
Les Européens peuvent-ils compter sur Joe Biden?
L’élection de Joe Biden à la présidence des États-Unis soulève l’espoir en Europe. Assurément, le nouveau président changera de méthode et le style envers ses alliés européens : il a promis la fin de la brutalité et de l’imprévisibilité dans les relations transatlantiques.
Mais les États-Unis ne changeront pas fondamentalement de politique européenne : leurs objectifs stratégiques resteront les mêmes que sous la présidence Trump. Que les Européens ne comptent pas sur le président Biden pour promouvoir les intérêts des Européens à leur place.
Retour aux convergences transatlantiques
.Les Européens ont raison d’espérer la reprise de plusieurs coopérations transatlantiques. Le candidat Biden n’a-t-il pas réprouvé la complaisance de son rival envers Vladimir Poutine ? N’a-t-il pas promis le retour dans l’Accord de Paris sur le climat dénoncé par son prédécesseur ? N’a-t-il pas annoncé un retour au respect envers les alliés européens que le précédent Commander in Chief avait qualifiés de « délinquants » et même comme « rivaux » ? Enfin le nouveau « Président élu » n’a-t-il pas affirmé sa volonté de revenir aux négociations avec l’Iran et les Européens rompant avec la « stratégie de tension maximale » qui avait culminé dans le retrait des États-Unis de l’accord de 2015 sur le nucléaire iranien et l’élimination du général iranien Soleimani ?
Sur tous ces dossiers, essentiels pour l’UE et l’OTAN, les Européens ont raison de compter sur la nouvelle administration : dès janvier 2021, l’Accord de Paris sur le climat reprendra son élan et dès mars prochain et un sommet de l’OTAN sera organisé pour rassurer les Européens sur la solidarité stratégique américaine notamment face à la Russie.
Continuités paradoxales entre Trump et Biden
.Toutefois, l’espoir électoral ne doit pas nourrir l’illusion stratégique à Paris, Bruxelles et Berlin : le nouveau président ne remettra pas en cause les résultats de l’administration Trump vis-à-vis de l’OTAN et de l’UE.
Concernant l’Alliance atlantique, la présidence Biden reprendra nécessairement le but d’un « partage du fardeau » soutenu par tous les présidents depuis Bush. Autrement dit, les Européens seront poliment sommés de continuer à élever leur contribution financière à leur propre sécurité (en se fournissant auprès des industries américaines). Le nouveau président américain ne remettra pas en cause le résultat obtenu par son prédécesseur : sous les invectives de Donald Trump, un tiers des trente membres de l’Alliance atlantique ont cette année porté leurs budgets de la défense à plus de 2% de leur PIB.
De même, à l’égard de la Turquie, le nouveau président haussera le ton sur les droits de l’homme et les batteries de défense anti-aériennnes russes S400. Mais il y a peu de chance qu’il endosse le rôle d’arbitre entre la présidence Erdogan et l’Union européenne.
A l’égard de l’Union européenne, le retour au respect du multilatéralisme apaisera le climat transatlantique. Mais les différends douaniers, notamment sur l’aluminium et l’acier ne disparaîtront pas : le candidat Biden acceptera l’héritage protectionniste de Trump pour favoriser la reprise économique dans les Etats de la Rust Belt essentiel pour son élection.
La transition : une brève fenêtre d’opportunité pour les Européens
.Les Européens sont soulagés à juste titre par l’élection d’un président américain plus prévisible, plus respectueux et plus enclin au multilatéralisme. Mais qu’ils ne nourrissent aucune illusion sur la prochaine administration : elle ne remettra pas en cause les succès unilatéraux de l’administration Trump et aura pour priorité de défendre les intérêts nationaux américains. Pour promouvoir leurs objectifs stratégiques, les Européens ne doivent pas compter sur Joe Biden… mais sur eux-mêmes. La période de transition entre les présidents leur offre une fenêtre d’opportunité de presque trois mois pour progresser sur le chemin de l’autonomie stratégique.
Cyrille Bret