Imre MOLNAR: L’Europe centrale, terre des destins communs

fr Language Flag L’Europe centrale, terre des destins communs

Photo of Imre MOLNÁR

Imre MOLNÁR

Historien, écrivain, philologue et diplomate polonais. Directeur de l'Institut hongrois de Bratislava.

Que faire pour nous prémunir contre les influences extérieures et les actions menées selon la logique de «divide et impera » ? – écrit Imre MOLNAR

Le communisme en Europe centrale et orientale fit banqueroute plus qu’il ne s’écroula. Si l’Occident continuait de se développer, les États derrière le rideau de fer voyaient leurs possibilités de fonctionnement s’épuiser d’année en année. Leurs régimes n’étaient pas capables de s’adapter à la réalité changeante, d’ailleurs, ils ne s’étaient jamais entièrement implantés dans la société.

Selon le professeur Jenő Szűcs, l’un des plus éminents penseurs de cette région d’Europe, le continent se divise naturellement en deux parties bien distinctes : Est et Ouest. Mais qu’entre elles se trouve encore l’Europe centrale, une civilisation qui tente de s’adapter à l’Ouest, tout en gardant l’œil à ce qui se passe à l’Est. Le croisement de ces deux cultures donne toute sa spécificité à notre région. En effet, durant des siècles, le problème récurrent en Europe centrale était la non-existence physique de nos pays, leur impossibilité de se développer organiquement. Depuis le Moyen Âge, l’histoire de notre région était une suite ininterrompue de mutations ultradynamiques, avec comme toile de fond guerres et remodelages incessants des frontières. Rien d’étonnant donc que c’est dans la culture que nos peuples cherchaient à forger et à manifester leur identité.

Ces processus décidèrent de l’unicité de l’Europe centrale. Forgée dans un creuset de nations, langues et religions multiples, elle est un mélange d’identités complexes prédestinées à privilégier l’entente. Pour illustrer cette proximité, on cite souvent l’exemple de l’alliance polono-hongroise, comme quoi ces deux nations ne furent jamais ennemies. C’est faux. Par contre, ce qui est vrai, c’est que les nombreux conflits ne se transformèrent jamais en une guerre destructrice. Il en fut ainsi parce que dans la perception de ces deux nations était comme encodée la nécessité de chercher le partenariat et l’entente. La capacité à chercher des compromis en vue de réaliser des intérêts communs fit naître le phénomène non seulement de proximité au niveau international, mais aussi de confiance, en plus enracinée dans une communauté des expériences. Ces caractéristiques différencient notre région des nations tant occidentales qu’orientales. Ces deux mondes sont leur contraire, et nous – le pont qui les lie.

L’identité centre-européenne fut perdue en résultat de la Grande Guerre quand le principe de l’autodétermination des nations, cher à Wilson, pris une forme caricaturale. Au lieu de la comprendre, on divisa l’Europe centrale, en poussant parfois ses nations sinon à s’affronter, du moins à s’isoler et en permettant l’installation du nazisme et du bolchevisme.

L’identité centre-européenne est aujourd’hui rebâtie. Moi-même, j’appartiens à la génération d’auto-stoppeurs qui, dans les années 1980, profitait de la possibilité de venir en Pologne. J’étais toujours étonné de constater combien nous nous ressemblions, combien nos façons de penser étaient proches. J’appris le polonais via le slovaque et aussi grâce à d’interminables discussions nocturnes que nous menions à l’époque. Cette proximité retrouvée nous permettait de reconnaître l’existence d’un « ADN commun ».

Que faut-il faire aujourd’hui de plus pour guérir les blessures du 20e siècle ? Comment pouvons-nous substituer à la rivalité l’identification de nos intérêts communs ? Quel avenir voyons-nous à notre région ? Que faire pour nous prémunir contre les influences extérieures et les actions menées selon la logique de divide et impera ? A côté des intérêts politiques et économiques communs, serons-nous en mesure d’inventorier les dangers moraux et spirituels qui mettent en doute notre avenir ? Autant de questions qui demandent profonde réflexion et débat, non pas entre les élites, mais entre les nations et les communautés qui forment nos sociétés. Le groupe de Viségrad en est une bonne illustration, et je vois aussi de l’espoir dans la résurrection du projet des Trois Mers. Il nous manque aujourd’hui ces discussions d’autrefois. C’est dû, en quelque sorte, à l’orientation prooccidentale de nos sociétés.

Imre Molnar

Texte publié dans le mensuel Wszystko Co Najważniejsze (Pologne) dans le cadre d’un projet d’éducation historique de l’Institut de la mémoire nationale

œuvre protégée par droit d'auteur. Toute diffusion doit être autorisée par l'éditeur 11/12/2020