Jan ROKITA: Notre patrie historique commune

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Jan ROKITA

Politiste, diplĂŽmĂ© en Droit de l’UniversitĂ© Jagellonne de Cracovie, militant de l’opposition anticommuniste, dĂ©putĂ© Ă  la DiĂšte de 1989 Ă  2007.

Ryc.: Fabien CLAIREFOND

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Quand, en visitant Lviv, nous montons l’allĂ©e du parc jusqu’au Haut ChĂąteau, curieux de voir le charmant panorama de la ville, nous tombons, au milieu du chemin, sur un grand piĂ©destal en pierre, sur lequel une plaque commĂ©morative a Ă©tĂ© placĂ©e. L’inscription se lit en ukrainien : « Le 14 octobre (24) 1648, les troupes paysannes et cosaques sous le commandement du colonel Maksim Krzywonos, le hĂ©ros de la guerre de libĂ©ration, Ă©crasĂšrent l’armĂ©e des envahisseurs polonais et reprirent de leurs mains le chĂąteau bĂąti sur cette colline ». ÉrigĂ© en 1953, Ă  l’époque soviĂ©tique, le monument commĂ©more un Ă©vĂ©nement qui a eu lieu dans les premiers mois du grand soulĂšvement cosaque, initiĂ© Ă  l’instigation du hetman Bohdan Khmelnytsky, chef des Cosaques, qui fut le premier Ă  mettre la « question ukrainienne Â» Ă  l’ordre du jour de la politique europĂ©enne, c’est-Ă -dire le postulat de crĂ©er une forme Ă©tatique ukrainienne. AprĂšs plusieurs victoires sur les armĂ©es royales polonaises, les cosaques ont assiĂ©gĂ© Lviv – la capitale de la voĂŻvodie ruthĂšne, mais ils n’ont pas rĂ©ussi Ă  conquĂ©rir la ville. NĂ©anmoins, aprĂšs un long et fĂ©roce siĂšge, une attaque menĂ©e par le colonel circassien Krzywonos a permis de briser les portes du chĂąteau (apparemment Ă  la suite d’une trahison parmi ses dĂ©fenseurs). Dans un article dĂ©taillĂ© sur ce sujet dans la WikipĂ©dia ukrainienne, on peut lire ce qui s’est passĂ© ensuite : « Une terrible tuerie a commencĂ©. Aucun des assiĂ©gĂ©s n’a Ă©tĂ© Ă©pargnĂ© : aucun orthodoxe, aucun catholique, aucun Polonais, aucun RuthĂšne, aucun Juif. Ni la foi, ni le sexe, ni l’ñge n’ont prĂ©servĂ© contre la mort. Un terrible cri de dĂ©sespoir s’est mĂȘlĂ© aux cris des vainqueurs et a atteint les murs de la ville Â». Une chronique ajoute que les cosaques « pouvaient dĂ©sormais tirer non seulement sur les gens, mais aussi sur les poules de la ville Â» depuis la colline du chĂąteau.

Nous voici au cƓur mĂȘme du patrimoine historique compliquĂ© des Polonais et des Ukrainiens. Il est contenu dans la question : Ă  qui appartenait alors la RĂ©publique ? L’Ukraine (appelĂ©e Ă  l’époque le plus souvent RuthĂ©nie) formait un Ă©tat commun avec la Pologne Ă  la suite de deux faits historiques. PremiĂšrement – la chute au XIIIe siĂšcle sous les coups des Tatars de deux grands États ruthĂšnes – la Rus’ de Kiev et la Rus’ de Halych-Volodymyr, et deuxiĂšmement – l’union entre la Pologne et la Lituanie, qui (presque tous l’ignorent aujourd’hui) comme l’une des principautĂ©s ruthĂšnes a rĂ©ussi Ă  « rassembler Â» derriĂšre les Tatars, la plupart des terres de la Rus’ occidentale. En pĂ©riode de grands conflits religieux entre orthodoxes et latins, Kiev, Lviv et Vilnius Ă©taient des centres tout aussi importants de lutte pour la culture ruthĂšne, et au chĂąteau royal de Wawel (Cracovie) au temps du roi lituanien JagieƂƂo, les registres Ă©taient tenus en ruthĂšne, c’est-Ă -dire en prĂ©-ukrainien. Lorsque, Ă  son tour, le roi Batory – un Hongrois sur le trĂŽne de Cracovie – envoyait ses universaux aux citoyens de la RĂ©publique de Pologne, il les adressait, entre autres : « aux peuples de la Rus’ ukrainienne de Kiev, de Volhynie, de Podolie et de Braclaw Â». Cette Ukraine, c’était pour Batory une partie de la Rus’ qui n’entendait pas succomber Ă  l’expansion toujours plus tenace de Moscou. Ainsi, bien que culturellement orientale et byzantine, elle voulait appartenir politiquement Ă  l’Occident, ce qui dans les rĂ©alitĂ©s de l’époque signifiait fidĂ©litĂ© Ă  la RĂ©publique multinationale et Ă  son monarque siĂ©geant au chĂąteau de Wawel. C’est un facteur clĂ© du point de vue de toute l’histoire polono-ukrainienne ultĂ©rieure : le fait que de la perspective de Cracovie, l’Ukraine Ă©tait Ă  l’époque ce qui avait la volontĂ© de rĂ©sister Ă  Moscou.

