Andrzej DUDA: L’Europe centrale comme une communauté des aspirations

L’Europe centrale comme une communauté des aspirations

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Andrzej DUDA

Président de la République de Pologne.

Ryc.Fabien Clairefond

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L’Europe centrale est un excellent exemple de la force créatrice de la liberté, conjuguée dans la vie économique avec l’esprit de l’entreprise et l’autogestion – écrit Andrzej DUDA

Une nouvelle décennie du XXIe siècle vient tout juste de s’ouvrir. Une décennie d’incertitudes que soulèvent, à l’échelle de la planète, la pandémie de coronavirus et ses retombées économiques. Mais aussi une décennie d’espoir et d’opportunités d’un renouveau civilisationnel afin de construire un monde meilleur, plus juste, plus vert, plus en phase avec les principes du développement durable. Les yeux tournés vers l’avenir, nous recherchons des espaces susceptibles de devenir des centres de mutations dynamiques et positives. Je suis persuadé qu’à l’échelle tant européenne que planétaire l’Europe centrale en fera partie.

Entité régionale de taille, l’Europe centrale ou bien l’Europe du Centre-Est (on utilise indifféremment ces deux notions) est une communauté des destins à tous les niveaux : géographique, politique, économique, idéologique, culturel. Vu son emplacement, on la perçoit comme un espace s’étendant entre les mers Baltique, Adriatique et Noire ou, par une simplification un peu trop abusive, entre l’Allemagne et la Russie. Avant tout cependant, nous constituons un cercle commun de la mémoire. Nos vécus historiques respectifs, durant notamment ce tragique XXe siècle, se ressemblent énormément. Nous avons fait l’expérience de deux totalitarismes – brun et rouge – qui nous opprimaient et nous persécutaient. Mais nous partageons aussi de formidables et glorieuses expériences des époques plus anciennes, comme celles de la période entre le XVe et le XVIIe siècle, où  « l’Europe des Jagellons », d’abord, et la République des Multiples Nations, ensuite, parvenaient à conjuguer les volontés et les ambitions des uns et des autres, en constituant, sur une grande partie de l’espace centre-européen, une union politique volontaire, précurseure de l’Union européenne, une maison accueillante pour de nombreuses cultures et religions, régie par les principes de l’État de droit, du parlementarisme et de la démocratie.

La leçon tirée de ces expériences, tant bonnes que mauvaises, nous l’emportons vers l’avenir. Comme une mise en garde universelle et comme une inspiration à agir pour le bien commun, la prospérité de notre région et de l’Europe unie tout entière.

Il est important également de décrire l’Europe centrale en termes de valeurs. Au sein, depuis plus de mille ans, du cercle civilisationnel occidental, nous partageons ses fondements idéologiques. Comme le fit remarquer avec justesse Milan Kundera, l’Europe centrale est un « Occident kidnappé », à savoir un pan de la communauté culturelle occidentale qui s’est retrouvé, contre son gré, sous la domination soviétique – impériale, autoritaire, irrationnelle dans sa gestion économique. Il faut tout de même souligner que notre attachement aux valeurs qui ont bâti la culture européenne n’est pas irréfléchi. Peut-être mieux que d’autres nous connaissons le prix qu’il faut payer pour les défendre. Nous sommes conscients que la liberté, pour être vraiment cultivée, doit se concilier avec la responsabilité ; les droits – avec les obligations ; l’individualisme – avec la solidarité ; l’esprit critique, l’innovation et la modernisation – avec la pérennisation de notre héritage et des traditions qui déterminent notre identité.

Timothy Garton Ash, au seuil du tournant historique de 1989, notait que l’idée de l’Europe centrale arrachait le monde occidental à ses façons de penser héritées du temps de la guerre froide, qu’elle lançait un défi à ses notions et ses priorités usées et dépassées, en offrant à leur place quelque chose de nouveau. Cette opinion semble pertinente aussi de nos jours, quand l’appartenance des pays d’Europe centrale à l’UE et à l’Otan constitue un pan durable important de l’ordre européen et transatlantique et quand notre région, bénéficiant d’une solide croissance économique, fait un bond civilisationnel considérable. L’idée de l’Europe centrale reste donc toujours porteuse de dynamisme et de contenu positif. Si on me demandait de caractériser le plus brièvement possible l’Europe centrale d’aujourd’hui, dont la Pologne en tant que le plus grand pays de la région, je répondrais : c’est une communauté des succès et, en même temps, une communauté des aspirations.

L’Europe centrale est un excellent exemple de la force créatrice de la liberté, conjuguée dans la vie économique avec l’esprit de l’entreprise et l’autogestion.

