
2021-2030, la décennie de l’Europe centrale
Au cours de la prochaine décennie, les pays d’Europe du Centre-Est membres de l’UE depuis 2004 dépasseront les pays du sud de l’Europe en termes de revenu par habitant – écrit prof. Timo BAAS

Selon la Banque mondiale, la majorité des pays d’Europe centrale et orientale (PECO) appartiennent au groupe des pays à revenu élevé, alors qu’il y a trente ans, ils étaient classés dans la catégorie des pays à revenu faible ou moyen. Malgré ce succès, le processus de rattrapage des pays riches n’est pas encore achevé. Le revenu par habitant y est toujours largement inférieur à la moyenne de l’UE. Le moment est-il donc venu de combler le fossé et de rattraper les pays de l’UE décrits comme occidentaux après 1945 ?
Je voudrais aborder cette question dans l’optique de la crise provoquée par la pandémie de coronavirus, des investissements directs étrangers, du niveau d’éducation de la population et des migrations, en prenant également en compte le risque du piège du revenu moyen.

Tableau 1. Croissance du PIB dans les PECO membres de l’UE. Source : Eurostat 2020.
.La décennie qui commence posera des défis considérables à tous les pays de l’UE. Comme les pays occidentaux, les PECO sont également gravement touchés par l’effondrement de la production et de la demande dû à la crise. Alors que le PIB allemand devrait baisser de 5,6%, selon les prévisions de la Commission européenne, le PIB diminuera beaucoup plus en Slovénie (7,1), en Slovaquie (7,5), en Hongrie (6,4) et en Croatie (9,6). La Pologne (3,6) et la Lituanie (2,2) sont des exceptions. Dans l’ensemble, cependant, la baisse dans les PECO est beaucoup plus modérée que celle prévue dans le sud de l’Europe. L’Espagne (12,4), l’Italie (9,9), le Portugal (9,3) et la Grèce (9,4) sont tous plus durement touchés par la crise et connaissent une hausse significative du chômage, déjà élevé avant. Au cours de la prochaine décennie, il faut donc s’attendre à ce que les pays d’Europe du Centre-Est membres de l’UE depuis 2004 dépassent les pays du sud de l’Europe en termes de revenu par habitant.
Un développement dynamique dépend de l’afflux continu et élevé d’investissements directs étrangers. Ils sont si importants car ils contribuent à un transfert de connaissances et aident à optimiser les processus de production, en favorisant, à moyen et à long terme, la croissance économique. Les PECO ont pu attirer des investissements directs étrangers à des degrés divers ces dernières années. La Pologne et la Slovénie ont été capables d’augmenter les investissements directs, tandis qu’ils ont été inégaux dans les pays baltes et qu’ils ont reculé en Hongrie et en République tchèque. De plus, ce qui est déterminant pour la durabilité des investissements directs, c’est le secteur dans lequel ils sont réalisés. Ces dernières années, ils ont surtout augmenté dans le secteur manufacturier.
Cette évolution est quelque peu surprenante, car dans les années 1990 et au début des années 2000 les investissements étaient dirigés vers le secteur informatique et les services financiers. Les principales raisons à cela sont à trouver dans les effets de la crise dotcom de 2000 et de la crise financière et économique de 2007. La première a frappé durement les entreprises informatiques européennes, la seconde a déstabilisé le système financier et bancaire du continent.
Étant donné que le secteur informatique et les services financiers sont considérés comme prometteurs, la baisse d’investissements directs pourraient ralentir le processus de rattrapage des principaux pays industrialisés. Si les PECO, avec la crise du COVID, révisent leur approche autrefois assez libérale des investissements directs, ce ralentissement pourrait encore s’intensifier. La Commission européenne a d’ores et déjà mis en garde les États membres contre les rachats d’entreprises par des capitaux hors-UE dans des zones économiques stratégiques. Au cours des dernières semaines et mois, de nombreux pays d’Europe centrale et orientale tels que la Slovénie et la Slovaquie ont resserré leurs directives en matière d’investissements directs étrangers. Reste à voir si ce resserrement réduira l’attractivité de la région, du point de vue surtout des économies émergentes comme la Chine.
.Outre les investissements directs, le capital humain d’une société joue un rôle déterminant dans le processus de croissance. Les PECO ont obtenu des résultats exemplaires dans ce domaine. La proportion de la population ayant un faible niveau d’éducation, en particulier dans les PECO ayant fait leur adhésion à l’UE en 2004, a été ramenée à 10-16% en fonction du pays. La Croatie est à 18%, la Bulgarie à 22% et la Roumanie à 25%, donc un taux très proche de la moyenne de l’UE, tandis que les pays du sud de l’Europe sont, pour certains, même à 50%.
