Eryk MISTEWICZ: Cette guerre est à gagner par l’Ukraine et par l’Europe, ensemble

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Eryk MISTEWICZ

Président de l’Institut des Nouveaux Médias (Instytut Nowych Mediów) – éditeur de « Wszystko co Najważniejsze ». Auteur de stratégies marketing. Travaille entre la Pologne et la France. Lauréat du Pulitzer polonais.

Ryc.: Fabien Clairefond

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Depuis deux semaines, deux millions d’Ukrainiens fuyant leur pays agressé sont arrivés en Pologne. Chaque nouvelle semaine est synonyme d’un million de réfugiés supplémentaires. Personnes âgées, femmes avec enfants – toute la pauvreté de ce monde fuyant les bombardements russes des hôpitaux et des écoles, des centres-villes et des quartiers résidentiels – ecrit Eryk MISTEWICZ

J’écris ces mots en Pologne, à Varsovie, à 150 km de la frontière avec la Biélorussie alliée de l’agresseur. Et pourtant, il n’y a pas de panique chez nous, personne ne fuit. Au contraire, nous mobilisons toutes nos forces pour prendre soin des réfugiés. Le dernier numéro du mensuel Wszystko Co Najważniejsze édité par notre Institut des Nouveaux Médias a paru en deux langues : polonais et ukrainien.

Non, il n’y a pas eu et il n’y a pas besoin de construire des camps de réfugiés en Pologne. Les Polonais ont accueilli les Ukrainiens les bras ouverts, en démultipliant les possibilités de gîte et de couvert, en offrant bénévolement le transport depuis la frontière vers n’importe quel point sur la carte. Les compagnies de chemins de fer proposent des billets gratuits à toute personne munie de passeport ukrainien. Le gouvernement polonais a mis à la disposition de cette population fraîchement arrivée tout le dispositif d’aides sociales dont bénéficient les Polonais : programme 500+ pour les enfants, soins médicaux, allocations.

Le succès polonais – tout ce que nous avons – nous sommes en train de le diviser par deux, en le partageant avec nos frères et sœurs ukrainiens.

Aujourd’hui, les réfugiés ont, pour la plupart, trouvé un logement dans des foyers, chez des gens ordinaires, où ils découvrent l’hospitalité typiquement polonaise. Ils trouvent un logement dans les maisons polonaises, mais aussi dans tous les endroits disponibles : résidences universitaires, hôtels, dortoirs etc., et c’est l’État qui prend en charge les frais d’hébergement et de restauration.

Les écoles ont augmenté le nombre d’élèves par classe afin de pouvoir accepter des élèves supplémentaires. La semaine dernière, dans une école près de chez moi, 64 enfants ont ainsi pu intégrer le système scolaire polonais. Ils ont été immédiatement pris en charge. Ils ne connaissent pas la langue polonaise, mais comme les Polonais avaient déjà accueilli un million d’Ukrainiens fuyant la Crimée et le Donbass, les enfants ukrainiens qui vivent déjà en Pologne aident ceux qui sont arrivés maintenant. Les enseignants sont confrontés à la tâche extrêmement difficile de faire oublier à ces enfants le traumatisme de la guerre. Toutes les inscriptions dans les écoles sont en polonais et en ukrainien. Et toutes les écoles, ainsi que les rues polonaises et les lieux publics, sont décorés de drapeaux polonais et ukrainiens.

Les Polonais savent bien devant quoi fuient leurs voisins ukrainiens. Notre histoire est similaire. Nous avions, nous aussi, connu la trahison de la part de grands pays. Malgré les traités d’aide signés, on nous avait abandonnés en septembre 1939. Les Ukrainiens se sentent un peu pareil aujourd’hui, alors que les Allemands refusent d’arrêter de coopérer avec les banques russes, et que les paiements du pétrole et du gaz permettent à la Russie de financer l’achat d’armes. Les Ukrainiens se sentent un peu pareil aujourd’hui quand ils apprennent que des armes ont été vendues à la Russie, malgré les restrictions.

La trahison du monde est la pire à avaler pour les Ukrainiens. Nous, les Polonais, nous avions combattu aux côtés de grands pays durant la Seconde Guerre mondiale, pour nous retrouver à nouveau trahis à Yalta car poussés dans les bras de la Russie. Après la guerre, la Pologne et l’Ukraine ont été contraintes de payer d’énormes contributions à l’Union soviétique, et l’Ukraine a été forcée de rejoindre l’URSS. Le goût de la trahison vécue est amer, mais il enseigne aussi à nos nations, les nations d’Europe centrale et orientale, que nous devons avant tout compter sur nous-mêmes. Et aider ceux qui sont dans le besoin. Comme les Ukrainiens aujourd’hui.

Liberté, démocratie, solidarité ne sont pas de vains slogans pour les Polonais et les Ukrainiens. Tout comme pour les autres pays qui s’étaient libérés de la « tyrannie rouge ». La mission du Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki, du Premier ministre tchèque Petr Fiala et du Premier ministre slovène Janez Janša, qui se sont rendus à Kiev sous le feu de bombardements, a nécessité un immense courage, à la limite de la folie. Mais c’est aussi par de telles actions que nous montrons que d’autres nations peuvent compter sur nous.

Les crimes de guerre perpétrés par les troupes de Poutine en Ukraine font déjà l’objet d’une enquête de la Cour pénale internationale. Les hommes combattent la Russie en toute sérénité, car ils savent que nous nous occupons, en Pologne, de leurs proches. Ce qu’il faut absolument aujourd’hui, c’est de prendre très au sérieux le mot « solidarité ». Nous ne mettrons jamais fin à cette guerre sans la coopération de toute l’Europe. Personne dans mon pays ne doute qu’après l’Ukraine – si l’Ukraine plie – en deux ou trois séances d’attaque, d’ici deux ou trois ans – viendra le tour de la Moldavie, de l’Estonie, de la Lettonie, de la Lituanie et de mon pays. Tout comme réagit le monde aujourd’hui à l’invasion russe de l’Ukraine, il réagira à l’agression russe contre la Pologne. Et nous le savons déjà.

Lorsque, récemment encore, je prenais un vol Air France de Varsovie à Paris, tout l’avion était rempli de personnes âgées et de femmes avec enfants. Je crois qu’ils trouveront aussi leur place en France. Dans mon vol retour quelques jours plus tard, l’avion était rempli de jeunes Ukrainiens. Ils avaient 20, 30 ans, des sacs à dos kaki arborant des drapeaux ukrainiens et ne cachaient pas rentrer au pays pour se battre, et, peut-être périr. Si les Russes essaient parfois de convaincre que l’Ukraine est un pays sans identité, sans nation, voir ces jeunes gens prêts à donner leur vie pour l’Ukraine est l’illustration parfaite de la méprise monumentale des Russes.

Cette guerre est à gagner. Par l’Ukraine et par l’Europe. Faisons-le ensemble.

Eryk Mistewicz
Le texte publié par „L’Opinion”, le 17 mars 2022 [LIEN].

œuvre protégée par droit d'auteur. Toute diffusion doit être autorisée par l'éditeur 17/03/2022