi :
PiS (Droite unie) : 227 députés. La courte majorité absolue de députés obtenus en 2019 s’est effritée tout au long de la législature, obligeant le PiS à composer avec le petit parti anticonformiste Kukiz 15. Le parti conservateur au pouvoir depuis 2015, dirigé par Jaroslaw Kaczynski, a dû faire face entre autres à la crise des restrictions sanitaires de 2020-2021 et à l’invasion russe de l’Ukraine en 2022-2023. Malgré cela, il profite d’indicateurs économiques favorables, à l’exception de l’inflation, et de l’absence de crise politique notable. Les réalisations les plus marquantes du PiS sont le programme d’aide aux familles „500+” et le véto au projet de Bruxelles d’institutionnaliser l’immigration illégale. La politique du gouvernement se caractérise par le „solidarisme”, c’est-à-dire un étatisme économique modéré accompagné d’un conservatisme sociétal. Le PiS siège au groupe CRE au Parlement européen, avec Fratelli d’Italia, Vox (Espagne) et les Démocrates de Suède, dont il est la principale force.
Koalicja Obywatelska („Coalition Civique”) : 129 députés. Il s’agit d’une coalition de plusieurs partis, dont le plus important est la Platforme Obywatelska („Plateforme Civique”) de l’ancien Premier ministre et Président du Conseil européen Donald Tusk. La PO a dirigé la Pologne de 2007 à 2015 avant de céder sa place au PiS. Elle a une identité chrétienne-démocrate et sociale-libérale depuis son rapprochement avec la gauche polonaise. Par ailleurs, elle est en faveur de la poursuite de l’intégration politique au sein de l’Union Européenne. Les autres partis de la Coalition sont Nowoczesna („Moderne”, libéralisme économique et progressisme sociétal), Inicjatywa Polska („Initiative Pologne”, progressisme féministe) et Zieloni („les Verts”, écologisme et progressisme). Au Parlement européen, la PO siège au PPE avec les Républicains, Nowoczesna à Renew avec Renaissance et le MODEM, Zieloni dans le groupe des Verts avec EELV.
Lewica („la Gauche”) : 42 députés. C’est l’union de plusieurs partis post-communistes et progressistes, menés par le SLD („Sojusz Lewicy Demokratycznej”, „Alliance de la Gauche Démocratique”) qui a gouverné en Pologne dans les années 1990 et au début des années 2000. Les députés européens de la gauche polonaise siègent dans le groupe des Sociaux-Démocrates, avec le Parti socialiste français. Le programme de Lewica se caractérise par son progressisme sociétal, son féminisme, son anticléricalisme, son socialisme économique et sa volonté de table rase de la politique historique de la Pologne.
Koalicja Polska („Coalition Pologne”) : 27 députés. Ici aussi, il s’agit d’une coalition de plusieurs partis dont un seul est véritablement important, PSL („Polskie Stronnictwo Ludowe”, „Parti paysan polonais”). Le parti, dirigé par Wladyslaw Kosiniak-Kamysz, est l’un des plus anciens de Pologne et a participé à plusieurs coalitions de gouvernement depuis l’indépendance, tant de centre-droit comme de gauche. Le parti siège aux côtés de LR aux Parlement européen, au sein du groupe PPE.
Konfederacja („Confédération”) : 11 députés. Alliance de trois partis qui a fait son entrée au Sejm en 2019, c’est sans doute la formation politique qui éveille le plus de controverses sur la scène médiatique polonaise. Ses composantes sont Nowa Nadzieja („Nouvel Espoir”), parti libéral-libertaire, Ruch Narodowy („Mouvement National”), parti nationaliste et clérical, et Konfederacja Korony Polskiej („Confédération de la Couronne Polonaise”), monarchiste, clérical et conservateur. Ses dirigeants actuels sont Krzysztof Bosak et Slawomir Mentzen, mais on retrouve parmi ses principales figures Janusz Korwin-Mikke et Grzegorz Braun.
En dehors de ces principaux partis, on peut noter la présence de députés du partis Kukiz 15, alliés au PiS, et de Polska 2050, alliés à Koalicja Polska. Par ailleurs, la minorité allemande dispose d’un député sans nécessité de franchir le seuil des 5% au niveau national.