L’enseignement professionnel s’est considérablement développé : près de deux tiers de la population de la République tchèque et de la Slovaquie sont titulaires d’un tel diplôme. La Pologne, la Hongrie et les pays baltes suivent avec environ 60%, devançant des pays comme l’Allemagne et l’Autriche avec des systèmes de formation professionnelle traditionnellement très solides. Cependant, cela se fait au détriment de l’éducation dans le secteur universitaire. Ici, les PECO (ainsi que l’Allemagne) se situent en fin de classement, l’écart étant assez considérable. La Lituanie est proche de la tête du classement (37,9%) et la Roumanie fait partie des pays ayant la plus faible proportion de personnes avec un diplôme d’études supérieures (16%).
Tableau 2. Population selon le niveau d’études, en %
Faible (CITE 0-2) | Moyen (CITE 3-4) | Elevé (CITE 5-8) | |
Bulgarie | 21,9 | 53,5 | 24,7 |
Estonie | 15,8 | 47,7 | 36,5 |
Croatie | 18,1 | 59,9 | 22 |
Hongrie | 20 | 57,6 | 22,5 |
Lettonie | 14,9 | 53,8 | 31,4 |
Lituanie | 11,1 | 51 | 37,9 |
Pologne | 13,3 | 58,5 | 28,2 |
République tchèque | 12,3 | 66,1 | 21,6 |
Roumanie | 25,1 | 58,9 | 16 |
Slovénie | 15,8 | 54,9 | 29,3 |
Slovaquie | 14,5 | 62,3 | 23,1 |
Source : Eurostat 2020
.L’immigration et l’émigration de travailleurs qualifiés sont étroitement liées à l’éducation de la population. Cela représente une opportunité et un risque. Les citoyens des PECO ayant une formation professionnelle sont des employés recherchés dans des pays comme l’Allemagne et l’Autriche ; les jeunes citoyens des PECO ayant une formation secondaire peuvent trouver un emploi et des possibilités d’éducation en Grande-Bretagne grâce à leurs bonnes compétences linguistiques. La mesure dans laquelle les PECO souffrent d’une fuite des cerveaux ou profitent de la migration dépend de la volonté chez ces gens-là de retourner à leur pays natal. Les chiffres allemands donnent de l’espoir. La plupart des citoyens mobiles d’Europe centrale et orientale ne restent en Allemagne que cinq ans au maximum. Bien que nous n’ayons pas d’autres chiffres à l’appui, on peut supposer que beaucoup retournent dans leur pays d’origine. Des enquêtes menées en Pologne indiquent que les citoyens des PECO peuvent augmenter leurs revenus grâce à leurs séjours l’étranger. Cela peut être facilement expliqué par des contacts établis sur place ainsi que par des compétences spécifiques (la maîtrise de la langue, la connaissance du pays et des systèmes de production). En conséquence, une fois de retour au pays, ces gens disposent de savoir-faire très convoités sur le marché du travail local et leurs salaires sont meilleurs. Cela augmente les stocks de capital humain des PECO, favorise la coopération européenne et contribue à réduire l’écart de revenus par habitant avec les pays de l’UE aux revenus les plus élevés.
Dans la lumière de ces arguments, on peut supposer qu’au cours des dix prochaines années, les PECO augmenteront considérablement leur revenu par habitant et rattraperont les économies du sud de l’Europe. Un niveau d’éducation élevé, un faible taux de chômage et l’accès au marché intérieur de l’UE réduisent la vulnérabilité aux crises et font des États d’Europe du Centre-Est un espace attractif pour les investissements directs étrangers. Néanmoins, la concentration sur les secteurs manufacturiers, le niveau encore bas de l’enseignement supérieur et la fuite des cerveaux sont préoccupants. Des efforts considérables sont encore nécessaires pour rattraper les pays du nord-ouest de l’UE. Il y a un risque que ce processus s’arrête et que les PECO n’échappent plus au piège du revenu moyen. Cela est particulièrement à craindre s’ils ne reprennent que les maillons de la chaîne de valeur dont la production n’est plus rentable dans les pays du nord-ouest européen. L’Europe du Centre-Est doit donc se prémunir contre cette éventualité et opter pour des industries du futur afin que la décennie qui vient de s’ouvrir puisse devenir la leur.
Timo Baas
Texte publié dans le mensuel Wszystko Co Najważniejsze (Pologne) dans le cadre d’un projet réalisé avec la Bourse de Varsovie (GPW).
