Marjorie PISANI: Ode à la Pologne

Ode à la Pologne

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Marjorie PISANI

Fascinée et passionnée par la culture et la langue polonaise. Doctorante en littérature polonaise. Durant deux ans, elle s'est perdue dans les méandres du reportage littéraire polonais. Aujourd'hui, elle nage entre les eaux de la littérature du réel et les romans de la fin du XIXe siècle. Elle vit à Lyon.

Ryc.Fabien Clairefond

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J’aime la richesse de la langue polonaise, sa mélodie, sa résonnance et ses chuintements. On a beau dire que les langues slaves peuvent paraître « brutes de décoffrage », les douces syllabes polonaises sont raffinées, délicates et harmonieuses – ecrit Marjorie PISANI

.À l’ère des néologismes et dans une époque où s’affranchir des conventions devient la norme, à l’heure des relations dématérialisées, subsistent une amitié et un sentiment qu’on appelle « la polonophilie ». Si ce concept reste encore à l’orée des grandes tendances internationales, sur le banc de touche, c’est bien lui qui s’est installé au fond de moi il y a maintenant huit ans. Sans vouloir faire le récit exhaustif de mon expérience ou prétendre à l’écriture d’une aventure autobiographique, j’aimerais revenir sur ces huit années passées à l’apprentissage de la langue polonaise, sur cette période déterminante durant laquelle j’ai eu l’occasion de pénétrer les arcanes des langues slaves et découvrir une culture aux multiples facettes …

Retour en arrière

« Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous » disait Paul Eluard. Bien que je mette régulièrement sur le dos de ce fameux hasard mon inclination pour la langue et la culture polonaise, force est de constater qu’après huit années de concubinage, il s’agit plus d’une évidence que d’un aléa. Suite à cette rencontre fortuite sur les bancs de l’université, je me suis éprise de la Pologne, comme on s’éprendrait d’un premier amour. Des débuts idylliques, enflammés, passionnants, envoûtants. Puis s’installent progressivement l’incompréhension dans l’entourage, les premiers questionnements quant à la cohérence de mon parcours académique.

En 2009, la Pologne est membre de l’Union européenne depuis cinq ans ; vingt ans plus tôt, elle sortait d’une période de crise sans précédent ; soixante-quatre ans plus en arrière, elle n’était qu’une terre de ruines et de débris, affaiblie, presque rayée de la carte. Cette histoire mouvementée, cette identité sans cesse perturbée, remise en question, lui ont permis de se forger un caractère et de devenir l’un des meilleurs élèves de l’Union des 28. En effet, malgré la crise de 2008 qui a impacté l’économie mondiale, la Pologne a été le seul pays européen à ne pas connaître de récession et à enregistrer une croissance positive. Au premier trimestre 2017, tous les indicateurs étaient au vert, la croissance économique florissante (+4,4% au premier trimestre), le chômage en baisse (5% fin juin) et la consommation des ménages (+5,3% au deuxième trimestre) compensait assez largement la diminution des investissements étrangers. De quoi faire pâlir d’envie l’Occident et faire taire les suspicieux !

Durant ces huit ans passés à ses côtés, j’ai souvent été accueillie par des salves d’interrogations. En tête du palmarès : « Mais enfin, mais pourquoi le polonais ? ». Traduction : « Pourquoi ce pays, prétendument à l’écart de la scène internationale, plutôt que la Chine ou le Japon ou la Russie ? ». La Pologne est la sixième puissance européenne, à seulement 1500 km de la capitale, au carrefour des deux grandes puissances que sont l’Europe et la Russie. La Pologne est un pays coloré, aux divers aspects, peuplé de gens chaleureux, ouvert aux autres. La mer, la montagne, les agglomérations cosmopolites, les villes fortifiées, riches de leur histoire et des nombreuses légendes qui les habitent – là-bas, c’est une véritable fourmilière qui se développe. Et c’est pour toutes ces raisons que je n’ai jamais relâché mes efforts pour redorer le blason de la Pologne en France.

