Prof. Marcin PIĄTKOWSKI: La réussite économique polonaise est due à la Solidarité

La réussite économique polonaise est due à la Solidarité

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Prof. Marcin PIĄTKOWSKI

Economiste à l'Université de Kozminski, auteur du livre «European Growth Leader. Route polonaise de la périphérie économique à la voie de l’économie".

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Sans « Solidarité », ce mouvement social unique à l’échelle de l’Europe et du monde dont l’action, dès le mois d’août 1980, a entraîné la chute du communisme, la Pologne et les autres pays de la région ne seraient jamais allés de l’avant pour vivre aujourd’hui la meilleure période de leur histoire.

Mais quel a été le point de départ ? En 1989, quand l’ancien système rendait son dernier soupir, la Pologne faisait partie des pays européens les plus pauvres. Un Polonais moyen gagnait l’équivalent de 50 dollars par mois, donc moins d’un dixième de ce que recevait son homologue allemand. Et si on prend en compte le pouvoir d’achat, les Polonais étaient plus pauvres que les habitants du Gabon, de l’Ukraine ou du Suriname. Les recettes aussi étaient beaucoup moins élevées que dans les meilleures économies communistes : le PIB per capita ne correspondait qu’à la moitié du chiffre obtenu en Tchécoslovaquie.

Quand, en août 1989, le nouveau gouvernement démocratique de « Solidarité » prenait les rênes de l’État, l’économie polonaise était dans un état comparable à un arrêt cardiaque. C’était le seul pays dans le camp communiste à avoir fait faillite. Le seul à se mesurer à une hyperinflation dépassant, en 1989, 260% et l’année suivante – 400%. Vétuste et inefficiente, l’industrie polonaise fondait ses capacités d’exportation sur la vente de matières premières, de charbon, d’acier et de bateaux, principalement à d’autres pays du bloc communiste. Les infrastructures routières étaient très faiblement développées pour un pays de 38 millions d’habitants, situé au centre de l’Europe : son réseau d’autoroutes, d’ailleurs en majorité construites encore par les Allemands, comptait en tout 200 km et était dans un mauvais état.

À l’époque, la plupart d’experts voyaient plutôt la Hongrie, la Tchécoslovaquie ou même la RDA – du fait de la puissance de leurs industries et de leur meilleure stabilité macroéconomique – parmi les pays qui allaient le mieux réussir leur transformation. On s’attendait aussi à la réussite de ce processus en Slovénie, le pays communiste le plus riche. Personne ne pensait en ces termes à la Pologne.

Or, 30 ans plus tard, c’est elle qui est le leader incontesté de la transformation et un champion européen et planétaire de la croissance. Depuis 1989, l’économie polonaise a augmenté plus que dans n’importe quel pays d’Europe. Le PIB per capita, compte tenu de la parité du pouvoir d’achat, a presque triplé, pour atteindre environ 30 000 dollars en 2019, surpassant et de loin tous les autres pays postcommunistes. En effet, le PIB hongrois n’a même pas doublé et celui allemand a augmenté de moins de la moitié. Les pays qui arrivent ensuite – la Slovaquie et l’Estonie – sont déjà très loin derrière. Ce miracle économique a permis à la Pologne de rejoindre le groupe restreint de pays à recettes élevées.

Ce succès a apporté également l’augmentation du niveau des revenus : d’un tiers de ce qui représentait en 1989 les revenus moyens des plus riches pays de l’UE, il est passé à plus de deux tiers aujourd’hui. Durant toute cette période, la Pologne a rattrapé les pertes le plus rapidement de tous les pays européens.

Il est intéressant de noter qu’elle a même battu l’économie de l’ex-RDA dont les performances, malgré les aides d’une valeur de plus d’un billion de dollars allouées par l’Allemagne de l’Ouest après la réunification en 1990, n’ont pas dépassé celles de la Pologne.

Au dernier quart de siècle, la Pologne s’est développé plus rapidement que n’importe quelle économie mondiale à un stade similaire de développement. Elle a laissé loin derrière même « les tigres » d’Asie, à savoir la Corée du Sud, Singapour et Taïwan. Qui plus est, l’augmentation des revenus s’accompagne de l’augmentation du niveau de vie : les indicateurs mondiaux du « vivre mieux » montrent que les Polonais jouissent d’une qualité de vie meilleure que ne le suggère leur niveau des revenus. Selon le classement « Better Life Index «  de l’OCDE, les Polonais vivent mieux par exemple que les Coréens qui sont pourtant plus riches.

La Pologne a aussi battu le record d’Europe et du monde de la durabilité de la croissance : entre 1992 et 2019, son économie n’a pas arrêté de se développer. Ces 27 années de croissance d’affilée c’est plus que les records historiques de la Corée du Sud, de Singapour et du Japon. C’est plus aussi que le record européen détenu jusque-là par les Pays-Bas (25 ans de croissance ininterrompue entre 1983 et 2008). Parmi les pays à moyens et hauts revenus, il n’y a que l’Australie qui parvient à suivre le rythme imposé par l’économie polonaise, son tempo de croissance étant toutefois moins soutenu. La crise globale engendrée par la pandémie de COVID-19 poussera l’économie polonaise vers une récession et mettra aussi un terme à la période de croissance ininterrompue, mais le pays restera le leader européen : selon les estimations de la Commission européenne de juin 2020, parmi tous les pays de l’UE, le recul du PIB polonais serait le moins prononcé. 

Ce succès sans précédent n’aurait jamais été possible sans « Solidarité » ni sans les changements que le syndicat avait initiés en 1980. Unique dans le camp communiste par son caractère massif, « Solidarité » a réussi à mettre en place un système démocratique universel et inclusif. Ce n’est pas évident quand entrent en jeu les mécanismes de l’économie de marché, car d’habitude ils permettent aux riches de s’enrichir plus rapidement que les pauvres, en creusant ainsi les inégalités et en affaiblissant la communauté nationale. Le rôle de la classe politique est de veiller à ce que la croissance de l’économie soit bénéfique à tous, en particulier aux plus faibles et plus démunis. Il n’y a pas de liberté économique sans solidarité. La Pologne l’a réussi plutôt bien et l’une des preuves de cet état des choses est qu’une classe oligarchique ne s’y est jamais formée. C’est en grande partie le résultat des décisions prises au début de la transformation, d’ailleurs contre l’avis d’experts locaux et mondiaux, qui consistaient à limiter le processus de privatisation massive de la propriété de l’État. Il n’a accéléré sensiblement qu’en 1996, une fois les institutions publiques polonaises renforcées. Ainsi, la valeur des entreprises privatisées pouvait être estimée en fonction des règles de marché. Certes, il y a eu des irrégularités, mais l’équilibre quant à la distribution de la propriété a su être préservé – surtout si on compare la situation polonaise à celle dans les autres pays de la région. c’est là aussi l’héritage de « Solidarité ».

Marcin Piątkowski

œuvre protégée par droit d'auteur. Toute diffusion doit être autorisée par l'éditeur 27/08/2020
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