La Pologne poursuit le démantèlement des monuments soviétiques

Les déboulonnements de monuments à la gloire de l’URSS ou de l’Armée rouge en Pologne, mais aussi dans les pays baltes, s’accélèrent depuis l’invasion russe de l’Ukraine.
Des monuments soviétiques démantelés
.Entre le déclenchement de la guerre en Ukraine en février 2022 et mai 2023, ce ne sont pas moins de 30 monuments soviétiques qui ont été retirés de l’espace public polonais. Le dernier en date est celui de la petite ville de Głubczyce, située dans la région d’Opole, dans le sud de la Pologne. Il s’agissait d’un obélisque d’une dizaine de mètres de haut, destiné à commémorer la prise de la ville par l’Armée rouge en mars 1945 et les soldats qui y sont morts. Son démantèlement a été réalisé à l’initiative d’un habitant de la ville, vétéran polonais et résistant de l’Armia Krajowa („Armée de l’Intérieur”, plus grand mouvement de résistance polonais durant la Seconde Guerre mondiale) contre l’occupation allemande, le capitaine Marian Markiewicz, avec le soutien de la population locale. Le projet a été financé par l’IPN, l’Institut polonais de la Mémoire Nationale.
Son président, M. Karol Nawrocki, explique le sens des efforts polonais depuis trente ans afin de retirer les symboles soviétiques du pays: „Les monuments commémorant ou célébrant le régime totalitaire communiste et ses auxiliaires n’ont pas leur place dans l’espace public polonais”. Il a aussi appelé les communes polonaises à accélérer le processus, en signifiant que les coûts de démantèlement sont pris en charge par l’IPN : „Nous nous intéressons aux installations qui ont un effet délétère sur la conscience populaire et sociale. Nous ne procédons au démantèlement qu’en l’absence d’ossements humains. Par exemple, nous conservons les cimetières et les monuments qui s’y trouvent”.
La Pologne n’est pas le seul pays à réaliser ces travaux. Les pays baltes ont adopté une cadence plus rapide. L’Estonie a détruit 400 monuments soviétiques en 2022, la Lettonie 70 et la Lituanie a déplacé la quasi-totalité de ce qui restait dans le pays dans des musées. L’une des plus grandes installations à la gloire de l’Armée rouge, une statue de 80 mètres de haut à Riga, capitale de la Lettonie, a été abattue en aout 2022. Ces décisions ont été prises après l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Les pays baltes étant d’anciennes républiques socialistes soviétiques, il s’agit pour eux de rappeler au monde entier qu’ils ont été victimes du totalitarisme soviétique pendant des décennies et que la politique actuelle de la Russie est similaire, à leurs yeux, à celle de l’URSS des années 30 et 40.
En 1945, un totalitarisme en a chassé un autre
.Le déboulonnage de l’obélisque de Głubczyce à la mémoire des soldats de l’Armée rouge n’est pas passé inaperçu en Russie, au moment où les pays occidentaux célèbrent la capitulation allemande de 1945 et que la Russie s’apprête à en faire de même, ce 9 mai. Les autorités russes ont ouvert une enquête, invoquant des peines pouvant aller jusqu’à 5 ans de colonie pénitentiaire ou 5 millions de roubles d’amende.
M. Karol Nawrocki commente cette décision : „La Fédération de Russie estime qu’elle peut décider de l’organisation de l’espace public de la Pologne libre et souveraine. Cela trahit leur ambition impérialiste et la résurgence de l’esprit du communisme soviétique”.
En aout 1939, l’URSS communiste de Joseph Staline et l’Allemagne nazie d’Adolf Hitler signent un accord prévoyant le partage de l’Europe centrale et de l’est et une coopération économique et répressive dans les pays occupés. Cela aboutit à l’invasion commune de la Pologne en septembre 1939, celle de la Finlande par l’URSS en novembre 1939 et celle des pays baltes en juin 1940. L’URSS participera à l’extermination des élites polonaises, baltes et juives, à la déportation des populations (130 000 de citoyens baltes et des centaines de milliers de citoyens polonais, dont de nombreux Juifs).
