Le Pape et les médias – nouvelle ouverture
« Sensationnel !» – telle fut la réaction du pape à l’opportunité d’utiliser des ordinateurs dans l’Église. C’était à la charnière de 1989 et 1990. Au même moment, Tim Berners-Lee du CERN travaillait sur un système de protocoles informatiques connu aujourd’hui sous le nom de World Wide Web. Un peu plus tôt, étaient apparus les premiers ordinateurs personnels grand public – IBM PC, Atari, Commodore, Apple.
.C’est Jean-Paul II en personne qui, dès janvier 1990, suggère les utilisations possibles de ces outils dans la mission quotidienne de la communauté ecclésiale. Bien qu’à l’époque les ordinateurs fassent plutôt penser à des jeux, le pape polonais y a tout de suite vu de nouveaux outils de dialogue avec le monde contemporain. Il s’aperçoit que les systèmes de mémoire rendent possible l’accès aux savoirs, héritage commun de l’humanité, mais aussi à l’enseignement de l’Église, aux paroles des Écritures, aux acquis des grands maîtres de la spiritualité. Il souligne aussi que dans la nouvelle « culture des ordinateurs » s’offre à l’Église l’opportunité de communiquer plus rapidement son credo au monde et d’expliquer ses positions sur chaque problème ou évènement. Selon le pape, les ordinateurs permettent également de mieux faire entendre la voix de l’opinion publique et d’entretenir un dialogue en continu avec le monde dans lequel évolue l’Église. L’intuition de Jean-Paul se transforme rapidement en des actes et les collaborateurs du pape prennent le relai.
Dans cette œuvre communicationnelle, l’engagement de John Foley et de Joaquín Navarro-Valls est des plus précieux. Le premier est un ecclésiastique américain, journaliste et rédacteur en chef de la revue « Catholic Standard and Times » (1970-1984). L’autre, originaire d’Espagne et diplômé de médecine et de journalisme, est envoyé spécial du journal « ABC » à Rome. 1984 est pour eux l’année de tous les changements : Foley est nommé président du Conseil pontifical pour les communications sociales et archevêque, et Navarro-Valls, porte-parole du Saint-Siège et directeur de son Bureau de presse. Au terme de six années passées à la tête de l’Église catholique, le pape procède ainsi à un remaniement des effectifs aux postes clés liés aux médias et à la communication sociale. Avec une forte dose de probabilité, on peut supposer que, tant Foley que Navarro-Valls, sont les principaux coauteurs des idées contenues dans le message du pape de 1990. Les États-Unis ont, les premiers, implanté les ordinateurs et l’Internet et ce dernier est vite introduit au Saint-Siège. Son grand partisan est le porte-parole du pape et c’est par son entremise qu’est lancé le site WWW. Ici, il faut aussi mentionner une troisième personne – Judith Zoebelein, sœur franciscaine, fille d’un informaticien d’origine allemande. C’est elle qui est invitée en 1991 au Saint-Siège pour créer et administrer le site internet du Vatican. L’instigateur de sa nomination à la directrice du Centro Internet n’est sans doute pas autre que Mgr Foley. C’est lui d’ailleurs qui contribue à enregistrer le domaine « .va ». Avoir son propre domaine est un gage de crédibilité donnant à ses utilisateurs la certitude que tout ce qui s’y trouve – des documents aux adresses e-mail – est officiel et vérifié. Dès Noël 1995, le site WWW du Vatican fournit des informations sur le pape, l’histoire de l’Église et les documents du Saint-Siège. Le courriel « JohnPaulII@vatican.va » est d’emblée presque inondé de vœux à l’intention du pape ! La popularité du site et l’écho auprès des internautes surprennent même ses créateurs.
Le pape polonais est un grand partisan du Web et y voit un énorme potentiel, mais il regarde le monde des médias avec une perspective beaucoup plus large
En 1978 déjà, existent au Vatican un bureau de presse, une maison d’édition, un journal et une radio. Lors du pontificat de Jean-Paul II, leurs activités sont intensifiées mais on met aussi en place d’autres moyens de communication sociale : le Centre Télévisuel, dirigé par le père Federico Lombardi (jusqu’en 1983, c’est la RAI italienne qui retransmet les événements du pape) et le susdit Centre Internet. Radio Vatican et « L’Osservatore Romano » s’enrichissent de nouvelles rédactions en langues étrangères et la Sala Stampa, avec son directeur Navarro-Valls, devient une institution professionnelle et compétente au service des journalistes. Tout cela est possible grâce entre autres à l’approbation par Jean-Paul II de la condition émise par le futur directeur du Bureau de presse : qu’il n’y ait aucun intermédiaire entre lui et le pape 24h/24. Le pape polonais ne décevra jamais les attentes de Navarro-Valls.
