Arthur KENIGSBERG: Pour que les murs tombent, Lukashenka doit partir

Pour que les murs tombent, Lukashenka doit partir

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Arthur KENIGSBERG

Président fondateur d’Euro Créative. Collaborateur Parlementaire de Frédéric Petit (Député des Français établis en Europe Centrale et Balkans).

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Ce n’est pas le sujet et les pays agressés le disent parfaitement : il s’agit d’une guerre hybride, un conflit combinant des actions militaires et non militaires qui a un but beaucoup plus politique qu’une guerre conventionnelle qui vise « la destruction de l’ennemi » – écrit Arthur KENIGSBERG

Alors que la Pologne, la Lituanie et la Lettonie tirent la sonnette d’alarme depuis juin dernier sur le trafic d’êtres humains organisé par le dictateur bélarusse, Alexandre Lukashenka, ce n’est que depuis la semaine dernière que les Européens ouvrent véritablement les yeux sur cette dramatique situation. S’ils en avaient brièvement entendu parler auparavant c’était pour entendre inlassablement le même refrain : « des réfugiés tentent de rentrer en Pologne par le Bélarus et les Polonais pratiquent illégalement le « push-back » pour les en empêcher ». Rajoutez à cela le couplet sur : « la Pologne ne veut pas d’immigration », et nous avions la recette parfaite d’un sujet européen très important, une fois de plus, malheureusement caricaturé.

Encore aujourd’hui, de nombreux médias et observateurs parlent d’« une crise migratoire » aux frontières orientales de l’Union Européenne, c’est faux. Ce n’est pas le sujet et les pays agressés le disent parfaitement : il s’agit d’une guerre hybride, un conflit combinant des actions militaires et non militaires qui a un but beaucoup plus politique qu’une guerre conventionnelle qui vise « la destruction de l’ennemi ». Les Européens, notamment ceux de l’Ouest, l’auraient compris s’ils avaient pris l’habitude d’écouter les voix de ces pays, les voix de l’Autre Europe. Certains le comprennent, ceux qui font preuve de rigueur, d’honnêteté intellectuelle et qui pensent ce sujet sans idéologie : ces hommes, ces femmes, ces enfants, ne viennent pas délibérément au Bélarus pour passer en Europe et y obtenir l’asile.

Cette crise est pourtant simple à étudier. Alexandre Lukashenka et ses relais en Irak, Syrie, Turquie et sur la corne africaine ont délivré des visas touristiques et étudiants à des candidats à l’exil après le dernier volet de sanctions voté par l’Union Européenne. Ces sanctions économiques, décidées directement après le détournement de l’avion Ryanair en mai dernier et l’enlèvement du journaliste Raman Pratassevich et de sa compagne russe Sofia Sapega, avaient fait très mal au régime bélarusse et l’Europe promettait déjà un nouveau paquet de sanctions. Lukashenka s’est donc empressé de trouver une réponse cynique pour faire pression sur l’Europe et ces trois pays de l’Union Européenne qui accueillent et aident l’opposition bélarusses en exil. Ces migrants, manipulés par le régime, sont donc utilisés comme une arme. Plus de 2 000 exilés sont déplacés comme des pions le long des frontières, et 15 000 à 20 000 attendraient à Minsk.

Comment ne pas voir qu’il s’agit d’une agression, d’une guerre hybride et non pas d’une crise migratoire ? Un régime masse des militaires à ses frontières, qui affament les réfugiés, tirent en l’air et les terrorisent pour qu’ils obéissent, les arment de pierres et de gaz lacrymogènes pour qu’ils attaquent les gardes-frontières, les policiers et militaires polonais, c’est une agression. Ces militaires, la nuit, détruisent les barbelés pour permettre aux migrants de passer, et provoquent les Polonais afin de déclencher un grave incident, c’est une agression.

En France, et ailleurs en Europe, malgré les importantes déclarations de soutien et de solidarité, il est de rigueur de critiquer la gestion de cette crise par la Pologne parce qu’elle n’a pas demandé l’appui de Frontex, l’agence européenne de garde-frontières, contrairement à la Lituanie alors que son siège est à Varsovie, comme si cet argument allait de soi. Premièrement : la Pologne n’a pas présenté de vulnérabilités à ses frontières contrairement à la Lituanie. La Pologne a plus de moyens humains et techniques pour garder ses frontières que la Lituanie. Deuxièmement, le gouvernement polonais ne lit pas cette crise comme étant une crise migratoire, il le lit comme une agression, un problème militaire, l’OTAN est donc un outil plus intéressant que Frontex. Les frontières de la Pologne ne sont pas agressées par un flux, elles sont agressées militairement. Certains européens ne devraient donc pas pousser des cris d’orfraie lorsque 10 consultants britanniques se rendent en Pologne pour aider à la résolution de cette crise. Au niveau opérationnel, que pourrait faire l’Union Européenne actuellement ?