Les grands partis et coalitions sont en lice pour les élections législatives.
.Le PiS espère se maintenir au pouvoir pour un troisième mandat d’affilée, ce qui serait inédit dans l’histoire polonaise récente. Sa campagne se base sur la volonté d’assurer la sécurité des Polonais (face à l’immigration illégale et à aux menaces russe et bélarusse), de poursuivre le rattrapage économique vis-à-vis de l’Europe de l’ouest, de lutter contre la crise démographique qui traverse le pays et d’empêcher les transferts de souveraineté vers les institutions européennes. Son absence apparente de potentiel de coalition avec d’autres partis et compensé par son statut de premier parti de Pologne. Son électorat se situe en grande partie dans les petites villes et les villages, ainsi que dans la moitié est du pays, et est plutôt âgé.
La Koalicja Obywatelska espère revenir au pouvoir, après avoir perdu toutes les élections nationales depuis 2015, à l’exception des sénatoriales de 2019. Le fait le plus important est l’alliance qui a été mise en place entre la KO, Lewica, PSL et Polska 2050.
Ces partis se sont mis d’accord pour un objectif commun de faire perdre le PiS et Droite Unie et de pouvoir former une majorité „arc en ciel” allant de la gauche au centre-droit.
Même situation pour le Sénat : la formule qui a fonctionné en 2019, l’alliance „arc en ciel” n’alignant qu’un seul candidat par circonscription pour ne pas disperser ses voix face au PiS, est reconduite en 2023. La KO fait campagne avant tout sur le retour à une politique de coopération avec l’Union Européenne, le progressisme sociétal (féminisme, libéralisation de l’avortement) et le détricotage de la réforme de la justice du PiS. Son électorat se situe avant tout dans les grandes villes et dans la moitié ouest du pays.
PSL et Polska 2050 se sont unis et ont constitué une nouvelle formation électorale, Trzecia Droga („Troisième Voie”). L’objectif étant de créer un bloc de centre-droit modéré entre la KO et la Droite Unie sans pour autant rompre l’alliance avec la KO et Lewica. Sachant qu’il s’agit d’une coalition, le seuil pour accéder au Sejm est de 8% au niveau national. Le plan minimum de Trzecia Droga est donc de franchir le seuil et de pouvoir compter dans la constitution d’une coalition gouvernementale. L’électorat de PSL est rural et paysan, celui de Polska 2050 est urbain.
Lewica doit aussi trouver sa voie entre sa volonté d’écarter le PiS du pouvoir et le maintien de son indépendance vis-à-vis de la KO. Les points de tension étant nombreux au sein de la coalition „arc en ciel”, notamment entre Lewica et PSL sur l’avortement, la campagne de ces partis s’axe avant tout sur un rejet de la formation actuellement au pouvoir. Tout comme Trzecia Droga, Lewica compte obtenir le score le plus haut, la troisième place, et ainsi être un élément clé au sein d’une nouvelle majorité progressiste. Son électorat est plutôt jeune et très urbain.
La Konfederacja cultive le secret sur ce qui sera sa position après l’élection. Refusant toute alliance avec le bloc Droite unie ou le bloc „arc en ciel”, elle espère obtenir suffisamment de députés pour qu’aucune majorité ne soit possible sans elle. Sa campagne est orientée sur le libéralisme économique, la critique de la plupart des formations politiques concurrentes et une défiance vis-à-vis des institutions européennes. Le parti ne semble pas avoir de position homogène sur la politique à adopter vis-à-vis de l’Ukraine et de la Russie, certaines figures appelant ouvertement à un rapprochement avec la Russie, d’autres, au contraire, étant plus modérées. Son électorat est jeune et actif.
Par ailleurs, une formation supplémentaire s’est ajoutée sur le tard à la liste des partis nationaux : Bezpartyjni Samorzadowcy („Elus locaux indépendants”), centriste et régionaliste.