Ce lien politique entre l’Ukraine et la Pologne a abouti Ă  une assimilation culturelle de nombreuses familles ruthĂšnes au XVe siĂšcle, pour lesquelles la foi orthodoxe est restĂ©e un signe de leur spĂ©cificitĂ©. Lorsque le prince moscovite Vasily III a attaquĂ© la RĂ©publique polono-lituanienne pour lui arracher ses terres ruthĂšnes, il a Ă©tĂ© battu Ă  Orcha par tout aussi orthodoxe le prince Konstanty Ostrogski – « le Scipio ruthĂšne Â», comme on l’appelait alors – un hĂ©ros national pour les Polonais, reposant toujours dans la crypte du monastĂšre Laure de Kyiv-Petchersk. À son tour, son fils – le fondateur de la cĂ©lĂšbre AcadĂ©mie slavo-greco-latine d’Ostrog en Volhynie et dont la signature figure sous l’acte de l’Union de Lublin – a Ă©tĂ© dĂ©clarĂ© saint en 2008 par l’Église orthodoxe autocĂ©phale d’Ukraine. Dans le langage des universaux de Batory, on pourrait dire que ces princes Ă©taient alors l’élite politique et culturelle de l’Ukraine, remarquable Ă  tous Ă©gards. Et la patrie Ă  laquelle ils Ă©taient immensĂ©ment fidĂšles, Ă  la fois en tant que chefs militaires et citoyens, c’était la RĂ©publique multinationale de Pologne. Tout comme elle l’était initialement pour les Cosaques connus pour leur amour de la libertĂ©, c’est-Ă -dire les habitants Ă  moitiĂ© sĂ©dentaires de la rĂ©gion de Kiev. La province cosaque libre devait sa puissance politique croissante principalement Ă  ses valeurs militaires. Pendant un bon siĂšcle et demi, elle constitua une protection inestimable des confins sud-est de la RĂ©publique, envahis sans cesse par les Tatars, puis par l’orde du Sultan. À Chocim, en 1621, six mille cinq cent cosaques sont morts, en sauvant le prince Ladislas Vasa. Et quand celui-ci est devenu roi de Pologne, tous les Cosaques espĂ©raient obtenir de lui l’autonomie et les pleins droits politiques qui leur avait Ă©tĂ© promis.

Or, la RĂ©publique n’a pas tenu ses promesses faites aux Cosaques. Et c’était ce moment de notre histoire commune qui a marquĂ© le dĂ©but d’une sĂ©rie de drames dont la terrible culmination n’aura lieu que trois siĂšcles plus tard, lors de la Seconde Guerre mondiale. Pour soutenir leurs postulats, les Cosaques ont commencĂ© Ă  inciter Ă  des rĂ©voltes, la premiĂšre ayant eu lieu en 1592 sous la direction du hetman Krzysztof KosiƄski. Il faut bien comprendre pourquoi la RĂ©publique de Pologne n’a finalement pas tenu ses promesses Ă  l’époque. Eh bien, c’était parce qu’elle venait elle-mĂȘme d’entrer dans une Ăšre de lente dĂ©composition interne, en proie Ă  des revendications immodĂ©rĂ©es des magnats, Ă  l’anarchisme de la noblesse et Ă  l’affaiblissement dramatique du pouvoir royal. L ‘« Ăąge d’or » de la monarchie jagellonne Ă©tait terminĂ© et son Ă©lite politique n’était plus capable d’actes d’une mesure historique comparable Ă  l’union avec le Grand-DuchĂ© de Lituanie, inventĂ©e par les seigneurs politiquement gĂ©niaux de la Petite-Pologne deux siĂšcles auparavant. Malheureusement, la question de l’autonomie politique de l’Ukraine est apparue trop tard dans notre histoire commune. Lorsque Bohdan Khmelnytsky l’a posĂ©e de toutes ses forces au milieu du XVIIe siĂšcle, cela n’a pas conduit Ă  une grande rĂ©forme politique de la RĂ©publique de Pologne, attendue par les Cosaques, mais Ă  la guerre. Pour un Polonais conscient du destin futur de sa patrie, il est difficile d’oublier qu’au dĂ©but du soulĂšvement, Khmelnytsky a Ă©crit au roi Jean-Casimir qu’en fait il ne voulait qu’une chose : « Nous demandons Ă  Dieu que vous soyez seigneur indĂ©pendant comme les autres rois, et non plus soumis aux nobles Â». En termes modernes, les cosaques exigeait un exĂ©cutif fort parce qu’ils savaient que lui seul pouvait dompter le chaos et la violence des magnats en Ukraine.