C’est donc avant 1995 que le pape, avec ses proches collaborateurs, met en place de nouveaux médias ou dynamise ceux existants déjà au Vatican. Si les outils de communication sociale de masse sont importants, le sont encore davantage les compétences de l’équipe des collaborateurs – Mgr Foley, Navarro-Valls, Père Lombardi, Sœur Zoebelein et beaucoup d’autres, dont… Jean-Paul II en personne, très ouvert aux journalistes. Sa bienveillance se fait sentir dès le premier voyage apostolique au Mexique à bord de l’avion du pape. Certes, Paul VI saluait les journalistes présents à bord lors de ces déplacements, mais personne n’avait l’idée de lui poser des questions et d’attendre ses réponses, comme c’est le cas lors du voyage de Jean-Paul II au Mexique. En analysant cette « conférence de presse », le père Lombardi souligne l’importance de la personnalité du pape, de sa propension à raccourcir les distances pour avoir une relation plus directe avec les médias. C’est un style complètement nouveau pour un pape, qui pourrait s’expliquer par une attitude positive envers les représentants des médias non communistes. Ils sont pour lui des alliés grâce auxquels son message sera divulgué sans les entraves et l’hostilité qu’il a connues durant ses années polonaises.
Le changement se fait sentir dès les premiers instants après son élection – cet homme « venu d’un pays lointain » non seulement bénit les foules tassées place Saint-Pierre mais il s’adresse à eux en italien. À l’issue de la messe inaugurant le pontificat, le pape, prenant de court son cérémoniaire et ses gardes du corps, s’approche des fidèles. La façon d’être atypique de Jean-Paul II, riche en gestes, reposant sur une personnalité hors norme, et les modulations de sa voix sont les éléments le plus souvent repris et commentés par les médias à travers le monde et restent gravés dans la mémoire des témoins de ce long pontificat. Qui ne se souvient-il pas des mains du pape serrant un crucifix le Vendredi Saint 2005, de sa main glissant un morceau de papier entre les pierres du Mur des Lamentations à Jérusalem, de son entretien avec Ali Ağca, le même qui a failli le tuer en 1981, dans une cellule de la prison romaine Rebibbia et de tant d’autres moments de la vie de Jean-Paul II ? Ces arrêts sur image désormais « iconiques » sont et resteront l’annonce de la Bonne Nouvelle par des actes. Ils ne sont possibles que grâce à un consentement sans précédent du Saint Pontife à la présence des journalistes dans presque chaque instant de sa vie. L’image du pape appuyant sur la touche « entrée » pour envoyer par courriel un document au sujet de l’Église en Océanie est le meilleur résumé de son attitude positive envers l’Internet.
.Mais le pape, ce n’est pas que les gestes, les symboles et les images. Après chacun de nombreux voyages apostoliques (plus de 100), il invite à déjeuner chez lui des représentants des médias du Vatican. Cette rencontre sympathique comporte aussi à chaque foi un travail d’analyse – que les journalistes ont-ils compris et transmis ? comment ? combien de gens ont-ils pu entendre, via les médias, le message de l’évêque de Rome ? Il agit en fin spécialiste de la communication. Ces analyses restent sans doute la meilleure illustration de son approche des médias, élément indispensable de la réalité et de l’évangélisation, traités toujours très au sérieux, car ils se présentent comme un espace qui aide le pape à s’exprimer de sa propre voix.
Ces entretiens à table montrent également son immense humilité : les médias sont régis par leurs propres lois, il ne faut pas en avoir peur, mais il ne faut pas non plus faire abstraction des règles communément admises. Il est plus intéressant de mettre les mécanismes de transmission d’informations à profit pour être plus audible. Pour la papauté, c’est une nouvelle philosophie. Une nouvelle ouverture sur les journalistes et les médias. C’est le pape slave qui l’a rendue possible.
Père Józef Kloch