Jan ŚLIWA: Éric Fottorino ou la renaissance du papier

Éric Fottorino ou la renaissance du papier

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Jan ŚLIWA

Passionné de langues et de cultures. Informaticien. Auteur de textes sur la protection des données, la recherche en médecine, l’éthique et les aspects sociaux des technologies. Vit et travaille en Suisse.

Ryc.Fabien Clairefond

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Les médias papier sont une espèce en voie de disparition, nous serine-t-on sur tous les tons. Que fait un vieux requin des finances lorsqu’il voit les actions chuter ? Il investit anti-cycliquement. Certaines technologies meurent pour de bon, c’est sûr, mais comme le marché est régi moins par la raison que par les émotions, un produit, s’il répond à des besoins profonds, a toutes les chances de faire son retour triomphal, ne serait-ce que pour remplir une niche particulière. Et si ce profond besoin émotionnel émane de son créateur – c’est tant mieux.

Ce créateur s’appelle Éric Fottorino. Journaliste, essayiste, écrivain. Après 25 années passées au Monde, de la colonne économique, par les reportages du monde entier, jusqu’aux postes de direction dont il démissionne après quelques tourbillons. En 2014, il met un terme à son activité dans les médias du mainstream et se lance en solitaire dans de nouveaux projets. Ne serait-ce le dernier moment pour vivre une nouvelle aventure quand on a 54 ans ?

Sa première initiative s’appelle Le 1 – un hebdomadaire ne traitant qu’un grand thème d’actualité, imprimé sur une unique feuille pliée au format A4. La une est une introduction et une invitation à la lecture, les articles de fond étant disponibles une fois la feuille dépliée. L’hebdomadaire tente d’attirer d’éminents penseurs pour permettre un débat d’idées sur un sujet donné. Il se lit en moins de 60 minutes, aussi longtemps qu’un journal gratuit plus épais mais dont les ambitions sont complètement différentes. Il coûte 3 euros et bien que libre de quelconque publicité, il reste un projet rentable grâce à ses ventes systématiques à hauteur de 33 000 exemplaires environ. Le magazine trouve son prolongement hebdomadaire à la télé, dans une émission sur France TV Info.

Au printemps 2017, il lance le magazine trimestriel America, en réaction au choc de l’élection de Trump. En tout 200 pages, articles de fond et interviews. Beaucoup de littérature aussi car le cocréateur du projet est François Busnel, présentateur d’une émission littéraire très populaire. Comme il représente le mainstream anti-Trump, America se donne pour objectif plutôt d’attendre le retour des temps meilleurs dont témoigne la question posée dans le dernier numéro : « Que reste-t-il, à l’ère de Trump, du rêve américain ? »

Et enfin, le nouveau-né d’Éric Fottorino – le trimestriel Zadig. Le personnage de Voltaire, auquel fait référence le titre, est un jeune homme qui, bien que confronté à de rudes épreuves de la vie, ne baisse jamais les bras, faisant constamment preuve de vaillance, pour, au final, retrouver le bonheur. Zadig est un mook, un hybryde entre magazine et book, tout comme America. 200 pages ici aussi, des articles de 20 pages, des fragments de prose. Son but est de « raconter la France qui a besoin de se réconcilier avec elle-même ». Les dernières élections et surtout la révolte des Gilets jaunes, ont montré combien la France reste méconnue pour ces Français qui façonnent actuellement l’opinion publique. Pour le moment, le magazine est un succès, ses précédents numéros sont réédités, car leur contenu et leur forme incitent à être collectionnés.

Fottorino soutient que la presse écrite a perdu sur le court terme, mais qu’à la longue elle tirera son épingle du jeu. En effet, elle permet aux lecteurs de garder leur concentration sans les perturber par des pubs incessantes. Il y a enfin des gens qui ne veulent plus lire que des titres chocs, en plus sans lien avec le contenu de l’article. La surenchère de sensations d’un jour a, certes, fait taire le besoin de présenter des tendances de long terme et les dessous des phénomènes qui nous entourent, mais il existe toujours. Sans doute pour un cercle plus restreint, mais d’autant plus fortement.

Avoir renoncé aux publicités a un coût, mais le lecteur est prêt à le payer car il voit que ce qu’il reçoit en retour représente une valeur introuvable ailleurs. Les premiers fonds ont été collectés via un crowdfunding, avec comme garantie le nom de son concepteur. Un versement de 500 euros donne la possibilité de s’abonner à vie. Il y a aussi la souscription et évidemment la vente à l’unité (19 €). N’oublions pas qu’une telle collection assure à son possesseur du prestige.

.Et enfin : tout lecteur attentif s’apercevra sûrement que le magazine qu’il tient entre ses mains, Wszystko Co Najważniejsze, s’inspire du même principe – la fois dans le papier, une réflexion approfondie et un lecteur qui pense. Je vous souhaite une très bonne lecture !

Jan Śliwa
Ce texte est publié dans le mensuel d’opinion polonias “Wszystko Co Najważniejsze”, no.17 [LINK]

21/10/2019
Fot. Philippe Wojazer/Reuters