
Nous vivons, encore!
« Nous savons d’ores et déjà que nos chances de survie sont minimes » – tel est le cri lancé par Dieudonné Kikalage JOËL, réfugié au camp de Nakivale (Ouganda)
Je m’appelle Dieudonné Kikalage Joël. Je vais vous décrire la vie dans un camp de réfugiés africain pendant la pandémie du Covid-19.
J’habite à Nakivale, l’un des plus grands camps de réfugiés en Ouganda, situé dans le sud-ouest du pays, dans la région d’Isingiro. Depuis que j’ai fui, en 2013, la République démocratique du Congo, j’y suis enregistré en tant que réfugié.
Ce que je ressentais, en y arrivant, ce n’était ni le découragement ni l’abattement mais bien la détermination. J’ai commencé à apprendre l’anglais et je suis parvenu à finir mes études. J’ai joint un centre universitaire de formation des maîtres « Bishop Stuart College à Mbarara ». J’y ai suivi un cursus d’assistant d’éducation des enfants du primaire. Ensuite, j’ai ouvert, à Nakivale, un centre de compétences linguistiques et professionnelles « Built to Become Competent » (BBC). C’est un endroit génial où beaucoup de gens ont pu apprendre un métier et une langue étrangère, tout en approfondissant leurs connaissances sur le monde. J’ai créé aussi un centre pour le développement de l’éducation précoce dont ont profité de nombreux enfants de 3 à 6 ans.
En 2017, j’ai été embauché par Windle International Uganda (WIU) en tant qu’assistant d’enseignement. Je suis devenu assistant de recherche et j’ai accueilli de nombreux scientifiques européens, représentants d’ONG, docteurs, étudiants et journalistes. C’est aussi grâce à cet engagement que vous lisez maintenant ce texte.
Bien que la vie dans un camp de réfugiés ne soit pas facile, chacun y met du sien pour l’améliorer. Les défis qui sont à relever varient d’une personne à l’autre, mais pour la plupart d’entre nous, nous nous y sommes retrouvés car à un moment de notre vie nous avons décidé de nous battre pour elle.
Nous sommes à Nakivale parce que nous avons refusé de mourir. Aujourd’hui, nous, réfugiés, nous sommes une fois de plus confrontés à une situation qui menace notre vie.
Le COVID-19 a tu l’Ouganda. Il a tu l’économie, ôté le sourire et mis un frein à notre vie. C’est clair pour tout le monde que nous sommes tous ici en danger.
La plupart des personnes séjournant au camp travaillent. Ils s’occupent principalement de transport, d’agriculture, de commerce et d’autres petits travaux et services comme la couture, la coiffure ou l’artisanat. Ce n’est que grâce à leur travail que les réfugiés peuvent survivre. Mais avec les restrictions liées à la pandémie, toutes les entreprises à Nakivale ont fermé. Ne restent ouverts que les magasins où on peut s’acheter à manger et retirer ou envoyer de l’argent.
Les habitants du camp reçoivent une ration mensuelle de nourriture qui, sans jamais être suffisante pour survivre, maintenant, pour cause de pandémie, a été encore limitée.
Plus concrètement, une personne obtient chaque mois 8,82 kg de maïs, 2 boîtes de haricots, 0,63 litre d’huile pour frire et 22 000 UGX (environ 4,50 EUR). C’est tout, et pour être franc, il n’y a plus rien. Et personne ne peut dire cette fois-ci : « Va travailler et gagner ton pain ». Ce n’est pas si facile quand tous les habitants de Nakivale doivent rester confinés chez eux, quand ils sont incapables de se déplacer, de commercer et de se procurer de la nourriture.
Certains réfugiés possèdent des jardins qui se trouvent loin de leur domicile. D’habitude, ils transportaient leurs récoltes jusqu’au camp, mais aujourd’hui le transport est interdit. La possibilité de se déplacer à moto ou à vélo a été restreinte. Les personnes vivant de l’agriculture, donc celles qui d’habitude prospèrent le mieux, ne sont pas non plus en sécurité.
