Eryk MISTEWICZ: L’odeur du papier. 200 ans du Figaro

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Eryk MISTEWICZ

Président de l’Institut des Nouveaux Médias (Instytut Nowych Mediów) – éditeur de « Wszystko co Najważniejsze ». Auteur de stratégies marketing. Travaille entre la Pologne et la France. Lauréat du Pulitzer polonais.

Ryc.: Fabien Clairefond

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Il y a 200 ans, le 15 janvier 1826, deux jeunes littéraires – Maurice Alhoy et Étienne Arago – ont donné naissance au Figaro, en sortant son premier numéro – écrit Eryk MISTEWICZ 

.À vrai dire, il m’accompagnait depuis le début. En pénétrant chaque jour à l’ESSCA, 1 rue Lakanal à Angers, j’en piquais un exemplaire gratuit d’une pile mise à la disposition des étudiants, pour, d’habitude, encore avant les cours, et puis, pendant les pauses, le feuilleter pour choisir les articles à lire en premier, ceux qui paraissaient les plus intéressants. Et à chaque fois j’étais servi, car le journal en proposait beaucoup, y compris des textes sur des sujets très éloignés de mes centres d’intérêt, que j’explorais avec curiosité – sans jamais regretter !

Et je n’étais pas le seul parmi les étudiants et les professeurs de l’ESSCA à le faire, car tous les matins disparaissaient ainsi plusieurs dizaines sinon centaines d’exemplaires du Figaro. Pour son éditeur, c’était une manière d’investir dans une relation avec son titre de presse. En le distribuant ainsi dans les établissements d’enseignement supérieur formant l’intelligentsia, il misait sur le fait que sa lecture finirait par devenir, à long terme, une habitude.

C’est sans doute la raison pour laquelle, depuis plusieurs années, chez Wszystko co Najważniejsze, nous faisons parvenir un paquet de chaque nouveau numéro aux cercles d’étudiants dans les plus grandes universités polonaises. Je suis convaincu qu’avec le temps, nous aussi, nous formerons un lectorat curieux et fidèle à notre mensuel. 

Pour en revenir au Figaro, son éditeur n’avait évidemment pu prédire ni le déclin du papier au début des années 1990, ni le triomphe des smartphones et des flux d’informations courtes, ni l’ère des shorts TikTok et YouTube. Tout en guettant évidemment les tendances, il ne les combattait pas; au contraire, il anticipait leur avènement à une échelle industrielle. Aujourd’hui, le Figaro, outre les éditions papier (quotidien, magazine du week-end, éditions spéciales, livres) et son site web lancé en 2000, possède également une équipe éditoriale multimédia qui produit des contenus vidéos et autres pour ses propres chaînes et toutes les plateformes de médias sociaux. C’est aussi la chaîne Figaro TV, lancée relativement tard, qui rattrape désormais son retard sur les autres éditeurs.

La rénovation du siège parisien de sa rédaction où, après les études, je venais souvent, offre une excellente opportunité d’organiser l’espace éditorial de manière à ce qu’il garantisse des contenus de la plus haute qualité et une accessibilité maximale à ces contenus à travers tous les canaux possibles. Nous mettons en œuvre une démarche similaire dans les rédactions des magazines et sites internet ici, à l’Institut des nouveaux médias, à Varsovie, Gdynia et Paris, avec notamment la construction d’une plateforme éditoriale professionnelle et d’un studio de télévision. Le monde change – et une rédaction qui veut survivre et prospérer n’a pas d’autre choix.

Il y a 200 ans, le 15 janvier 1826, deux jeunes littéraires – Maurice Alhoy et Étienne Arago – ont donné naissance à un hebdomadaire satirique: Le Figaro, une revue de quatre pages seulement qui, longtemps, demeura une publication irrégulière parmi tant d’autres. Il s’inscrivait dans l’inflation incessante de dizaines, voire de centaines de titres de presse – la même que Balzac décrira plus tard dans Les Illusions perdues. Mais dès 1861, on le caractérisait ainsi : « Ce petit journal a un avantage immense, que n’ont pas toujours ses confrères d’un grand format. Il donne la note de l’esprit du temps, et il la donne juste. C’est dans ces pages étincelantes de verve, pétillantes de raillerie, de l’ancien Figaro, que plus tard puisera l’histoire, dans quelque cinquante ans; elles seront rares et précieuses, parce qu’elles sont comme les mémoires au jour le jour de l’opinion, en un temps où l’opinion était souveraine. »