Comme l’a Ă©crit l’historien Ludwik Kubala, Khmelnytsky Ă©tait « nĂ© chef Â». Il ne pouvait probablement pas supporter le fait que l’État fragilisĂ© ne soit plus en mesure de rĂ©pondre Ă  ses exigences. Il a donc d’abord attaquĂ© la RĂ©publique de Pologne par les armes, laquelle, aprĂšs quelques dĂ©faites initiales, avait encore assez de puissance pour Ă©craser le soulĂšvement. Puis, il est allĂ© plus loin, en voulant dĂ©trĂŽner le roi et proposer le premier concept de partition de l’État affaibli entre la SuĂšde, la Prusse et la Transylvanie, afin de se tailler un nouvel État cosaque au milieu. C’est le moment de l’histoire oĂč Krzywonos s’est briĂšvement emparĂ© du Haut ChĂąteau de Lviv, et l’Ukraine a commencĂ© Ă  perdre le sentiment que la RĂ©publique multinationale Ă©tait aussi sa patrie. Parce que si vous regardez « les Ă©vĂ©nements de Lviv Â», minimes dans l’histoire, Ă  travers les yeux d’un citoyen fidĂšle de la RĂ©publique de Pologne de l’époque, il est clair qu’avoir attaquĂ© l’une de ses villes les plus importantes et conquis le Haut ChĂąteau pour ensuite tirer sur « les gens et les poules Â» devait sembler un acte complĂštement mauvais, aventureux et indigne de la mĂ©moire humaine. Mais si vous regardez cette attaque Ă  travers les yeux d’un ennemi politique de cette RĂ©publique, c’était un exploit hĂ©roĂŻque, digne de monuments et de mĂ©moire Ă©ternelle. Depuis cette Ă©poque jusqu’à nos jours, il s’est creusĂ© un Ă©norme fossĂ© entre la conscience patriotique de l’Ukraine et la perception de cette ancienne RĂ©publique : belle, commune, bien qu’à l’époque du soulĂšvement de Khmelnytsky, elle se dĂ©compose de l’intĂ©rieur et soit infectĂ©e par le virus du dĂ©clin. La furieuse propagande soviĂ©tique et l’éducation trompeuse aprĂšs la Seconde Guerre mondiale ont entĂ©rinĂ© cette tragĂ©die psychologique touchant jusqu’à l’identitĂ© mĂȘme des deux nations.