La richesse de la langue polonaise

Par richesse, j’entends bien un doux euphémisme pour ne pas dire complexité ! Reconnu comme l’une des langues indo-européennes les plus difficiles à apprendre, le polonais peut donner bien du fil à retordre à qui veut s’aventurer dans son apprentissage. Après avoir passé le cap des déclinaisons (inexistantes en français) vient celui des verbes aspectuels. Un véritable casse-tête pour les romanisants. Il existe en France très peu de manuels permettant d’apprendre la grammaire polonaise, aussi il peut être ardu de se former en autodidacte. J’ai eu la chance d’être bien entourée et de bénéficier de cours aux contenus riches et de pouvoir partir plusieurs fois dans cette belle contrée. Il serait hypocrite de dire que je parle très bien le polonais, à vrai dire, je le comprends et le lis bien mieux que je ne le parle, mais qu’on me pardonne cette lacune, au regard de ma fascination pour ce pays !

J’ai pénétré les affres de la langue polonaise à travers sa littérature, classique et contemporaine. J’ai côtoyé des Kapusciński, des Gombrowicz, des Prus et des Milosz. J’ai lu des reportages littéraires, de la poésie, des romans, des nouvelles, des pièces de théâtre. J’ai tenté d’apprendre par cœur les règles de déclinaison et toutes les exceptions liées aux prépositions, rien n’y fait. C’est à travers les belles lettres et les mots soigneusement, maternellement choisis des écrivains que mon apprentissage s’est fait et se fait encore, jour après jour. Je suis difficilement capable d’entretenir une conversation sur les derniers potins, mais je sais débattre de la qualité littéraire du dernier ouvrage de Twardoch, de Miloszewski, de Dehnel – pour ne citer que les plus connus. J’aime la richesse de la langue polonaise, sa mélodie, sa résonnance et ses chuintements. On a beau dire que les langues slaves peuvent paraître « brutes de décoffrage », les douces syllabes polonaises sont raffinées, délicates et harmonieuses.

Et si aujourd’hui, la littérature polonaise n’est pas aussi bien représentée en France qu’elle ne devrait l’être, il convient de noter le travail remarquable des traducteurs et des maisons d’édition qui permettent, années après années, de faire vivre ces lettres étrangères.

La Pologne en France en 2017

Après un temps, disons d’adaptation, mon entourage proche a bien intégré l’idée que ma vie professionnelle sera résolument tournée vers l’Est, cependant le message reste plus subtil à faire passer au reste des Français. Les émigrés polonais ont tendance à former une communauté soudée, qui accepte les autres bien sûr, mais qui reste difficile à trouver. Ils se réunissent souvent à la Bibliothèque polonaise, véritable emblème de leur culture à Paris, située sur l’Île Saint-Louis – l’un des plus beaux quartiers de la capitale. Mais aussi à l’Ambassade de Pologne, pour les évènements les plus prestigieux, comme la célébration du 3 mai et la naissance de la première constitution européenne ; à la librairie polonaise – boulevard Saint-Germain, etc. Il est un autre endroit, plus confidentiel, où la communauté polonaise est fortement représentée : à l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales (Inalco). C’est d’ailleurs en ce lieu que j’ai pu expérimenter et mettre à profit toutes les connaissances acquises durant ma formation universitaire. C’est ici qu’à Noël, les enseignants et les étudiants se réunissent autour d’un makowiec, d’un sernik, de pączki, ou encore d’une bonne bouteille de vin – témoignage de l’alliance des saveurs polonaises et françaises pour une fête placée sous le signe de cette double identité, en chacun de nous.