La liberté apporte le développement, en ouvrant de l’espace à la réalisation d’audacieuses ambitions et aspirations. Les trois décennies écoulées depuis la chute du communisme – le tournant initié dans notre région par le mouvement polonais Solidarnosc – sont le récit d’une grande réussite économique et d’un progrès social et civilisationnel jamais observé en un laps de temps si court dans l’histoire de l’humanité. La Pologne et toute l’Europe centrale sont un fascinant témoignage des opportunités qu’offre la liberté.

Nos succès peuvent aussi servir d’inspiration à d’autres, car ils prouvent que la coopération ne peut avoir que des résultats positifs. Grâce à des initiatives communes, l’Europe centrale a cessé d’être cet espace périphérique situé quelque part entre l’Ouest et l’Est, entre des puissances impériales – en devenant une structure renforcée par des liens multiples, consciente de ses intérêts et ayant de l’influence sur le cours des choses en Europe. Nous avons réussi l’émancipation de l’Europe centrale pour être désormais sujet et non plus simple objet des processus politiques et civilisationnels.

Trois domaines de coopération en Europe centrale méritent une attention particulière. Leur impact dépasse le cadre régional, car ils s’avèrent essentiels au niveau européen, transatlantique et même planétaire. Le premier est le Groupe de Visegrád, le projet politique commun le plus ancien, réunissant la Pologne, la République tchèque, la Slovaquie et la Hongrie. Initié en 1991 comme une plate-forme de dialogue politique et de coordination d’actions visant l’adhésion de ses États-membres à l’Otan et l’UE, le Groupe a prouvé son utilité aussi une fois ces objectifs stratégiques atteints. Aujourd’hui, il reste un des plus importants facteurs d’animation de la coopération régionale en Europe centrale et de la recherche de positions communes quant aux affaires européennes.

Le second domaine de coopération est le Groupe des neuf, formé en 2015 à Bucarest, réunissant les États de la frontière est de l’Otan : la Pologne, la Roumanie, la Lituanie, la Lettonie, l’Estonie, la Hongrie, la Slovaquie, la République tchèque et la Bulgarie. Il a pour but de rassembler les efforts en vue d’assurer là où ce sera nécessaire « une présence militaire forte, crédible et équilibrée » de l’Otan dans la région. Dans une large mesure, le Groupe B9 doit être perçu comme une réponse à la politique de plus en plus agressive de la Russie, à la violation des frontières et de l’intégralité territoriale de l’Ukraine qui sont un danger pour la sécurité régionale et transatlantique. Nous n’avons aucune envie de rester des observateurs passifs de ces processus.

Le troisième domaine par lequel s’exprime notre volonté de coopérer étroitement dans la région est l’Initiative des Trois Mers, initiée en 2015 par moi-même et la Présidente de Croatie Kolinda Grabar-Kitarović, et regroupant les États situés entre les mers Baltique, Adriatique et Noire : l’Autriche, la Bulgarie, la Croatie, l’Estonie, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne, la République tchèque, la Roumanie, la Slovaquie, la Slovénie. L’objectif de l’Initiative est de promouvoir des investissements communs dans les infrastructures, le transport, l’industrie énergétique et les nouvelles technologies, afin de stimuler la relance économique dans nos pays et la convergence au sein de l’Union européenne tout entière. La carte des liens économiques en UE montre clairement la domination des transferts horizontaux Ouest-Est au détriment des transferts verticaux Nord-Sud. Il s’agit aussi bien des transferts de personnes, de marchandises, de services et de capitaux, que du réseau des infrastructures : autouroutes, voies ferroviaires, plate-formes de correspondances, pipelines, lignes de haute tension, etc. L’Initiative des Trois Mers, en renforçant structurellement cette partie de l’Europe, en la complétant d’ « échafaudages » manquants, assurera plus d’intégration non seulement à la région elle-même, mais également à l’Union européenne dans son ensemble. L’engagement, à côté de capitaux européens, d’investisseurs américains, chinois ou d’autres régions du monde signifie une diversification saine des bénéfices et des interconnexions.

.Voici donc le tableau d’aujourd’hui et la vision de demain de l’Europe centrale comprise comme une communauté d’activisme, de réussite et d’ambitieuses aspirations. Le chemin a été long, mais couronné de succès. D’une région qui, pendant longtemps, a presque disparu de la conscience des plus grands acteurs de la scène politique mondiale (« en Pologne, c’est-à-dire nulle part », selon la célèbre citation d’Alfred Jarry de la fin du XIXe siècle), à une région qui fait désormais partie des territoires qui se développent le plus vite au monde et qui aspire au rôle de centre civilisationnel.

L’Europe centrale – tout est dans le nom ! Nous vous invitons à participer à cette fascinante aventure.

Andrzej Duda

Texte publié dans le mensuel Wszystko Co Najważniejsze (Pologne) dans le cadre d’un projet réalisé avec la Bourse de Varsovie (GPW).

œuvre protégée par droit d'auteur. Toute diffusion doit être autorisée par l'éditeur 22/01/2021