Au cours des trois siĂšcles suivants, sont apparus plusieurs autres Ă©clairs soudains de la communautĂ© politique polono-ukrainienne, si profondĂ©ment enracinĂ©e dans l’histoire des deux nations. Ces Ă©ruptions sont historiquement inestimables parce qu’elles forment cette deuxiĂšme chaĂźne alternative de tradition politique partagĂ©e Ă  laquelle les deux nations peuvent faire appel aujourd’hui. Fait caractĂ©ristique, les maillons consĂ©cutifs de cette chaĂźne ont toujours Ă©tĂ© liĂ©s aux tentatives d’arrĂȘter la progression de Moscou vers l’ouest. Quand il s’est avĂ©rĂ© que les calculs cosaques de leur reddition Ă  Moscou dans le but d’en tirer ce que la RĂ©publique ne pouvait pas donner Ă  l’Ukraine, Ă©taient stĂ©riles, et que Kiev, pour la premiĂšre fois de l’histoire, est devenu une forteresse russe, le hetman Ivan Vyhovsky a tournĂ© Ă  nouveau l’Ukraine vers la RĂ©publique de Pologne. Et celle-ci, dans un rĂ©flexe extraordinaire (pour l’époque) d’esprit politique, a adoptĂ© une grande rĂ©forme systĂ©mique que les Cosaques attendaient depuis un siĂšcle. Le concept, convenu Ă  Hadziacz et approuvĂ© par le roi et la DiĂšte, d’un Grand-DuchĂ© de Rus’ indĂ©pendant, possĂ©dant ses propres autoritĂ©, religion et langue, en tant que troisiĂšme membre de l’Union polono-lituanienne, Ă©tait en fait le chant de cygne d’un État qui n’avait plus la force de mettre en Ɠuvre une si grande mutation. Pour cela, il fallait une grande guerre contre Moscou, que Wyhowski a fini par mener seul, tentant de reprendre Kiev, mais sans succĂšs. A commencĂ© alors en Ukraine une Ă©poque dont le peuple dirait plus tard : « bіЮ Đ‘ĐŸĐłĐŽĐ°ĐœĐ° ĐŽĐŸ ІĐČĐ°ĐœĐ° ĐœĐ” Đ±ŃƒĐ»ĐŸ ĐłĐ”Ń‚ŃŒĐŒĐ°ĐœĐ° Â». Cet autre Ivan sera un demi-siĂšcle plus tard un certain Mazepa, mais sa tentative dĂ©sespĂ©rĂ©e de libĂ©rer l’Ukraine en se basant sur la Pologne, la France et la SuĂšde aura un caractĂšre suicidaire. En fait, rien ne dĂ©pendait plus de la Pologne ou de l’Ukraine Ă  cette Ă©poque, car au dĂ©but du XVIIIe siĂšcle, les deux n’étaient que des pions entre les mains des puissances europĂ©ennes. Le tsar Pierre vassalisera la Pologne et tout bĂȘtement liquidera l’Ukraine. Un long crĂ©puscule ensevelira les deux nations.

Lorsqu’à la fin du XIXe siĂšcle les deux nations, dans des conditions de soumission, ont commencĂ© Ă  crĂ©er leur propre pensĂ©e politique « nationale Â» et des partis politiques modernes – toute la tradition de la RĂ©publique commune sera, en fait, repoussĂ©e Ă  la marge. Seuls les socialistes « promĂ©thĂ©ens » polonais tenteront de reconstruire les liens avec les Ukrainiens, et le motif sera toujours le mĂȘme : une lutte commune avec la Russie. Dans le cĂ©lĂšbre appel du Parti socialiste de 1901, apparaĂźtra une dĂ©claration polonaise historiquement rĂ©volutionnaire : « Tout comme nous aspirons Ă  une Pologne indĂ©pendante pour nous-mĂȘmes, nous voulons aussi que les Petits Russes obtiennent l’indĂ©pendance de leur patrie, qui est tout Ă  fait capable d’avoir une souverainetĂ© politique Â». À son tour, dans la partie de la Pologne annexĂ©e par les Habsbourg le gouverneur (et en mĂȘme temps le grand historien polonais) MichaƂ BobrzyƄski mĂšnera en 1914 Ă  un accord rĂ©volutionnaire polono-ukrainien Ă  la DiĂšte de la Galicie, dont les partenaires seront les DĂ©mocrates nationaux ukrainiens : le parti de MykhaĂŻlo Hrouchevsky et d’Ivan Franko. Mais le temps historique ne sera plus favorable Ă  de telles entreprises visionnaires ; BobrzyƄski, attaquĂ© par des Ă©vĂȘques catholiques sans imagination politique, dĂ©missionnera et, quelque temps aprĂšs, une guerre mondiale Ă©clatera, de toute façon. Cette guerre, au cours de laquelle les deux États renaĂźtront cĂŽte Ă  cĂŽte pour reconstruire le pacte de solidaritĂ© et de fraternitĂ© dans les armes lors d’une nouvelle menace mortelle de Moscou. Cependant, l’accord de Varsovie de PiƂsudski avec Petlioura se terminera (comme les fois prĂ©cĂ©dentes depuis 1648) par une catastrophe politique. AbandonnĂ©e de tous sauf des Ukrainiens, la Pologne sauvera miraculeusement sa propre indĂ©pendance, mais l’Ukraine tombera, devenant une rĂ©publique soviĂ©tique pour prĂšs d’un siĂšcle.

