
La coopération franco-polonaise, un domaine d’avenir
Les relations entre la France et la Pologne ont fluctué au fil du temps, mais elles ont été plus longtemps amicales qu’incorrectes. Dans le cadre actuel, une coopération poussée présenterait davantage d’avantages que d’inconvénients – écrit Nathaniel GARSTECKA
Des liens historiques, politiques et militaires profonds
.Quand on songe aux relations entre la France et la Pologne, Napoléon Bonaparte est la première personne qui nous vient à l’esprit. L’Empereur s’est en effet inscrit de la plus forte des manières dans l’histoire des échanges entre ces deux pays. Il a recréé un Etat polonais, bien qu’il fut pensé que comme une province de l’Empire, il a redonné espoir à une nation qui avait été écrasée par ses voisins, à un tel point que 100 000 Polonais combattirent dans la Grande Armée et les noms de 6 généraux sont gravés sur l’Arc de Triomphe, à Paris. De la romance entre Napoléon et Marie Walewska naîtra un fils, Alexandre, qui deviendra président de l’Assemblée nationale (appelée Corps législatif sous le Second Empire) et ministre des Affaires étrangères de l’Empereur Napoléon III. Enfin, Napoléon Bonaparte est cité dans l’hymne national polonais : „Bonaparte nous a montré comment il faut triompher”.
Cependant, ce n’était pas la première fois que la France et la Pologne étaient proches. Plusieurs liens royaux ont uni les deux pays par le passé. Le futur roi Henri III a d’abord été sur le trône de Pologne, en tant que Henryk Walezy. Marie-Louise de Gonzague a été reine de Pologne pendant 20 ans en étant l’épouse de deux rois. Sa suivante et amie, Marie de La Grange d’Arquien, règnera elle aussi une vingtaine d’année avec Jan Sobieski. Enfin, et c’est sans doute ici le cas le plus notable, le roi de France Louis XV se maria à la princesse Marie Leszczynska, fille du roi de Pologne déchu Stanislaw Leszczynski. Leszczynska régna plus de 40 ans et ses petits fils furent les derniers rois de France : Louis XVI, Louis XVIII et Charles X (Louis-Philippe se donna le titre de „roi des Français”).
De ce fait, les liens politiques entre la France et la Pologne ont toujours été plus que corrects. Varsovie a servi d’alliance de revers contre l’ensemble germanique, Paris a servi de refuge aux exilés polonais au XIXème siècle, devenant ainsi le point de chute des nobles, des artistes et des intellectuels, comme Frédéric Chopin et Marie Curie. Paris a été l’avocat de l’indépendance et de la liberté de la Pologne, Varsovie a été le principal allié de la France en Europe centrale. Au XXème siècle, Français et Polonais ont combattu ensemble au cours de la Première Guerre mondiale, de la guerre soviéto-polonaise et du second conflit mondial. Les deux pays ne se sont jamais fait la guerre au cours de leur histoire, et font actuellement partie des mêmes organisations politiques et militaires, en premier lieu l’Union européenne et l’OTAN.
La France et la Pologne dans un ensemble commun
.Cette appartenance à un bloc civilisationnel commun rapproche naturellement la France et la Pologne. La Pologne est, à l’instar de la France, un pays de tradition catholique, sa société a longtemps été rurale et plutôt conservatrice. Les Lumières ont eu une influence capitale sur le républicanisme polonais de la fin du XVIIIème siècle, ce qui a abouti, en 1791, à l’adoption de la seconde constitution moderne en Europe (après celle de la Corse en 1755). La Pologne a aussi été marquée par les réformes de Napoléon Bonaparte et on y retrouve encore aujourd’hui des structures administratives calquées sur celles de la France. Au chapitre des différences, on peut noter la tradition du pouvoir entre les deux pays. Tandis que la France était le symbole du pouvoir royal absolu, la Pologne avait mis au point une république nobiliaire au sein de laquelle le roi devait composer avec une noblesse nombreuse. Cela a été relevé tant par Henri III au XVIème siècle que par Marie de La Grange d’Arquien au XVIIème. Ainsi, la France a pu maintenir un Etat fort malgré ses défaites militaires, alors que la Pologne fut grandement affaiblie par les querelles de nobles tout au long des XVIIème et XVIIIème siècles, jusqu’à disparaître de la carte de l’Europe, partagée entre la Russie, la Prusse et l’Autrice. D’un autre côté, pendant que la France s’enfonçait dans les guerres de religions entre catholiques et protestants, la Pologne était l’un des rares pays où la tolérance religieuse était respectée. La meilleure illustration possible est la dynamique de la communauté juive de Pologne, qui était pendant longtemps la première au monde et la deuxième à la veille de la Seconde Guerre mondiale.