Réduire les rations mensuelles aide-t-il à assurer la sécurité aux habitants du camp face au COVID-19 ? Comment pouvons-nous collecter de l’eau nécessaire à la survie si les points d’eau restent éloignés de plusieurs kilomètres et qu’il nous soit interdit d’utiliser les moyens de transport ?
Idem pour les points de distribution de nourriture. Pour la plupart des réfugiés, ces points se trouvent loin de leur domicile. Certains, pour se procurer de la nourriture et de l’eau, sont contraints de parcourir à pied de très longues distances, et une fois rentrés chez eux, ils s’écroulent de fatigue, tombent malades, se déshydratent. Pour reprendre leurs forces, ils mangent du maïs cru. Les personnes âgées ne sont pas en mesure de parcourir de telles distances et sont obligées de rester chez elles sans nourriture et sans eau.
Nos chances de survie dans de telles circonstances sont minimes.
Pour le réfugié, la maladie est synonyme de sentence de mort. C’est comme si le statut de réfugié rendait l’homme invisible. Invisible pour le monde, pour les médecins et les infirmières. Les services de santé – difficile même de dire qu’ils existent.
Quelqu’un m’a dit que les portions qu’il reçoit sont insuffisantes pour lui et sa famille. Et comme ils n’ont ni de charbon ni de bois pour cuisiner, ils mangent des aliments crus. Ils tombent malades, souffrent, sans pouvoir compter sur un quelconque traitement. Il faut venir à l’hôpital tôt le matin, mais on n’est reçu que le soir. Et les médicaments administrés correspondent vaguement à la maladie qu’on a.
La plupart du temps, le médecin reste enfermé dans son cabinet sans accueillir les patients. Il ne fait qu’attendre la fin de son service pour renvoyer les personnes rassemblées devant le portail chez elles. Les gens pourtant reviennent tous les jours, se rassemblent devant le portail de l’hôpital pour espérer de l’aide.
Où sont les médecins ? Que font-ils ? Vient midi, le soir, la nuit… Devons-nous forcer le portail ?
C’est comme si notre présence grandissante ne faisait que renforcer notre invisibilité. Le soir, le plus souvent, le médecin sort de son cabinet et dit aux patients : « Retournez chez vous, retournez chez vous, je vous en prie ! Qu’est-ce que vous ne comprenez pas ? Je suis très fatigué. »
Certains patients meurent en attendant d’être reçu par le médecin. Un jour, une femme a accouché devant le portail de l’hôpital sans qu’une infirmière vienne lui prêter main-forte. Quand après quelqu’un, vexé, a agressé une infirmière, celle-ci n’a plus jamais repris le travail.
Ce que je vais vous dire vous paraîtra étrange, mais ce n’est pas le COVID-19 qui reste notre préoccupation majeure. C’est en fait le manque d’accès à l’eau propre, l’impossibilité de la faire cuire, les trop peu nombreux points de prise d’eau. Nous buvons l’eau d’un lac. Nous manquons de traitements médicaux de base et de nourriture.
À Nakivale, le COVID-19 a fermé un camp de plus de 100 000 réfugiés, en laissant ses habitants sans moyens pour subsister. Et ce n’est qu’un camp parmi tant d’autres. Est-ce à cela que doit se résumer la vie pendant la pandémie dans un camp de réfugiés ? Une situation de danger doit-elle se transformer en une sentence de mort ?
J’espère que tout se finira bien et vite. Peut-être aussi grâce à la possibilité qui m’a été donnée de m’adresser à vous pour parler de ce qui nous arrive.
Que le bon Dieu vous bénisse,
Dieudonné Kikalage Joël
Si vous êtes en mesure d’aider les réfugiés de Nakivale, contactez-nous à l’email suivant: redakcja@wszystkoconajwazniejsze.pl