Referendum en Pologne
.Le même jour que les élections législatives se tiendra un referendum national. Quatre questions seront posées aux Polonais :
- „Approuvez-vous l’accueil de milliers d’immigrés illégaux du Proche-Orient et d’Afrique que tente de nous imposer la bureaucratie européenne via le mécanisme de relocalisation obligatoire?”
- „Approuvez-vous la suppression de la clôture de sécurité entre la Pologne et le Belarus?”
- „Approuvez-vous la vente d’entreprises publiques stratégiques à des capitaux étrangers?”
- „Approuvez-vous la hausse de l’âge de départ à la retraite à 67 ans pour les hommes et les femmes?”
Pour que le referendum soit contraignant pour le gouvernement, la participation doit s’élever au minimum à 40%.
Les enjeux de cette élection sont nombreux et dépassent le seul cadre national.
.Le scrutin qui se déroule en Pologne le 15 octobre revêt une importance particulière dans le contexte national, régional et européen actuel.
Niveau national : Comme noté plus haut, le PiS espère remporter pour la troisième fois d’affilée les élections législatives. Par ailleurs, l’organisation d’un referendum concernant en partie l’immigration illégale doit permettre d’obtenir une légitimité populaire pour sa politique en la matière. L’objectif est aussi de lutter contre l’abstention. Si cette dernière baisse d’élection en élection, elle se situe à 38%, ce qui est élevé. L’ajout d’un enjeu supplémentaire comme le referendum peut avoir une effet mobilisateur pour les Polonais qui d’habitude ne prennent pas part aux scrutins.
Pour les partis d’opposition, qui ont placé leur campagne sous le signe du rejet du PiS, la question est tout autre. La KO menée par Donald Tusk veut se placer en tant que principal parti progressiste en Pologne et regagner le pouvoir qu’elle a perdu il y a presque dix ans. Sachant qu’elle ne pourra probablement pas gouverner seule, elle doit ménager ses alliés tant à sa droite qu’à sa gauche, sans pour autant se couper de sa base.
Les résultats seront suivis de près par la communauté ukrainienne se trouvant actuellement en Pologne. La Konfederacja, par exemple, milite pour une baisse des aides sociales accordées aux Ukrainiens qui ont fui la guerre déclenchée par la Russie en février 2022.
Niveau régional : La Pologne est le principal pays d’Europe Centrale au sein de l’Union européenne. Ella a pris le rôle de premier soutien à l’Ukraine dans le cadre de l’invasion russe. Les armes occidentales et l’aide humanitaire transitent en grande partie par la Pologne. Elle est aussi en première ligne face aux flux migratoires provoqués par le Belarus à sa frontière orientale. Elle est un pays clé dans le dispositif militaire de l’OTAN en Europe centrale et orientale. Le résultat des élections sera suivi avec attention dans les pays baltes, dans les pays du V4 (Tchéquie, Slovaquie, Hongrie) et ceux du B9 (les susmentionné plus la Roumanie et la Bulgarie), ainsi qu’en Ukraine, en Russie et en Allemagne.
Niveau européen : C’est sans doute l’enjeu le plus important. Le PiS a adopté un ton résolu à l’encontre de la bureaucratie bruxelloise et des projets visant à accélérer la fédéralisation de l’Union Européenne.
La Pologne est aussi, avec la Hongrie, à la tête de l’opposition au progressisme, à l’immigration illégale et aux ingérences de la Commission dans les domaines qui ne sont pas de son ressort selon les traités européens.
En réponse, les institutions communautaires ont bloqué le versement des aides à la Pologne et attaqué la Pologne sur des sujets comme l’Etat de droit et l’indépendance de la justice. L’opposition prévoit de céder sur ces sujets et de s’aligner sur les positions de la Commission et du Parlement européen. De son côté, la Konfederacja est sur une position radicalement différente, souhaitant s’opposer encore plus fort à l’Union Européenne.
A quelques mois des élections européennes, la nature du gouvernement à Varsovie sera donc décisive pour l’avenir des institutions européennes.
