
Comment s'est déroulé, il y a tout juste 30 ans, le retrait des troupes russes de Pologne ?
Il y a 30 ans, la Russie a fait sortir de Pologne plus de 60 000 soldats, plus de 200 avions, plus de 200 chars, plus de 700 véhicules blindés, 20 lanceurs de missiles opérationnels et tactiques. Il y avait également des armes nucléaires stationnées en Pologne – environ 300 missiles armés de têtes nucléaires.
.Les unités soviétiques sont entrées en Pologne d’abord en 1939, puis de nouveau en 1944, alors que l’URSS menait une campagne contre le Troisième Reich. Malheureusement, à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, elles sont restés sur le territoire polonais jusqu’en septembre 1993, et leur stationnement en Pologne signifiait que l’État n’était pas souverain. Cette présence est restée totalement non réglementée pendant toutes ces décennies. Une tentative fut faite en 1956 pour changer cet état de choses, mais malgré un accord entre Gomułka et Khrouchtchev, l’armée soviétique se comportait en Pologne comme elle le voulait, indépendamment de tout cadre légal. La partie polonaise ne savait pas ce qui se passait dans plusieurs dizaines de garnisons soviétiques réparties dans tout le pays.
Les troupes soviétiques – rebaptisées russes après l’effondrement de l’URSS en 1991 – ont finalement quitté la Pologne en septembre 1993. Le Premier ministre Tadeusz Mazowiecki a longtemps retardé le début des pourparlers avec la partie russe et les discussions avec les Soviétiques sur le départ de leurs troupes a eu lieu en réalité quelques semaines avant les élections présidentielles perdues par Mazowiecki. L’une des raisons de son échec était le fait que les négociations n’avaient pas commencé plus tôt.
Les négociations, auxquelles j’ai participé dès le début, se sont heurtées à une résistance de la partie russe qui a cherché à gagner du temps, essayant d’imposer ses propres conditions. Les milieux militaires russes, comme le général Viktor Dubynin, ont plaidé pour le non retrait de leurs troupes. D’autres étaient plus disposés à faire des concessions, notamment Mikhaïl Gorbatchev et Boris Eltsine.
L’une des propositions des Russes était d’accepter le retrait, mais sans fixer de date précise. Dans le même temps, la Pologne devait signer un traité l’obligeant à mener une politique étrangère « ne visant pas la Russie » et excluant la possibilité pour les pays occidentaux d’utiliser des bases militaires post-soviétiques sur le territoire polonais.
Les Russes ont tenté d’imposer les mêmes conditions qu’ils avaient auparavant imposées à la Finlande, ce qui signifiait de fait une souveraineté incomplète, et dans ce cas précis, la privation de la Pologne de sa liberté en matière de politique étrangère et de sécurité. Cependant, les concepts russes ont été rejetés par le Premier ministre Jan Krzysztof Bielecki, qui a également rendu plus difficile le transfert des équipements militaires russes depuis la RDA via la Pologne, ce qui devait forcer l’accélération des négociations.
Sans la pression de l’Occident (principalement des États-Unis) sur la Russie, je suppose que sa résistance serait plus persistante et plus difficile à briser. Cependant, les négociations internationales que la Russie a menées avec Washington ont contraint les Russes à se retirer de l’ancien bloc socialiste. Le sombre héritage de Yalta devait être effacé une fois pour toutes. Sachant cela, il convient de reconnaître l’importance du rôle joué par l’Occident dans le processus de retrait des troupes russes de Pologne sans effusion de sang – sans un seul coup de feu.
Au début des années 1990, la Russie a fait sortir de Pologne plus de 60 000 soldats, plus de 200 avions, plus de 200 chars, plus de 700 véhicules blindés, 20 lanceurs de missiles opérationnels et tactiques. Il y avait également des armes nucléaires stationnées en Pologne – environ 300 missiles armés de têtes nucléaires.
La présence même des forces russes en Pologne a sans aucun doute influencé la situation du pays, les choix électoraux et la façon de mener la politique par les gouvernements successifs. Le départ des soldats russes, revêtant une grande signification tant politique que symbolique, a en effet ouvert la voie à la construction d’un État souverain. Ce n’est qu’en septembre 1993 que la Pologne a retrouvé sa pleine indépendance, perdue en 1939. Pour le continent européen, cela signifiait une opportunité de réunification ; pour la Pologne – le retour dans la famille des pays occidentaux.
Les Russes ont laissé derrière eux des terrains remplis de munitions non explosées, des zones souvent totalement inadaptées à l’usage civil. Quant aux logements eux-mêmes, il s’est avéré qu’ils étaient dévastés et n’avaient pas été rénovés depuis plusieurs décennies. De plus, en les quittant, les soldats russes ont enlevé tout ce qui pouvait l’être : fenêtres, portes, équipements de sale de bains, de cuisine, etc., ne laissant derrière eux que des murs nus et un désert de débris.
.L’effondrement de l’économie russe, la déconvenue des troupes russes en Afghanistan et la défaite dans la course aux armements avec les États-Unis ont conduit la Russie à « raccourcir le front », autrement dit à limiter son influence dans le monde – y compris en Europe centrale et orientale – et essayer de se concentrer sur les affaires intérieures et la résolution de la crise économique et politique. Dans ce contexte, le retrait des Russes de Pologne a été un événement non moins révolutionnaire que l’unification de l’Allemagne. Je pense que le jour du retrait définitif des troupes de l’armée russe de Pologne a été le moment le plus important pour l’Europe depuis mai 1945, la fin officielle de la Seconde Guerre mondiale.