
Durant la guerre 1939-45, un ambassadeur polonais a sauvé la vie à un futur Premier ministre français
Une histoire invraisemblable découverte récemment dans les archives suisses témoigne de l’héroïsme et du sacrifice des Polonais à sauver des vies durant la guerre – écrivent Jakub KUMOCH et Jędrzej USZYŃSKI, diplomates polonais en Suisse qui ont contribué à la découverte du groupe Ładoś
.Le héros français, le futur Premier ministre de la France, a fui l’Europe occupée grâce à un passeport polonais établi – sur instruction de l’ambassadeur de la Pologne en Suisse Aleksander Ładoś – par le consul Konstanty Rokicki, le même qui, plus tard, sauvera de la Shoah des milliers de Juifs en fabriquant de faux papiers d’identité sud-américains, synonymes de leur survie.
C’est grâce aux papiers délivrés par les Polonais que Pierre Mendès France a pu fuir Vichy pour gagner Londres. Son itinéraire n’était pas des plus faciles. D’abord, une évasion pleine de bravoure de Vichy pour la Suisse, un séjour en clandestinité à Genève, l’angoisse d’être repéré et livré à des collabos français, enfin, un faux passeport polonais établi par les diplomates polonais et la lutte aux côtés du général de Gaulle.
C’est un scénario tout fait pour un film de suspense : en été 1941, Pierre Mendès France, ennemi juré de Pétain, ancien député et vice-ministre, s’évade de la prison de Clermont-Ferrand et clandestinement, à bord d’une embarcation de pêche, débarque à Saint-Prex, à environ 40 kilomètres de Genève. Il entre en contact avec des responsables de RELICO (un comité de secours aux victimes juives de la guerre) : Gerhard Riegner et Abraham Silberschein. Ce deuxième, un député polonais d’avant-guerre, entretient au moins depuis 1940 des relations étroites avec l’ambassade de Pologne à Berne. Voulant aider Mendès France à rejoindre Londres, Silberschein transmet son dossier à l’ambassadeur polonais Aleksander Ładoś – le seul diplomate de tous les consuls et ambassadeurs officiant à Berne à accepter de délivrer de faux papiers aux Juifs. Le loyal consul Konstanty Rokicki est chargé de la réalisation de l’opération.
À l’époque, la France du maréchal Pétain possède sur son territoire toute une communauté de réfugiés polonais et juifs dont le régime Vichy se débarrasserait volontiers. L’Espagne accepte les fuyards mais uniquement ceux en possession d’un visa étranger. Un passeport polonais plus un visa d’un pays d’Amérique latine constituent la meilleure documentation – un laissez-passer pour la vie. Abraham Silberschein organise donc pour Mendès France un visa cubain, et Aleksander Ładoś – un passeport polonais, au nom d’un réfugié polonais Jan Lemberg. Pour les diplomates polonais à Berne, c’est l’un parmi des milliers de faux documents établis pour sauver des Juifs qui leur sont complètement inconnus. Pour le Français – sauver sa vie signifie lui permettre de poursuivre sa lutte contre l’Allemagne. Grâce à ses nouveaux papiers, et aidé à passer la frontière, Pierre Mendès France arrive en Espagne. En 1942, il est déjà à Londres.
Après son départ, Ładoś et Rokicki créent de faux passeports du Paraguay à plus de 4 000 Juifs. Ils aideront à sauver entre autres Fanny Schwab et une grande partie des responsables de l’Œuvre de secours aux enfants. Leur action permettra de sauver notamment la meilleure amie d’Anne Frank ainsi que Bob Herschberg, un mathématicien néerlandais de génie et l’un des pionniers du jeu d’échecs par ordinateur. Certains, sauvés enfant, sont encore en vie !
.Après la guerre, Pierre Mendès France a été Premier ministre de la France (1954-1955) et le mentor de la carrière politique de François Mitterrand. Le consul Rokicki, ayant refusé de servir le gouvernement soviétique installé en Pologne après la guerre par les Russes, est resté en Suisse comme réfugié. Il est mort dans l’anonymat en juillet 1958 et sa tombe n’a été retrouvée qu’en 2018. Aujourd’hui, la Pologne découvre l’action de ce héros oublié.
Rokicki et Mendès France ne se seraient jamais rencontrés.
Jakub Kumoch et Jędrzej Uszyński