.Je n’arrive pas à imaginer la France d’aujourd’hui sans Le Figaro – ni sans Le Figaro Magazine,  généralement placé sur la carte des médias légèrement à droite du titre principal. C’est ici qu’ont lieu les débats les plus importants (y compris ceux organisés par la rédaction dans la salle Gaveau ou au siège de la rédaction); c’est ici que, par exemple, Éric Zemmour, candidat à la présidence de la République, a bâti ces dernières années sa réputation; c’est ici que possèdent leurs tribunes tous les auteurs qui comptent pour la France et pour l’Europe. D’ailleurs, nos rédactions respectives publient souvent des textes communs, qui paraissent simultanément dans Le Figaro et Wszystko co Najważniejsze.

C’est Hippolyte de Villemessant qui, sous le Second Empire, fera du Figaro un grand journal. Dans l’éditorial du premier numéro, paru le 2 avril 1854 dans sa nouvelle formule, il présentait son credo : « Dis toujours la vérité vraie ; ce sera le moyen de ne rien faire comme tout le monde.» Et il développa sa gazette dans un contexte d’industrialisation massive et d’effet d’échelle, en multipliant les points de vente, en mettant en place des abonnements et des suppléments. Enfin, la rédaction attira des auteurs intrigants et curieux des choses du monde.

C’est ici que George Sand publia sa première nouvelle en 1831. C’est ici que publièrent Balzac, Baudelaire, Proust, Verlaine, Zola, Colette, Mauriac, Cocteau, Gary, Aragon, d’Ormesson, Pivot. C’est ici que paraissent de nos jours Chantal Delsol, Alain Finkielkraut, Philippe de Villiers, David Lisnard, Jean-Pierre Oury, Bruno Retailleau… 

Si Le Figaro est aujourd’hui la marque la plus prestigieuse du marché médiatique français, c’est parce qu’il reste fidèle à ses principes : le respect de la vérité et… le respect des se lecteurs. Il n’hésite pas à susciter le débat et la discussion, pour développer son lectorat et pour le transformer. C’est une mission de taille, surtout à l’heure où d’autres médias ont cédé à la facilité – et, en un mot, se sont posés. Le Figaro, lui, ne s’est pas posé. Et ses nouveaux projets éditoriaux témoignent de sa profonde compréhension des besoins des lecteurs.

C’est dans Le Figaro que l’on trouve aujourd’hui les articles les plus objectifs et les plus bienveillants sur la Pologne et les Polonais. Cela tient peut-être au fait que Laure Mandeville, grande dame du journalisme international, qui signe les tribunes d’oponion du Figaro, connaît bien notre région d’Europe, y ayant vécu plusieurs années.

Enfin, quiconque a tenu entre ses mains un numéro du Figaro, ou même celui de Wszystko co Najważniejsze, a remarqué les portraits de nos auteurs. Ils sont l’œuvre de Fabien Clairefond, le meilleur portraitiste d’Europe et lauréat de nombreux prix, qui collabore avec Le Figaro depuis plus de dix ans. Fabien fait aussi des illustrations pour Wszystko co Najważniejsze depuis sa création.

.Je consulte Le Figaro sur ma tablette, chaque soir, j’attends 22 heures pour la parution du numéro du lendemain (parfois même pour lire un de mes papiers ou celui d’un ami). À chaque passage en France, j’achète – un peu par réflexe – un exemplaire papier du Figaro, et le week-end Le Figaro Magazine. J’aime tout simplement l’odeur du papier, mais il doit y avoir encore des restes de cette habitude de piquer un exemplaire gratuit de la pile à l’entrée de la fac. Je ne fume pas et pour accompagner mon café du matin, je préfère l’édition papier du Figaro à mon smartphone. J’espère ne pas être la dernière génération avec cette préférence.

S’il m’arrive de parler d’ « aristocratie de l’esprit », elle est pour moi liée au fait d’être parmi les lecteurs du Figaro.

Un autre 200 ans !

Eryk Mistewicz

œuvre protégée par droit d'auteur. Toute diffusion doit être autorisée par l'éditeur 14/12/2025