A mon sens, il y a tout de même un point où les autorités polonaises pourraient mieux gérer cette agression : laisser les journalistes et organisations humanitaires travailler sur place. L’une des armes utilisées dans une guerre hybride c’est la désinformation. C’est le but recherché par Lukashenka : façonner et propager la narration que la Pologne, et donc l’Union Européenne, agirait de façon inhumaine et qu’elle maltraiterait les réfugiés. Il est dommageable pour l’image de la Pologne qu’au Bélarus certains journalistes soient autorisés à se rendre sur place et à filmer ce que le régime souhaite qu’ils filment, à participer à sa propagande, et que du côté polonais les médias ne soient pas autorisés à se rendre aux frontières et à travailler librement. Cela compliquerait peut-être le travail des forces de sécurités polonaises dans son efficacité opérationnelle mais permettrait de montrer les vraies images : la Pologne est agressée par la dictature bélarusse. Ne pas laisser les journalistes et ONG travailler, c’est laisser le doute se propager, c’est exactement ce que souhaite Lukashenka.

C’est en soignant leurs images que la Pologne et Lituanie pourront prendre le leadership européen dans la résolution de cette crise. Des responsables politiques européens souhaitent que ces deux pays suivent une feuille de route européenne dans la gestion de cette agression mais cela devrait être l’inverse : l’Union Européenne doit suivre une feuille de route tracée par la Pologne et la Lituanie. Ces deux pays protègent les intérêts européens dans cette crise et les frontières de l’Union Européenne. Ils ont une connaissance plus grande et plus fine que les autres pays européens sur cette région orientale. De plus, cela marquerait un pas vers l’autonomie stratégique européenne promue par Emmanuel Macron : division du travail géopolitique. C’est à la Lituanie et la Pologne de mener l’Union Européenne dans la résolution de cette crise.

Ces deux pays, et l’opposition bélarusse en exil dans ces pays, demandent de nouvelles sanctions économiques et politiques très fortes contre le régime de Lukashenka : c’est ce qu’ont décidé les 27 ministres des affaires étrangères de l’Union Européenne ce lundi. Cependant, l’appel téléphonique entre Angela Merkel et Alexandre Lukashenka cette semaine a laissé percevoir des dissensions entre les pays de l’Union Européenne. Le dictateur bélarusse souhaitait avec cet appel se donner une nouvelle légitimité de chef d’Etat et montrer qu’il pouvait régler cette crise en affrétant, pour les migrants encore présents à Minsk, des avions en direction de leurs pays d’origines. C’est dans ce sens qu’il faut lire le vol retour opéré ce jeudi en partance de Minsk et à destination de l’Irak avec plus de 300 passagers à bord. Lukashenka montre des gages de bonne volonté à Angela Merkel afin qu’elle incite l’Europe à ne pas voter des sanctions supplémentaires contre son régime. Merkel ne le pense certainement pas sincère et n’a certainement pas cru un seul mot de Lukashenka, mais ce n’est pas le sujet. Comme d’habitude, c’est un problème de méthode.

Comme l’ont rappelé cette semaine, le Président de la République polonaise, Andrzej Duda : aucun accord ne se fera au-dessus de la tête des Polonais, et le Ministre des Affaires Etrangères lituanien Gabrielius Landsbergis : cette crise à la frontière doit être traitée au niveau de l’Union Européenne et non au niveau bilatéral. L’Union Européenne doit donc impérativement et le plus rapidement possible, sous l’impulsion de la Lituanie et de la Pologne, sanctionner le régime bélarusse et surtout la société aérienne Belavia qui a organisé ce trafic. Le régime bélarusse, même sous perfusion financière du Kremlin, ne tiendra pas longtemps avec de nouvelles sanctions économiques et politiques. Les dirigeants européens doivent également comprendre que la solution se trouve bien plus à Vilnius, à Varsovie ou à Bruxelles qu’à Moscou.

.Le régime bélarusse, et celui de Vladimir Poutine, jouent des divisions européennes dans un moment où les deux plus grands pays européens sont dans un climat politique intense : négociations autour d’une construction d’une nouvelle coalition en Allemagne et début de la campagne présidentielle en France. C’est un test pour la solidarité, la fermeté et l’unité européenne. A court, moyen et long terme, cette crise n’a qu’une solution : le départ de Lukashenka et les efforts de tous les européens doivent être dirigés dans ce sens.

Arthur Kenigsberg

22/11/2021