En juin 1941, l’Allemagne nazie envahit l’URSS, qui bascule ainsi dans le camp des Alliés. Les hitlériens commettront de nombreux crimes avant tout contre les populations juives, mais aussi baltes et slaves. A partir de juin 1944, l’URSS expulse les Allemands des territoires conquis par Staline lors de l’application du Pacte Ribbentrop-Molotov et y reprend leur soviétisation entamée entre 1939 et 1941. Les déportations se poursuivent, des collaborateurs sont placés aux postes clés des administrations locales et des gouvernements fantoches sont installés. Après la guerre, Staline conservera les pays d’Europe centrale et orientale en tant que républiques socialistes soviétiques (pays baltes, Ukraine) ou en tant que satellites (Pologne, Roumanie, Tchécoslovaquie…), avec des gouvernements communistes à leur tête. Ce n’est qu’en 1989 que ces pays commenceront à retrouver leur souveraineté, mettant ainsi fin à 45 ans d’occupation soviétique, avant la chute de l’URSS en 1991.
Ainsi, les peuples d’Europe centrale et orientale ne considèrent pas la fin de la Seconde Guerre mondiale comme une libération. L’occupation totalitaire et génocidaire allemande a été remplacée par l’occupation totalitaire et génocidaire soviétique. M. Nawrocki conclut, au sujet des monuments à la gloire de l’Armée rouge : „C’est le symbole d’un système qui, après 1945, a transformé ses vassaux et colonisé la moitié de l’Europe, y compris notre pays, la Pologne, un système qui a continué à assassiner les héros polonais dans ses chambres de torture de la sécurité secrète, dans les forêts, dans les rues.”
Le peuple russe mérite la vérité
.Mateusz Morawiecki, Premier ministre de la République de Pologne, décrit les crimes commis par l’URRS dans les pays d’Europe centrale et de l’est : „Les crimes du régime communiste ont commencé avant même le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale : on citera la mort de famine de millions de Russes au début des années 1920, la Grande Famine qui a entraîné la mort de plusieurs millions d’habitants de l’Ukraine et du Kazakhstan, la Grande Purge au cours de laquelle près de 700 000 opposants politiques et citoyens ordinaires de l’URSS, principalement des Russes, ont été assassinés, et « l’Opération polonaise » du NKVD, au cours de laquelle étaient abattus principalement des citoyens soviétiques d’origine polonaise. Des enfants, des femmes et des hommes étaient voués à une mort certaine. Dans la seule « Opération polonaise », selon les données du NKVD, plus de 111 000 personnes ont été délibérément abattues par les communistes soviétiques. Etre Polonais en URSS à cette époque signifiait une condamnation à mort ou de nombreuses années de déportation dans les confins de l’URSS.”
„Cette politique s’est poursuivie avec les crimes commis après l’invasion de la Pologne par l’Union soviétique le 17 septembre 1939, comme l’assassinat de plus de 22 000 officiers polonais et représentants des élites dans des endroits tels que Katyn, Kharkiv, Tver, Kiev et Minsk, ainsi que les crimes commis dans les cellules de torture du NKVD et dans les camps de travail forcé situés dans les coins les plus reculés de l’empire soviétique”, poursuit-il.
Il conclut, appelant les Russes à comprendre le refus de la symbolique soviétique dans l’espace public polonais : „Les citoyens russes furent les plus grandes victimes du communisme. Les historiens estiment qu’entre 20 et 30 millions de personnes ont été tuées rien qu’en URSS. Les camps de la mort et du travail forcé attendaient même ceux dont tout pays civilisé prend soin : les prisonniers de guerre qui retournaient dans leur pays. L’URSS ne les traitait pas comme des héros de guerre, mais comme des traîtres. Telle était la « gratitude » de la Russie soviétique à l’égard des prisonniers de guerre, soldats de l’Armée Rouge : la mort, les camps de travail forcé, les camps de concentration. Le peuple russe, la plus grande victime de Staline, l’un des criminels les plus cruels dans l’histoire du monde, mérite la vérité. Je suis profondément convaincu que les Russes sont une nation de gens libres et qu’ils rejettent le stalinisme, même lorsque le pouvoir du président Poutine tente de le réhabiliter.”
Nathaniel Garstecka