L’Armée polonaise en France
Grâce à la révolution de Février, il y a eu libération de la France du silence forcé sur la question polonaise. C’est dans ces circonstances qu’est née l’initiative de former une armée polonaise – écrit le prof. Marek KORNAT
.La nation polonaise de vingt millions de personnes a survécu à sa longue captivité sans perdre la volonté de lutter pour l’indépendance, ce qui s’est avéré primordial à l’heure d’une épreuve extraordinaire qu’était la Grande Guerre (1914–1918).
Disposer de sa propre armée a toujours été la chose la plus importante pour une nation dotée de son propre État. Cependant, l’expérience des Polonais du temps des partages prouve qu’une nation sans État peut aussi avoir une diplomatie et une armée, bien sûr dans des conditions favorables de la conjoncture internationale et à condition d’une initiative courageuse de l’unité dirigeante. C’est ce que nous montrent des cartes de l’histoire polonaise telles que les Légions de Jan Henryk Dąbrowski et de Józef Piłsudski, les formations armées pendant la guerre de Crimée (1853–1856) et la Grande Guerre, ainsi que la diplomatie d’Adam Jerzy Czartoryski et Roman Dmowski.
Grâce à la révolution de Février, il y a eu libération de la France du silence forcé sur la question polonaise. C’est dans ces circonstances qu’est née l’initiative de former une armée polonaise. Il n’y aurait pas eu celle-ci en France sans la révolte en Russie. L’initiative de créer une armée polonaise en France était française – et elle datait de mai 1917, anticipant les efforts ultérieurs de Dmowski. Le gouvernement provisoire russe – rappelons-le – s’est opposé aux formations armées polonaises en Russie, mais n’a soulevé aucune objection à leur création en France. Il faut mentionner qu’à cette époque des troupes russes étaient également créées en France.
Par décision du ministère de la Guerre à Paris du 20 mai 1917, la Mission militaire franco-polonaise fut créée, avec à sa tête le général Louis Archinard. Le premier camp de formation des soldats polonais fut établi à Sillé-le-Guillaume en Pays de la Loire.
Comme on le sait, le 4 juin 1917, le président de la République Poincaré a émis un décret stipulant qu’« il est créé en France, pour la durée de la guerre, une armée polonaise autonome, placée sous les ordres du haut commandement français et combattant sous le drapeau polonais ». Cet acte précisait également que « l’armée polonaise se recrute parmi les Polonais servant actuellement dans l’armée française et parmi les Polonais d’autres provenances admis à passer dans les rangs de l’armée polonaise en France ou à contracter un engagement volontaire pour la durée de la guerre au titre de l’armée polonaise. »
Le Comité national polonais, créé en août 1917 à Lausanne et transféré à Paris en octobre de la même année, est devenu le ministère polonais des Affaires étrangères en exil, bien qu’évidemment il ne représente pas l’ensemble de la société polonaise au pays. Le Comité s’est immédiatement engagé dans la lutte pour la forme de l’Armée polonaise en France.
Finalement, le 23 février 1918, le Comité a reçu l’autorité politique sur l’Armée polonaise. Dmowski a avancé l’idée d’une convention militaire entre le Comité et le gouvernement français, qui ne fut conclu que le 28 septembre 1918. Elle stipulait qu’une « armée autonome alliée et belligérante sous un commandement polonais unique » était créée. Auparavant, ses divisions étaient commandées par des généraux français.
Paderewski a eu l’idée de créer aux États-Unis une « armée Kościuszko » de cent mille volontaires, qui seraient envoyée en Europe. Cependant, l’administration américaine ne l’a pas approuvée. Mais la diaspora polonaise aux USA laissait espérer qu’elle approvisionnerait ses unités en volontaires. L’entrée en guerre des États-Unis le 6 avril 1917 et la sympathie américaine pour la question polonaise ont sans aucun doute contribué de manière significative à la mobilisation des réfugiés polonais sur le territoire de ce pays pour l’Armée polonaise. L’afflux de volontaires polonais en provenance d’Amérique – à partir de décembre 1917 – fut significatif. L’appel d’Ignacy Jan Paderewski a joué ici un rôle majeur. Le Comité a demandé au gouvernement français de s’entendre sur le recrutement de volontaires polonais avec les gouvernements des États-Unis et de l’Italie. En Italie, il y avait de nombreux soldats polonais en provenance de l’armée austro-hongroise, faits prisonniers de guerre.
