Pologne – déclaration ubuesque du président de la Douma russe
Viatcheslav Volodine, président de la Douma russe, équivalent de l’Assemblée nationale française, a tenu des propos controversés sur la Pologne ce 21 mai 2023. Il exige d’elle 750 milliards de dollars de „réparations”.
Déclaration controversée du président de la Douma russe
.M. Volodine, qui a été vice-Premier ministre de la Russie en 2011, a publié un message dans lequel il accuse la Pologne d’avoir, entre autres, „trahi la mémoire historique”. Il fait notamment allusion à la poursuite du démantèlement des monuments soviétiques à la gloire de l’Armée rouge, étape toujours en cours depuis 30 ans de la désoviétisation de l’espace public polonais. Estimant que la Pologne doit à la Russie un tiers de ses territoires actuels, „des zones dotées d’infrastructures développées, d’entreprises industrielles et riches en ressources naturelles”, il exige d’elle la „restitution” de ces terres et le „remboursement” des dépenses occasionnées par la Russie pour la reconstruction de la Pologne après-guerre.
Le message de M. Volodine contient de nombreux éléments de langage typiques de la propagande d’État russe. Il évoque la „libération des envahisseurs fascistes”, le „sacrifice du peuple soviétique”, le respect dû à la „mémoire commune” et le fait que la Pologne „n’existe en tant qu’État que grâce à [la Russie]”.
Le président de la Douma russe annonce qu’un texte sera étudié le 22 mai 2023, devant infliger des sanctions aux entreprises de transport polonaises.
Rappel d’éléments historiques
.Il est très important, dans ce contexte, de rappeler quelques éléments historiques sur la Seconde Guerre mondiale et les années qui suivirent. Tout d’abord, l’Allemagne nazie et l’URSS signèrent le 23 aout 1939 un accord de partage de l’Europe centrale et orientale. En application de ce pacte germano-soviétique, l’Allemagne envahit la Pologne le 1er septembre 1939 et l’Union Soviétique en fit de même deux semaines plus tard. Les deux puissances totalitaires instaurèrent un régime de terreur dans les territoires occupés de la IIème République de Pologne, déportant des centaines de milliers de citoyens, exterminant les élites du pays et pillant les ressources et le patrimoine de la Pologne.
Le 22 juin 1941, l’Allemagne attaqua l’Union Soviétique, la faisant basculer, après deux ans de collaboration, dans le camp des Alliés. Notons que contrairement à de nombreux pays européens, les Polonais ne participèrent pas à l’invasion de l’URSS. Aucune armée polonaise ne s’allia aux Allemands et aucune formation SS polonaise ne fut constituée. La Pologne est l’un des seuls pays à avoir refusé de s’allier à un totalitarisme (fasciste ou autre) pour en affronter un second.
Trois ans plus tard, les Soviétiques envahissent à leur tour la Pologne occupée pour en déloger les Allemands. Ils commettent à nouveau des crimes et des destructions au cours de ce qu’ils ont appelé „libération” et annihilent la volonté de la Pologne de recouvrer son indépendance et sa souveraineté. Ils installent un gouvernement fantoche aux ordres de Moscou qui s’appuiera sur l’Armée rouge pour abattre la résistance et diriger le pays jusqu’en 1989. Ainsi, la Pologne restera occupée par une puissance totalitaire pendant 45 ans après la Seconde guerre mondiale. Son économie sera tournée vers les besoins de l’URSS, maintenant la population dans la pauvreté. Le pays sera empêché de se développer, prenant un retard considérable par rapport à l’Europe de l’ouest.
Enfin, si Staline a rattaché à la Pologne la Poméranie occidentale, la Silésie et la Varmie-Mazurie, il lui a retiré les actuelles Lituanie orientale, Biélorussie occidentale et Ukraine occidentale, le pays perdant au final en superficie.
Si le président de la Douma russe, M. Volodine, affirme que la Pologne n’existe „que grâce à la Russie”, il ne faut pas oublier que la Russie est en partie responsable de la perte de souveraineté de la Pologne entre 1795 et 1918 puis entre 1939 et 1989.