Et quand le pays des Soviets se dĂ©sagrĂ©gera enfin, la Pologne sera la premiĂšre au monde Ă  reconnaĂźtre l’Ukraine comme État indĂ©pendant avec une satisfaction non dissimulĂ©e. « Solidarnosc Â» victorieuse et le cĂ©lĂšbre sermon de Gniezno de Jean-Paul II sur « les deux poumons de l’Europe Â» changeront complĂštement la façon dont les Polonais pensent le monde, et en particulier leurs voisins orientaux. Comme d’habitude, entre les nations libres, il y aura d’innombrables problĂšmes pour trouver la vĂ©ritĂ© sur les pages les plus tragiques de l’histoire commune. Mais ce qui est particuliĂšrement intĂ©ressant, c’est qu’en Pologne, oĂč perdure le sentiment d’ĂȘtre constamment menacĂ©s par Moscou, le lien avec l’Ukraine se renforcera d’autant plus que l’Ukraine fera preuve de la volontĂ© d’instaurer une autonomie politique, d’établir un État fort et une forte identitĂ© nationale. Nous avons commencĂ© Ă  penser l’Ukraine en Pologne de la mĂȘme maniĂšre que les gens la pensaient il y a des siĂšcles Ă  la cour de Batory : que l’Ukraine est cette partie de la Russie qui a la volontĂ© de rĂ©sister Ă  l’hĂ©gĂ©monie de Moscou. Ainsi, plus l’Ukraine devenait forte Ă  l’intĂ©rieur, plus le nombre de ses enthousiastes en Pologne augmentait. Je me souviens du choc que cela a Ă©tĂ© pour moi de voir des dizaines de drapeaux blancs et rouges et rouges et noirs cĂŽte Ă  cĂŽte pendant la RĂ©volution orange, hissĂ©s par des jeunes dans le quartier de Kreszczatik Ă  Kiev. Pour des raisons Ă©videntes, ce dernier drapeau ne suscite pas et ne suscitera jamais de sympathie en Pologne. Mais Ă  Kiev, cela ressemblait Ă  un grand dĂ©fi lancĂ© par la jeunesse Ă  notre histoire commune.

J’ai maintenant l’impression que la funeste agression russe renverse brutalement plusieurs siĂšcles de l’histoire polono-ukrainienne. Le sentiment collectif de communautĂ© des deux nations est encore plus fort aujourd’hui qu’il ne l’était lorsque le prĂȘtre orthodoxe Ostrogski a sauvĂ© la RĂ©publique de Pologne devant Moscou et que son saint de fils a signĂ© l’acte de l’Union de Lublin. La diffĂ©rence est que la RĂ©publique de cette Ă©poque Ă©tait une communautĂ© de l’élite sociale polonaise et ruthĂšne, et aujourd’hui la guerre crĂ©e une profonde communautĂ© de peuples sous nos yeux. En Pologne, les tenants des ressentiments historiques se sont tus – ils sont marginaux, certes, mais capables de creuser un fossĂ© entre les deux nations. Et avec la guerre derriĂšre la frontiĂšre orientale polonaise, s’est volatilisĂ© le mythe de la « politique des Piasts », selon lequel tous les efforts politiques polonais devraient se concentrer sur des escarmouches et des compromis au sein de l’Union europĂ©enne. Aujourd’hui, personne ne doute que le sort de l’indĂ©pendance polonaise se dĂ©cidera Ă  l’Est. À son tour, toute l’Ukraine, mĂȘme cette partie encore suspecte envers la Pologne, a dĂ» enfin faire face Ă  la vĂ©ritĂ© et voir qu’il existe un pays voisin entre Moscou l’agresseur et Berlin l’attentiste cherchant Ă  ne pas trop aider l’Ukraine, qui s’appelle la Pologne. Et il est tout Ă  fait possible que ce soit le seul pays de son voisinage proche qui pense Ă  la victoire de l’Ukraine sur l’agresseur russe non pas en termes d’une alliance politique solide, mais en termes de sa propre victoire polonaise. Avec chaque jour de dĂ©fense hĂ©roĂŻque de la libertĂ© de l’Ukraine, cette vieille et belle RĂ©publique commune, bien qu’entachĂ©e de tant de dĂ©fauts, devient la patrie historique commune des Polonais et des Ukrainiens. Comme le dit le courageux prĂ©sident Volodymyr Zelensky depuis la ville de Kiev assiĂ©gĂ©e : « Nous n’avons vraiment plus de frontiĂšre avec la Pologne amie, car ensemble, nous sommes du cĂŽtĂ© du bien ».

Jan Rokita

Ɠuvre protĂ©gĂ©e par droit d'auteur. Toute diffusion doit ĂȘtre autorisĂ©e par l'Ă©diteur 13/04/2022