Les membres de la diaspora polonaise de France que je côtoie sont pour la plupart des jeunes, issus de familles d’émigrés, qui souhaitent entretenir leur connaissance de la langue polonaise et participer au développement économique de ce pays. D’autres souhaitent partir sur les traces de leurs ancêtres, renouer le contact avec des cousins, des oncles, des tantes, restés « au pays ». D’autres encore, vivent en France depuis quelques années et désirent simplement voir leur langue sous d’autres facettes ou promouvoir la connaissance du polonais. Je ne me retrouve dans aucune de ces situations, et pourtant, je me sens polonaise. À moitié bien entendu, car je suis et resterai toujours Française. Mais je me sens en phase avec ces gens, leurs convictions, leurs passions, leurs désirs et leurs envies de faire renaître la Pologne de ses cendres, de faire revivre une amitié de longue date.

Nul ne peut oublier Napoléon Bonaparte, premier empereur des Français et la comtesse Walewska. Leur idylle, aussi courte qu’intense, aura conduit à la création du Duché de Varsovie (1807-1815) ainsi qu’à la fascination française pour la belle qui a vécu en France de 1811 à 1814 et dont le cœur est enterré au cimetière du Père-Lachaise. Sans oublier également le Général de Gaulle, véritable défenseur de la Pologne indépendante, dont la statue trône fièrement au carrefour de la rue Nowy Świat et de l’Aleje Jerozolimskie. Bercée par l’âme de ces héros voyageurs d’antan, en partie mes héros, ceux qui, il y a bien longtemps déjà, ont participé à faire des relations franco-polonaises un succès et un modèle de coopération internationale enviable, je tente de construire petit à petit une passerelle entre ces deux pays. Et si aujourd’hui, en 2017, la situation s’est quelque peu dégradée, si aujourd’hui la géopolitique tend à semer le trouble dans cette belle amitié, nul ne peut remettre en doute le fait que la belle slave et notre Hexagone ont encore de jolies réussites à créer.

Marie Curie, les femmes et la Pologne

On ne peut mentionner les relations franco-polonaises sans penser à Marie Sklodowska-Curie. Deux fois prix Nobel, première femme à obtenir une chaire d’enseignement à la Sorbonne, elle est un symbole pour toute les générations féminines. Figure d’émancipation et véritable pionnière dans son domaine de recherche, Marie Curie a quitté sa Pologne natale à l’âge de 24 ans pour rejoindre Paris et terminer ses études. Elle a rédigé sa thèse de doctorat sur les rayonnements produits par l’uranium et est à l’origine de la découverte du polonium, élément chimique nommé en référence à la Pologne. Marie n’a jamais cessé d’être polonaise, malgré sa naturalisation française en 1894, suite à son mariage avec Pierre Curie.

Dans nos sociétés actuelles, on entend souvent dire que les femmes sont mal représentées dans les milieux scientifiques et universitaires. Les débats contemporains sur l’égalité homme-femme nous rappellent qu’il n’y a pas si longtemps encore, être une femme signifiait ne pas faire d’études, ne pas être indépendante. La force que Marie a trouvé en elle pour surmonter le décès de son mari et élever seule ses deux filles, cette détermination à combattre les diktats et à s’élever au-dessus des normes sociales, autant de preuves qu’il est possible de vaincre le fatalisme et qu’il ne faut cesser de se battre pour nos droits, en hommage à toutes ces femmes de talent qui nous ont ouvert la voie à de grandes carrières.

Son nom continuera de raisonner dans les milieux scientifiques, dans chaque discours prononcé en hommage aux relations franco-polonaises, Marie Sklodowska-Curie est le visage et l’expression de cette double identité. Ses descendants continueront de porter fièrement son nom, et nous autres, Françaises et Français amoureux de la Pologne ne cesseront de marcher sur les traces de cette remarquable femme.

.Je suis Française. Née en France de parents eux aussi Français. Et pourtant, mes couleurs favorites sont le rouge et le blanc, chez moi le 1er Mai dure jusqu’au 3, je connais la recette des pierogis par cœur et j’ai visité plus de villes en Pologne que dans mon propre pays. Et si parfois les mots me manquent, ils ne sont finalement que les messagers d’un sentiment faisant partie d’un langage universel: celui du cœur.

Marjorie Pisani

œuvre protégée par droit d'auteur. Toute diffusion doit être autorisée par l'éditeur 07/10/2017