Eryk MISTEWICZ: Pour avoir une fin honnête, cette guerre doit mener à la liquidation de l’oblast de Kaliningrad, enclave russe au cœur de l’UE

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Eryk MISTEWICZ

Président de l’Institut des Nouveaux Médias (Instytut Nowych Mediów) – éditeur de « Wszystko co Najważniejsze ». Auteur de stratégies marketing. Travaille entre la Pologne et la France. Lauréat du Pulitzer polonais.

Ryc.: Fabien Clairefond

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.Situé au bord de la Baltique et entouré de part et d’autre par la Pologne et la Lituanie, ce territoire n’a jamais été, historiquement, la Russie. Pendant des siècles, il a fait partie de l’État polono-lituanien qui englobait, à son apogée, les terres de la Pologne, de la Lituanie, de la Lettonie, de la Biélorussie et de l’Ukraine d’aujourd’hui. À une époque, il a appartenu à la Prusse, mais jamais il n’a été russe.

De la taille d’Île de France (à peine 15 000 km2) et truffée à outrance d’équipements militaires russes, l’enclave est la plus importante source de tensions en Europe. Fermée jusqu’en 1991 aux citoyens d’autres nationalités, elle continue à être difficilement accessible, en particulier aux touristes occidentaux. Un tiers de sa superficie est occupé par des zones militaires. La ville de Baltiisk reste la plus importante base opérationnelle de la flotte russe de la mer Baltique, de la mer du Nord et même au-delà. L’enclave abrite également des bases aériennes militaires actives (Tcherniakhovsk, Khrabrovo, Donskoie, Tchkalovsk) et en sommeil (Baltiisk-Kosa, Nivenskoie, Dounaïevka). Elle peut servir de point de départ d’opérations en mer et dans l’air, y compris avec l’usage de l’arme nucléaire, visant tout le territoire européen et en particulier les pays du flanc est de l’OTAN, les plus menacés par une attaque massive et rapide de la Russie. Plus particulièrement menacé est le pan de terres appelé « corridor de Suwałki », qui relie la Pologne à la Lituanie, tout en séparant l’oblast de Kaliningrad de la Biélorussie, État vassalisé par Moscou.

À part les bases militaires russes brandies en épouvantail contre les pays de la région, on n’y trouvera aucune industrie valable, aucune vie sociale, éducative et culturelle. Il n’y a que l’armée, une force brute, nue et agressive, suréquipée en missiles, avions et navires de toutes sortes, prête à attaquer l’Europe.

En regardant la carte de la région, je me demande si cet état des choses doit continuer après la guerre… L’oblast de Kaliningrad est-elle censée perdurer en tant qu’un chantage militaire visant la sécurité de l’Europe ? La Russie sortira-t-elle de cette guerre sans pertes majeures sur le plan de la réputation, de l’économie et du territoire ? Quelle est la justification pour laisser Kaliningrad incorporé à la Fédération de Russie ?

Après la Seconde Guerre mondiale, cette zone a été initialement concédée à la Pologne, qui l’avait gouvernée pendant des siècles. Cependant, malgré les combats héroïques des Polonais aux côtés des Alliés, à la suite des décisions prises à Téhéran et à Yalta, la Pologne a été livrée aux Soviétiques pour des décennies, tout comme une grande partie de l’Europe centrale et orientale. L’oblast de Kaliningrad est tout simplement devenue une partie de l’URSS, un dépôt militaire des Soviétiques.

La guerre en Ukraine déclarée par la Russie ne peut se terminer que de manière honnête : indemnisation des dommages, traduction en justice des auteurs des crimes, retrait des troupes des territoires occupés. C’est la base du plan de paix en 10 points de Zelensky. En Europe centrale, nous savons que si l’agresseur n’est pas puni et les crimes ne sont pas jugés, la situation se reproduira dans quelques années, avec une prochaine tentative d’expansion néo-impériale, mais en plus gros. Depuis plus de trois cents ans, presque toutes les générations de Polonais, Lituaniens, Lettons, Estoniens, Tchèques, Slovaques, Roumains, Bulgares, dans l’incompréhension de la part du reste de l’Europe, vivent cela : l’agression  dans sa forme la plus sanglante. Devons-nous continuer à faciliter la tâche aux Russes ?

Kaliningrad est un test décisif de l’approche du monde démocratique envers la Russie, de la prise de conscience de son caractère impérial, érigé par le tsar Pierre Ier, qui avait reconnu que la Russie ne serait un empire que lorsqu’elle aurait appuyé ses frontières occidentales sur les côtes de la mer Baltique et la mer Noire. Je ne peux pas imaginer que Kaliningrad reste plus longtemps – aprés cette guerre – un territoire appartenant à la Fédération de Russie.

Variante 1 : l’enclave devient une zone démilitarisée, supervisée par des forces internationales. La privation de la Russie de son « dépôt militaire central » ayant en point de mire l’Europe doit faire partie des sanctions et des garanties visant le pouvoir au Kremlin. Il faut que cette condition soit inscrite dans les termes des pourparlers de paix. Cela doit être une évidence pour tout le monde démocratique et pas seulement pour la Pologne et les pays d’Europe centrale.

Variante 2 : l’enclave prend une forme de république gérée par l’Union européenne, ce qui passe par la destruction (de fait, le retrait au fond de la Russie) du potentiel militaire russe, en particulier nucléaire.

Variant 3 : le partage de l’enclave entre la Lituanie et la Pologne. Cela semble extrêmement peu probable et se solderait par de graves problèmes de gestion de la zone (les écologiques p.ex.) et des gens qui l’habitent. Ni la Lituanie ni la Pologne ne veulent sans doute prendre sur leurs épaules les problèmes qui s’en suivraient. Surtout qu’en Pologne il y a déjà plus de 2,5 millions de réfugiés ukrainiens.

Le pire, après la guerre, serait de laisser cette enclave russe en Europe comme si de rien n’était. Aujourd’hui, ce sujet doit être discuté, analysé et inscrit à l’ordre du jour des pourparlers de paix qui auront lieu tôt ou tard. La Russie doit être consciente qu’elle ne sortira pas de la guerre en conservant son statu quo, y compris l’enclave de Kaliningrad – sa porte impériale vers l’Europe et son entrepôt de matériel militaire. À son tour, l’Occident doit être conscient de la menace mortelle au centre même de l’Europe.

.L’expérience historique dramatique des 300 dernières années a appris aux pays d’Europe centrale que l’impunité d’un agresseur impérial attise son désir inassouvi d’expansion, tout en l’invitant à entreprendre de nouvelles agressions. Un empire impuni ne fait que s’enhardir.

Eryk Mistewicz

œuvre protégée par droit d'auteur. Toute diffusion doit être autorisée par l'éditeur 23/02/2024