Depuis l’entrée de Varsovie dans l’Organisation du traité de l’Atlantique nord en 1999 et dans l’Union européenne en 2004, la France et la Pologne sont formellement alliées. Dans les faits, les points de vue peuvent diverger, notamment dans les relations avec les Etats-Unis et la Russie. Les élites françaises souhaitent depuis plusieurs décennies maintenir une forme d’équilibre idéalisé vis-à-vis de Moscou, tout en assumant leur appartenance au bloc occidental. Les Polonais, de leur côté, ne se font aucune illusion sur les ambitions de la Fédération de Russie et cherchent à se rapprocher le plus possible de ceux qui pourront lui garantir sa sécurité. Ce rôle a été refusé par la France dès la chute de l’URSS, afin de récolter les „dividendes de la paix”, et ce sont les Etats-Unis et l’OTAN qui ont tendu la main à la Pologne. Aujourd’hui, cette dissension pourrait enfin être vaincue, du fait de la politique agressive de Moscou en Europe de l’est.
L’entrée de la Pologne dans l’UE en 2004, dans l’espace Schengen en 2007, mais aussi dans l’OMC en 1995 et dans l’OCDE en 1996, a eu des conséquences extrêmement bénéfiques pour l’économie de la Pologne, et la France y a participé, en en profitant pour se développer en Europe centrale. Aujourd’hui, la France est le 4ème partenaire commercial de la Pologne. Les échanges entre les deux pays s’élèvent à plus de 22 milliards d’euros. De même, la Pologne exporte de plus en plus vers la France et la valeur de ces exportations représente 2,5% du PIB polonais. Jusqu’à présent, c’étaient les sociétés françaises qui investissaient en Pologne, et ce dans tous les domaines : de la grande distribution alimentaire (Carrefour, Auchan, Leclerc…) et spécialisée (Decathlon, Castorama, Leroy Merlin…) aux infrastructures (Vinci, Bouygues…), en passant par la communication (Orange…) et la logistique (Géodis, CAT…). Depuis quelques années, la Pologne a commencé à son tour à se développer en France avec par exemple InPost qui a racheté Mondial Relay, le fabricant de fenêtres Fakro ou l’éditeur de logiciels Comarch.
Si la communauté polonaise de France est connue et reconnue, depuis 200 ans et plusieurs vagues d’immigration (élites au XIXème siècle, travailleurs dans la première moitié du XXème, opposants politiques dans la seconde), la communauté française de Pologne est en pleine essor avec l’arrivée de jeunes cherchant, cela peut paraître surprenant à prime abord mais pas tant que cela si on se penche sur la dynamique économique du pays, de meilleures conditions de vie et un cadre existentiel plus favorable.
Une coopération mutuellement bénéfique
.Cela étant dit, il est important de se demander dans quelle direction peuvent évoluer les relations franco-polonaises, que ce soit du point de vue politique, stratégique, économique, militaire et culturel. Tous ces éléments sont cruciaux car le renforcement de la coopération militaire ne pourra se faire, par exemple, qu’à la suite de l’amélioration des relations diplomatiques et stratégiques, et que cela entraînera sans doute de meilleurs relations culturelles.
La France dispose de plusieurs atouts dont elle peut se servir pour se rapprocher de la Pologne : l’énergie nucléaire et l’industrie militaire. L’avancement dans ces dossiers dépend largement de l’état d’esprit politique entre les deux pays. Jusqu’à présent, la Pologne a décidé de faire davantage confiance aux Américains (Westinghouse pour le nucléaire, Boeing pour l’aviation civile, Lockheed Martin pour l’aviation militaire et l’armement, Sikorsky pour les hélicoptères…) et aux Coréens (KHNP pour le nucléaire, chars K2 de Hyundai, artillerie K9 de Samsung…), mais elle a commandé récemment plusieurs satellites „Pléiades” à Airbus, pour un montant de 575 millions d’euros.