Débat électoral du lundi 9 octobre
.Ce lundi 9 octobre s’est tenu le seul grand débat avant les élections législatives, organisé par la chaîne de télévision TVP. Les six principales formations politiques étaient représentées : le PiS par le Premier ministre Mateusz Morawiecki; la KO par l’ancien Premier ministre Donald Tusk; Konfederacja par l’un de ses dirigeants, le député Krzysztof Bosak; Trzecia Droga par le troisième homme de l’élection présidentielle de 2020, Szymon Holownia; Lewica par la députée Joanna Scheuring-Wielgus et les Bezpartyjni Samorządowcy par Krzysztof Maj.
Les sujets abordés lors du débat concernaient l’immigration, les privatisations, l’âge de départ à la retraite, la sécurité, le chômage et les aides sociales.
Le Premier ministre Mateusz Morawiecki a défendu le bilan de son gouvernement, les programmes sociaux, la remilitarisation du pays et le véto au projet européen de relocalisation obligatoire de clandestins.
Le dirigeant de la KO et ancien premier ministre Donald Tusk a dénoncé l’inflation et critiqué la politique du PiS pendant les 8 dernières années.
Szymon Holownia a rappelé que la Pologne avait accueilli un million d’Ukrainiens. Il a appelé à baisser les impôts, libérer le potentiel économique du pays, investir dans les énergies vertes et augmenter le nombre de places en crèche.
Krzysztof Bosak a refusé avec vigueur la moindre immigration, tant légale qu’illégale et a déclaré vouloir couper les aides sociales aux réfugiés ukrainiens. Par ailleurs, il a émis le souhait de libéraliser l’économie et de ne pas céder aux injonctions écologistes et liberticides de Bruxelles.
Joanna Scheuring-Wielgus a proposé des mesures socialistes : 35 heures, construction de HLM, quotas d’immigration, augmentation des budgets publics, arrêt des allégements fiscaux pour l’Eglise, refus de l’augmentation de l’âge de la retraite.
Krzysztof Maj a adopté un ton neutre et conciliant. Il a critiqué tant le PiS que l’opposition et fait valoir la qualité des élus locaux polonais. Il a appelé au dialogue avec Bruxelles sur l’immigration et à la réconciliation entre les partis au sujet des dépenses militaires.
Sondages : Qui va gagner en Pologne ?
.A moins d’une semaine de l’élection, les sondages ne permettent pas de savoir qui sera en mesure de former une majorité après le 15 octobre. Si le PiS est premier dans toutes les enquêtes, avec entre 33 et 38% des suffrages exprimés et entre 180 et 210 députés selon les scénarios, aucun sondage ne donne de majorité absolue à Droite unie au Sejm (231 députés nécessaires). Dans un tel cas de figure, le PiS devra soit former une coalition avec Konfederacja, ce qui semble peu probable, soit avec Trzecia Droga, ce qui est peu probable aussi, soit parvenir à ponctionner des députés à d’autres partis afin d’atteindre la majorité.
La Koalicja Obywatelska est donnée entre 29% et 33%, avec entre 140 et 160 députés. Son statut de principale force de la coalition „arc en ciel” n’est pas menacé et si cette coalition venait à pouvoir former une majorité, Donald Tusk deviendrait probablement Premier ministre.
Lewica, Trzecia Droga et Konfederacja naviguent entre 8% et 12%, dans une fourchette entre 30 et 50 députés chacun. La question principale est de savoir si Trzecia Droga franchira le seuil des 8% au niveau national. Si elle devait échouer, les mandats qu’elle aurait pu avoir seront attribués aux autres partis en fonction des résultats dans chaque circonscription, ce qui devrait avantager les grands partis, en premier lieu le PiS. C’est le seul scénario sondagier qui autorise le PiS à croire à une majorité absolue de 231 députés.
Les sondages donnent donc la coalition „arc en ciel” entre 210 et 230 députés, certains lui donnant la majorité absolue, en fonction de la méthode de calcul du nombre de députés.
Les Bezpartyjni Samorzadowcy sont donnés entre 2% et 4%, ne pouvant donc pas entrer au Sejm.
Quels que soient les résultats présentés par les sondages, ils sont à prendre avec des pincettes. En 2019, beaucoup d’instituts se sont trompés, sous-estimant PSL et Konfederacja par exemple.
Nathaniel Garstecka