Lors de la création de l’armée polonaise, le lieutenant-colonel Mokiejewski – un Polonais ancien fonctionnaire du ministère russe de l’Agriculture – fut nommé l’homme de confiance du ministère français de la Guerre. Dmowski ne faisait pas confiance à cet homme, ce dont il a clairement parlé dans son récit de la création des forces armées polonaises en France.
Comme l’a si bien écrit l’historien de la diplomatie Piotr Wandycz, Dmowski « a su mettre à profit le danger de la création d’une armée polonaise aux côtés des puissances centrales afin d’obtenir des concessions des alliés. » Le leader de la droite nationale polonaise a voulu à tout prix lier le sort de la Pologne à la victoire de la coalition antiallemande. Cela nécessitait des efforts diplomatiques, mais aussi militaires.
Comptant 68 000 soldats, l’Armée fut entièrement équipée par la France. L’une de ses divisions (1ère Division de fusiliers polonais) fut envoyée au front dans les Vosges et la Champagne.
Fin septembre 1918, les puissances de l’Entente ont reconnu l’armée polonaise comme force armée alliée. L’armistice du 11 novembre 1918 à Rethondes a trouvé cette armée en France comme une formation polonaise bien armée – réellement inestimable du point de vue des besoins de l’État polonais renaissant. Dmowski ne voulait pas renoncer au pouvoir politique sur elle, qui était exercé par le Comité national polonais. La situation ne fut modifiée que par le compromis Paderewski-Piłsudski début janvier 1919.
L’Armée polonaise s’est agrandie à la fin de la guerre. Au printemps 1919, elle comptait six divisions concentrées en deux corps. Il n’était pas sans importance que l’Armée créée lors de la phase finale de la guerre n’ait pas subi de pertes importantes sur le front. Les soldats étaient animés par le patriotisme et le désir de liberté de la Pologne. Ils l’étaient aussi par l’idée d’une fraternité d’armes franco-polonaise. En soi, la création de l’Armée polonaise en France constituait un avantage pour la thèse selon laquelle la nation polonaise combattait les Allemands. Cela avait son importance à la table de débats de la Conférence de la Paix.
La question du transport de ces troupes vers la Pologne, bien connue et maintes fois discutée par les historiens, s’est posée. Après de nombreuses péripéties, via l’Allemagne et par chemin de fer, l’Armée polonaise fut transportée dans le pays entre avril et juin 1919. Les troupes envoyées en Pologne étaient bien équipées d’armes françaises, qui furent laissées aux soldats polonais comme alliés. Il faut plus spécialement mentionner les avions de combat et les chars qui ont considérablement renforcé le potentiel militaire du pays, compte tenu du manque d’industrie d’armement polonaise. Ce renforcement était nécessaire face au grand défi de l’impossibilité de régler pacifiquement les relations avec la Russie soviétique.
.Le sort de l’armée de Haller est une expérience unique, s’inscrivant parfaitement dans l’histoire de la nation polonaise après la période des partages. Une expérience non marquée par des échecs comme la plupart des efforts polonais d’indépendance, mais au contraire couronnée de plein succès. L’Armée polonaise en France fut créée comme une force armée importante à l’étranger. Elle est arrivée en Pologne pour apporter une contribution unique à la lutte pour l’indépendance et les frontières. Elle a œuvré de manière significative au développement des forces armées de la patrie renaissante à des moments décisifs, lorsque dans la lutte pour un nouvel ordre international en Europe centrale et orientale se décidait le sort de la nation polonaise.