La Pologne est disposée à envisager les offres françaises tout aussi bien dans le domaine du nucléaire que du militaire, mais elle a posé une condition : Paris doit faire jouer de son influence à Bruxelles pour lever les sanctions qui pèsent sur la Pologne et qui ont été infligées sous des prétextes politiques et idéologiques. L’alignement politique de la France et de la Pologne porte ainsi en lui un potentiel de coopération phénoménal, puisque la Pologne est consciente qu’elle doit varier ses fournisseurs et que le potentiel américain a déjà été fortement utilisé. La balle se trouve donc dans le camp de l’Elysée.
Cette évolution peut être facilitée par l’affaiblissement d’un des principaux verrous qui l’empêchait depuis des années : l’attitude des élites françaises vis-à-vis de Moscou, qui entrainait le resserrement des liens entre la Pologne et les Etats-Unis. Si la France fait évoluer sa position vers davantage de „russo-réalisme”, la Pologne pourrait redevenir pour elle un partenaire de poids au sein des structures occidentales. Cela aurait une conséquence supplémentaire : offrir l’opportunité de briser le couple franco-allemand, dont la France ne bénéfice pas ou très peu. Tout le monde est d’accord, à Paris, pour estimer que l’Allemagne pèse trop en Europe. Pour autant, les moyens de contrer l’influence germanique divergent en fonction de l’orientation politique des décideurs. Depuis 40 ans, la France a fait le choix de la tentative douce : ne pas provoquer un éventuel conflit d’autorité au sommet de l’UE, donner l’impression de suivre, mais cultiver ses fleurons économiques et technologiques, et surtout accroître sa démographie via l’immigration massive et la natalité qui en résulte, avec l’espoir que les courbes de la France et de l’Allemagne finissent par se croiser et que cela coïncide avec un dépassement en matière de PIB. Néanmoins, Berlin a fini par comprendre la situation et a décidé de faire appel à son tour à une immigration massive, en témoigne la politique de Bruxelles dans ce domaine.
Les soucis de l’Allemagne ont pris une autre dimension à partir de l’invasion de l’Ukraine par la Fédération de Russie. Après avoir cédé aux lobbies écologistes financés en partie par Moscou, Berlin avait mis fin à son nucléaire civil en démantelant ses centrales et avait misé sur le gaz russe bon marché (en faisant aussi pression sur Paris, avec un certain succès). Les sanctions infligées contre la Russie et l’arrêt des livraisons de gaz ont porté un coup critique à l’économie allemande, qui se rend au passage compte que les énergies dites „vertes” ne peuvent à elles seules porter une économie d’un pays comme l’Allemagne. De plus, les liens des politiciens allemands avec Moscou ont été abondamment critiqués, tandis qu’en France on s’est contenté de pointer les liens russes marginaux des partis de droite, en épargnant, au nom de la „raison d’Etat”, la collaboration intensive des gouvernements successifs avec Vladimir Poutine depuis plus de 20 ans.
Les relations AD 2024
.La France dispose ainsi d’un fenêtre de tir en or pour tenter de prendre le leadership en Europe et de doubler l’Allemagne : jouer sur l’isolement diplomatique de Berlin à cause de ses liens russes, replacer le nucléaire comme énergie d’avenir, se repositionner en tant que garante de la sécurité de l’Europe centrale face à l’impérialisme du Kremlin, ce qui pourrait entraîner un affaiblissement de la dépendance vis-à-vis de Washington ainsi qu’une modification bienvenue du cours centralisateur et fédéraliste pris par les institutions européennes, et pousser ses investissements et ses relations commerciales dans les pays de la „nouvelle Europe”. Tout cela serait vu d’un œil très favorable à Varsovie au moment où la stabilité de la diplomatie américaine est sans cesse bouleversée par les alternances politiques à Washington.
Pour cela, il faudrait cependant que les dirigeants français fassent preuve d’un courage quasiment inédit depuis 30 ans, qu’ils mettent de côté l’idéologie progressiste qui paralyse le quai d’Orsay (la Pologne l’a suggéré à maintes reprises ces dernières années), qu’ils mettent la lutte contre l’immigration massive et le terrorisme au cœur des priorités européennes, qu’ils remplacent le Triangle de Weimar par un „V de la Victoire” Paris-Rome-Varsovie ou en y ajoutant Stockholm (et, pourquoi pas, Londres). Qu’ils se concentrent sur ce qui nous unit, plutôt que ce qui nous sépare, en particulier les siècles de relations dynastiques, politiques, culturelles et militaires entre la France et la Pologne. L’avenir de l’Europe peut se jouer en ce moment, c’est un tournant à prendre qui ne peut qu’être mutuellement bénéfique.
Nathaniel Garstecka