Réaction polonaise
.Le Premier ministre polonais, M. Mateusz Morawiecki, a immédiatement réagi, qualifiant la déclaration de M. Volodine de „manœuvre typique de la propagande russe”. Il est à noter que cette attaque contre la Pologne venant d’une personnalité importante de l’État russe n’est pas la première. En effet, le vice-président du Conseil de sécurité de Russie et ancien Président et Premier ministre de la fédération de Russie Dimitri Medvedev s’en prend régulièrement à la Pologne sur les réseaux sociaux.
Le Premier ministre a ajouté : „La Russie a déjà commis tant de destructions en Ukraine… De même, la Russie, ou plutôt l’Union soviétique, est responsable de pertes terribles subies par la Pologne pendant et après la Seconde guerre mondiale”.
Il a poursuivi, commentant la rhétorique russe à l’égard de la Pologne : „la Russie est depuis des siècles forte pour ce qui est de l’inversion accusatoire”.
Enfin, M. Morawiecki a déclaré : „la Russie essaie de se faire passer pour une victime. C’est la stratégie qu’elle a adopté dans tous les domaines. Cela ne doit pas masquer le fait qu’elle devra verser des compensation à l’Ukraine pour les crimes de guerre qu’elle a commis sur le sol ukrainien et les pertes matérielles subies par Kiev.”
De son côté, le vice-ministre des affaires étrangères, M. Arkadiusz Mularczyk, a annoncé travailler sur un rapport chiffrant les pertes polonaises occasionnées par l’occupation soviétique.
Pourquoi devrions-nous nous souvenir du 23 août 1939
.L’historien britannique M. Roger Moorhouse décrit, dans un article paru dans „Wszystko co Najwazniejsze”, l’amnésie occidentale concernant le pacte germano-soviétique et ses conséquences :
„Peu après minuit, dans la nuit du 23 août 1939, Joseph Staline a porté un toast à Adolf Hitler. L’occasion en était, bien sûr, la signature du pacte soviéto-nazi – ou pacte Molotov-Ribbentrop – de non-agression entre Moscou et Berlin, qui a donné le feu vert à Hitler d’agresser la Pologne et ouvert la voie à l’éclatement de la Seconde Guerre mondiale en Europe. Une date gravée dans la mémoire de plusieurs millions d’habitants de Pologne, de Finlande, de Roumanie et des pays baltes – ou de tous ceux qui y ont leurs origines – mais sa signification est encore étrangement méconnue dans le récit de la guerre communément admis en Occident.”
„Pourtant, le pacte soviéto-nazie est très peu présent dans le récit occidental. Traité sommairement, il est rejeté comme une aberration, une anomalie douteuse ou une note de bas de page de l’histoire plus large. On réduit systématiquement son importance au statut du dernier coup d’échec diplomatique avant le déclenchement de la guerre, sans faire mention de la relation sinistre entre les grandes puissances qu’il a engendrée. Il est instructif de constater, par exemple, que peu d’histoires populaires de la Seconde Guerre mondiale publiées récemment en Grande-Bretagne accordent au pacte une attention significative. Considéré indigne d’un chapitre entier, il occupe généralement un peu plus d’un paragraphe ou deux et une poignée de références d’index.”
„Le pacte n’était ni une aberration, ni un dérapage tactique de courte durée. Il a été suivi d’une succession de traités et d’accords, à commencer par le Traité de délimitation des frontières et d’amitié du 28 septembre 1939, par lequel les deux pays se partageaient la Pologne et juraient de ne tolérer « aucune agitation polonaise » dans leurs territoires respectifs. Par la suite, à travers deux traités économiques expansifs, Moscou et Berlin ont échangé des secrets, des plans, des technologies et des matières premières, huilant ainsi les rouages de leurs machines de guerre. Staline n’était pas passif ou involontairement neutre à cette époque ; il était l’allié stratégique essentiel d’Adolf Hitler.”
Nathaniel Garstecka